Dans son discours devant les numéros 1, notamment ceux de la DGFiP, G.Darmanin a décliné un concept nouveau dans notre paysage administratif : la déconcentration de proximité. Il renvoie à celui de géographie revisitée de la DGFiP évoqué, sans autre précision, par le DG durant le premier trimestre 2018, lors d'une audience intersyndicale.

Retournement de conjoncture ?

Le moins que l'on puisse dire, c'est que depuis plusieurs années, nous assistons à un mouvement inverse à celui que suggèrent le DG ainsi que son ministre et le 1er ministre. L'administration a engagé un mouvement perpétuel de fermetures des services de proximité, notamment des trésoreries, sous prétexte de coller aux évolutions territoriales (réformes des régions, montée en puissance des EPCI, réforme des structures hospitalières...). La DG s'apprête par ailleurs à poursuivre son opération de concentration des services de publicité foncière et de l'enregistrement, avec pour cible la départementalisation. Quelques antennes pourraient subsister, mais sans aucune garantie de pérennité. La centrale a aussi multiplié les concentrations de missions et des compétences, et donc de structures, au plan régional, interrégional, voire national. Deux principaux prétextes sont à chaque fois invoqués : la professionnalisation eu égard au haut niveau d'exigence technique exigé par la mission et l'impact des changements technologiques. Nous pourrions aussi citer les fusions, dites invisibles, de services identiques (SIP, SIE, SPF...) à la même résidence.
Bref, nous sommes bien loin d'une « déconcentration de proximité », même si, à notre initiative et à notre demande, certaines structures, centres de contacts ou CSRH, ont été implantés plutôt dans des villes moyennes que dans des grandes métropoles.
Alors que le ministre entend adosser son plan de renforcement de la démocratie sur la base d'un maillage administratif non-jacobin, allons-nous assister à une grande migration de services entiers des métropoles vers des zones rurales en manque de services publics ? Rien n'est moins sûr.
Cet objectif affiché par le 1er ministre et le ministre des Comptes publics ne vise-t-il pas avant tout à rechercher des marges de manœuvre financières ? Ne se dirige-t-on pas vers une implantation massive de services publics dans des zones où le marché immobilier est plus abordable ? En contrepartie, l’État n'envisage-t-il pas de céder des implantations bien placées et donc attractives pour les promoteurs ? N’y a-t-il pas la volonté de négocier avec des élus locaux, en quête de populations nouvelles ou promoteurs de la défense de leur territoire, la prise en charge des frais de fonctionnement immobilier de l’État ? Certaines dotations aux collectivités ne seront-elles pas maintenues si celles-ci acceptent de mettre à disposition tel ou tel site ? En tout cas, le concept mérite d'être documenté et explicité concrètement.

Combinaison complexe

À reprendre les déclarations du ministre le 11 juillet, il s'agirait de mêler plusieurs évolutions, en corrélation, premier écueil, avec les autres administrations, dont certaines ont depuis longtemps dépassé le cadre départemental pour se structurer. Mais bon, passons.
L'objectif très clairement posé réside dans la combinaison entre une généralisation de l'accueil sur rendez-vous et l'amélioration de l'information de proximité dans des maisons de services au public dont le développement est souhaité par le ministre. Ce dernier évoque également la création de permanences mobiles, mais y a-t-il une réflexion environnementale autour de cet objectif ? Si les tournées se font en véhicule polluant, alors ce sera du perdant/perdant au niveau environnemental. L'autre pan de cette déconcentration de proximité passerait par une organisation différente entre front-office et back-office. C'est là que ça devient un peu nébuleux. Le front-office, par définition, gère l'accueil et les tâches de renseignements de « premier niveau », la délivrance de documents. Le back-office se charge des travaux plus experts.
Si l'on considère « un mouvement de déconcentration d'une partie des services qui sont actuellement en Île-de-France » vers « les régions et des services actuellement dans les métropoles afin de les réimplanter dans les territoires ruraux ou périurbains », que voit-on se dessiner ?
Pour les renseignements de premier niveau, la délivrance de documents : internet, les plates-formes téléphoniques, et les maisons de services au public, implantées en région, en zone rurale ou périurbaine. Pour les questions plus techniques, un accueil uniquement sur rendez-vous, dans les structures de back-office implantées dans les grandes métropoles et à Paris. Il s'agirait donc, si on comprend bien, d'orienter les usagers des grandes villes vers une relation totalement dématérialisée en front-office, les structures de back-office n'étant par ailleurs accessibles que sur rendez-vous, mais pour l'ensemble des usagers, citadins et ruraux, ces derniers ayant la possibilité d'un contact de proximité et physique en front-office et pourquoi pas en back-office dans le cadre de permanences mobiles.
Et tout ça devra être en place en 2022, au moment des élections, afin, dixit le ministre, de juguler « la crise de confiance des populations vivant dans les territoires vis-à-vis d'un phénomène de métropolisation et de jacobinisme réel ou supposé », crise dont « les derniers résultats des échéances électorales ne sont qu'une ultime alerte que nous devons tous entendre ».
Lier la réussite d'une réforme administrative à l'éradication du vote d'extrême droite, il fallait oser. Mais le remède proposé est-il le bon ? Nous en doutons ! On perçoit surtout dans les propos du ministre, une forme de menace en creux. Celles et ceux qui s'opposeraient ou qui rechigneraient à ce grand chambardement, pour des tas de bonnes raisons, seraient rangés au rang des adversaires de la démocratie ! Pour Solidaires Finances Publiques, les propos du ministre mettent en exergue la vision technocratique de ce gouvernement, qui propose un remède bien éloigné des aspirations profondes de nos concitoyens et notamment des plus démunis face aux nouvelles technologies. Ils mettent également une pression insupportable sur les cadres comme sur l'ensemble des agentes et des agents qui doivent sans cesse s'adapter dans un contexte de baisse drastique des moyens mis à leur disposition.

