La Cour des comptes vient de sortir un rapport intitulé « La DGFiP, 10 ans après la fusion ». Ce rapport, dont les conclusions n’étonneront pas celles et ceux qui suivent les travaux des magistrats de la rue Cambon, est une nouvelle fois un réquisitoire à charge. Le rapport est pénétré du dogme de l’austérité budgétaire et distille une nouvelle fois des idées toutes faites totalement en phase avec l’idéologie du « moins d’État » et ce, sans tenir compte de la réalité des missions et des besoins.

 Cet article n’a pour d’autre ambition que de livrer les préconisations de la Cour des comptes en y ajoutant un court commentaire. Nous reviendrons plus longuement sur ce rapport et les orientations du programme « action publique 2022 » prochainement.

 

 Un constat connu d’avance

 Dès le début la tonalité d’ensemble est donnée : la fusion n’aurait pas constitué une « rupture »… Pour qui vit la réalité de la DGFiP au quotidien, il y a là de quoi rire ou pleurer, c’est selon. En termes de constat, la Cour des comptes déplore la gestion des ressources humaines trop centralisée, le trop grand nombre d’implantations territoriales, la « rigidité » des règles de gestion, le peu de mobilité des agents et l’architecture informatique jugée datée. Ce constat est classique dans les travaux de la Cour des comptes qui, décidément, ne brillent pas par leur originalité.

 Les préconisations sont justifiées ainsi « l’amélioration de l’efficience et de la qualité du service rendu ne pourra être obtenue par la poursuite de l’action de la DGFiP à missions, structures et méthodes inchangées ». Le ton est donné. L’affirmation n’est pas étayée : on ne trouve nulle trace de l’évolution de la charge de travail et de celle, inverse, des moyens humains et budgétaires. La cohérence n’est manifestement pas la qualité première des rédacteurs du rapport…

 Des préconisations qui découlent du programme action publique 2022, ou les inspirent…

 Ces préconisations sont présentées comme devant être lancées par le programme « action publique 2022 ». En publiant ce rapport, la Cour des comptes entre ainsi dans la stratégie du gouvernement de distiller peu à peu les annonces de ce programme dont les préconisations sont explosives.

 Les préconisations de la Cour des comptes sont les suivantes :

« Unifier les réseaux de recouvrement de la DGFiP et des douanes » : ceci suppose une nouvelle réforme d’ampleur qui percutera la DGFiP et fragilisera également les douanes.

« Confier la mission topographique à l’IGN », ce qui revient à transférer cette mission historiquement assurée par notre administration et dont l’intérêt fiscal a purement été oublié de la Cour des comptes.

« Sortir le service des retraites de l’État de la DGFiP », dans la droite ligne de la vision « RH fonction publique » commune à tous les fonctionnaires que le pouvoir porte et ce, afin de mieux faire passer ses projets « fonction publique ».

« Concentrer le conseil aux collectivités locales sur le conseil financier » et « abandonner les prestations ne répondant pas à un réel besoin » (sic), autrement dit organiser un repli dont seront victimes un grand nombre de petites et de moyennes communes.

Mettre en place de « nouvelles modalités de tenus des comptes » et instaurer un « compte financier unique », qui remplacera les deux états financiers existants (le compte administratif établi par l’ordonnateur pour rendre compte de l’exécution budgétaire au cours de l’exercice et le compte de gestion du comptable public). Il s’agit de généraliser le modèle d’agence comptable actuellement expérimenté dans certaines collectivités. Couplé aux évolutions actuelles (comme la certification des comptes), le compte financier unique annonce l’affaiblissement, voire la disparition, du rôle actuel du comptable public.

« Abandonner la stratégie multicanal dans la relation aux particuliers » en privilégiant le canal numérique (mode dit « de droit commun ») et en améliorant l’accueil téléphonique que la Cour considère comme un » point faible » : autrement dit, il s’agit d’organiser la disparition des services des finances publiques (donc leur maintien sur quelques résidences essentiellement urbaines). La préconisation est d’autant plus choquante que le rapport note par ailleurs que l’accueil physique est « globalement satisfaisant »…

Mettre « sans délai », à l’étude le « remplacement des 354 services de publicité foncière par un service à compétence nationale concentré sur un nombre limité d’implantations », ce qui revient à supprimer l’ensemble des SPF et à créer un nombre réduit d’antennes dont la pérennité n’est nullement garantie. Chacun appréciera l’impact d’une telle mesure sur le service public et les agents de SPF…

« Engager une démarche d’adaptation du réseau à moyen et long terme » pour le reconfigurer, ce qui « suppose d’y préparer les personnels » : on peut d’ores et déjà prévoir une opération de communication visant à « rassurer » les agents alors que le projet global tel qu’il est défini organise une DGFiP dématérialisée, quasi-inaccessible et en présentant aucune garantie aux agents sur leur devenir : mobilité externe ? Départ dit « volontaire » de l’administration ?