Télétravail et travail à distance

Derrière le bouleversement annoncé se cachent aussi certaines évolutions, loin d'être anodines, du travail.
Le télétravail
Le télétravail est en passe d'être généralisé à la DGFiP. Personne n'ignore que ce mode d'exercice des missions en exclut une bonne partie. Soit du fait qu'elles impliquent un contact direct avec le public soit que certaines applications ne se prêtent pas au travail à domicile. Toutes les agentes et tous les agents n'y sont pas automatiquement éligibles, fussent-elles ou fussent-ils volontaires. Cette forme de travail a le mérite, contrairement au travail à distance, d'être cadrée par la législation et le règlement. Cette législation est d'ailleurs en retrait du point de vue de la prise en charge des frais supportés par les télétravailleuses et les télétravailleurs. Mais elle pose par ailleurs d'autres problématiques, notamment en termes de charges de travail, de déport ou de dépassement horaires, d'impact sur la vie de famille, ou encore de lien social et professionnel, de suivi d'activité, de risques en matière de santé au travail ou de sécurité. Pour Solidaires Finances Publiques, le passage au télétravail devrait faire l'objet d'une formation pour celles et ceux qui y sont éligibles, dans la mesure où il engendre un vrai changement, mais aussi pour les encadrants. Nous avons demandé par ailleurs une prise en charge intégrale des frais que doivent supporter les télétravailleuses et les télétravailleurs. Les questions liées aux conditions de travail, à la santé et à la sécurité devraient selon nous faire l'objet d'un suivi par les CHS-CT, tant qu'ils existent... Au final, le télétravail s’accommode mieux des missions d'expertises (donc de back-office) que de celles d'accueil et de renseignements (donc de front-office)... Vous voyez où nous voulons en venir. Certaines missions de back-office pourraient ainsi entrer dans le concept de « déconcentration de proximité ».
Le travail à distance
Le travail à distance est une forme de télétravail. Sauf que contrairement à lui, il ne s'exerce pas au domicile de l'agent et ne fait l'objet d'aucun cadrage réglementaire. Il a pourtant déjà été mis en œuvre à la DGFiP : pour le CSP, dans le cadre du processus de départementalisation des SPF, ou encore dans la filière professionnelle, pour les SIE. Il tend à devenir une méthode courue d'exercice des missions, d'autant plus que les bases de données sont centralisées et que les moyens technologiques s'affinent et s'améliorent. Nous sommes d'ailleurs dans l'attente d'un rapport interne sur le sujet (pourvu qu'il ne finisse pas comme le rapport CAP 22 !).
Notre formule lancée à plusieurs reprises à la réflexion de nos interlocuteurs administratifs ou politiques, « puisque vous affirmez qu'avec l'informatique on peut tout faire de n'importe où, alors pourquoi concentrer tous les services au même endroit » s'intégrerait bien dans le concept ministériel de déconcentration de proximité. Elle pourrait conduire au maintien, voire à la réimplantation de services entiers dans des zones plus attractives que les grandes métropoles. Pourtant, et à l'évidence, ce n'est pas sur ce chemin que veulent s'engager nos responsables administratifs et politiques. Certes, et très ponctuellement, comme c'est le cas pour les SPF, l'administration accepte de maintenir provisoirement des antennes. Provisoirement, cela veut dire qu'elle compte sur l'évaporation naturelle pour, à terme, fermer l'antenne. Les agentes et les agents ont un sursis. Ils ne sont pas contraints dans l'immédiat à une mobilité forcée, de fait, mais la mission migrera ailleurs le moment venu. Dans le même temps, la DG refuse de revenir sur son plan de départementalisation, dans son principe, et elle annonce qu'elle va continuer à contracter le réseau, plus vite et plus fort. De surcroît, elle entend utiliser le travail à distance à son profit, en limitant les déplacements dans les services des structures de renfort.

Au final, le grand destin proposé par le ministre, soutenu par la DG et certains directeurs locaux, ne ressemble ni plus ni moins qu'à un démantèlement programmé qui touchera également le périmètre des missions et la façon de les exercer. Quant à l'accompagnement social, pour Solidaires Finances Publiques, il passe d'abord par une mesure collective d'augmentation du régime indemnitaire, via l'IMT, par la mise en œuvre d'un vaste plan de repyramidage, de requalification et de transformation des emplois, accompagné d'un plan massif de promotion de C en B et de B en A, ensuite par le renforcement des droits et garanties des personnels, quel que soit leur grade. Nous prenons plutôt un chemin opposé sur lequel l'administration préfère exploiter la conscience professionnelle des agentes et des agents, leur niveau important de technicité, acquise par l'ancienneté et l'expérience ou par leur cursus scolaire ou universitaire, sans les rémunérer à la hauteur de leurs compétences et de leurs efforts constants d'adaptation. Dans le même temps, sous l'effet des regroupements et des restructurations, ce sont les débouchés fonctionnels et de carrière qui se ferment. Toutes les catégories de personnels sont concernées, y compris les cadres intermédiaires et supérieurs dont une toute petite minorité trouvera refuge en dehors de la DGFiP.

La déconcentration de proximité