« Resserrer les services des impôts » : la Cour déplore le trop grand nombre de services des impôts des entreprises en raison des relations dématérialisées entre les entreprises et les SIE… Là aussi, la Cour a beau noter que « La qualité du service rendu par la DGFiP est jugée satisfaisante par les entreprises », elle persiste dans l’affirmation qu’il faut réduire la présence territoriale de la DGFiP, ce qui pénalisera immanquablement les PME…

Accepter une « présence territoriale mutualisée », autrement dit organiser une présence plus ou moins durable et « nombreuse » d’agents des finances publiques dans les maisons de service public en lieu et place de services propres de la DGFiP…

« Resserrer le réseau comptable », la Cour estimant qu’il y a trop de trésoreries, notamment 1 600 trésoreries de moins de 10 agents, de fait toutes menacées de disparition. Voici quelques années, les pouvoirs publics assuraient que seules les trésoreries de moins de 3 agents étaient vouées à être supprimées, puis celles de moins de 6 personnes, etc.

« Renforcer l’échelon régional », en créant des directions régionales fortes : on devine ici que les Directions départementales des finances publiques seront affaiblies voire vidées de certaines de leurs missions,

« Définir un schéma de transformation » défini au niveau ministériel sur la base d’une contractualisation avec des objectifs pluriannuels selon une logique managériale que notre administration connaît de longue date. Autrement dit, il s’agit de lier l’évolution des moyens financiers à la réalisation du dépeçage de la DGFiP…

« Intensifier les investissements dans les systèmes d’informations », afin d’accélérer la transition numérique de la DGFiP (déjà largement engagée) puisque celle-ci sera essentiellement « virtuelle » et dématérialisée.

« Mettre en œuvre une gestion des ressources humaines plus souple et prospective » : en clair, il s’agit de déconcentrer les actes de gestion mais aussi d’organiser les conditions d’une flexibilité et d’une mobilité subies (voire d’une incitation au départ…), ne serait-ce que pour gérer ce véritable big-bang. Par ailleurs, la Cour estime que les conditions de recrutement et de formation doivent être revues, au moins pour « certaines compétences » qu’elle ne se prend pas la peine de définir. Mais le recours au contrat est prévisible…

« Renouveler le dialogue social » : face aux mutations qu’elle préconise, il s’agit pour la Cour de « créer les conditions internes propices à leur acceptation par les agents ». Autrement dit, de mettre en œuvre ce plan d’éclatement de la DGFiP coûte que coûte, opération de communication à l’appui, voire de manipulation ? Car personne ne peut prétendre que les préconisations de la Cour seront comprises et acceptées.

 Les positions obsessionnelles de la Cour des comptes en matière de réduction de la dépense publique, surtout si elle concerne les administrations des ministères économiques et financiers, sont malheureusement connues et sans surprise. Elles « inspirent » les préconisations qui s’inscrivent délibérément dans le cadre des orientations du programme « action publique 2022 » et des futures annonces gouvernementales. En la matière, la Cour des comptes se pose en alliée du gouvernement et en complice de sa stratégie concernant la distillation des annonces qu’il s’apprête à faire suite aux travaux du comité action publique 2022. Un rôle curieux très éloigné de son rôle fondamental.

 Les préconisations seront-elles reprises par le gouvernement ? On peut légitimement le craindre vu l’adhérence idéologique entre la Cour et le gouvernement… Quoiqu’il en soit, le sens général de ce qui se prépare ne peut tromper personne. Le rapport jette les bases d’un éclatement et d’un rétrécissement brutaux, inédits et inquiétants de la DGFiP. Solidaires Finances Publiques reviendra en détail sur ce rapport et sur les futures décisions des pouvoirs publics qui exigeront une riposte à la hauteur.