Le Premier Ministre veut engager un plan national de lutte contre la fraude fiscale qui s’appuierait sur le recoupement et l’exploitation des données permis par le datamining. Il a notamment déclaré vouloir « muscler notre renseignement fiscal avec les douanes, les services fiscaux, Tracfin et les services de police ».

Vu l’ampleur et les dégâts de la fraude, il est effectivement temps d’engager un « plan national contre la fraude fiscale » mettant au cœur la Direction générale des finances publiques (DGFiP) et d'investir pour être à la hauteur des enjeux.

Reste cependant à savoir quel en sera le contenu. De ce point de vue, la prudence s’impose car les premiers choix du gouvernement poursuivent et amplifient l’affaiblissement déjà à l’œuvre du contrôle fiscal : aucune mesure législative n’a été prise dans la loi de finances 2018 et les suppressions d’emplois se poursuivent au sein de la DGFiP (depuis 2010, 3 100 emplois ont été supprimés dans les services de contrôle).

En outre, le « droit à l’erreur » du gouvernement s’ajoute aux dispositifs préexistants sur la facilitation des régularisations, les délais d’intervention dans les locaux de l’entreprise et le dialogue avec celle-ci. Il crée de nouvelles contraintes qui réduiront le délai d’intervention dans les locaux des entreprises sans être équilibré par des mesures plus coercitives pour les fraudes avérées1.

L’annonce d’un plan de lutte contre la fraude porte essentiellement sur le traitement des données et le renseignement. Si le premier doit s’améliorer pour être plus utile, il ne saurait suffire à combattre la fraude. Le second doit être effectivement être au centre du dispositif, mais il reste à savoir comment. Un «plan» doit nécessairement engager une stratégie globale.

Notre rapport de mars 2017 actualisé en novembre 20172 dresse un bilan nuancé des mesures prises ces dernières années (toutes prises en réaction aux affaires et jamais en anticipation) qui ne permettent toujours pas d’être à la hauteur des enjeux.

  • L’accès à l’information s’est un peu amélioré grâce aux évolutions du « droit de communication » mais reste nettement insuffisant.
  • Le datamining n’a pas produit les effets escomptés. Or, il pourrait être utile si certains freins étaient levés (ce qui suppose un travail efficace avec la CNIL), s’il était conçu avec les agents opérationnels et s’il ne servait pas d’alibi aux suppressions de postes. En tout état de cause, il ne peut être envisagé que dans une réflexion globale sur l'outil numérique.
  • Certaines sanctions (pour non déclaration de détention de « trust » par exemple) sont difficilement applicables.
  • Les procédures de contrôle informatisé et de contrôle du bureau sont présentées comme des avancées mais elles ne constituent pas une solution miracle. Il faut aussi parfois mener des investigations plus poussées, ce que le contrôle du bureau ne permet pas.
  • Le management du contrôle fiscal n’apporte ni le soutien technique dont les agents ont besoin ni l’incitation à privilégier les investigations longues alors que les schémas de fraude ont tendance à se complexifier.

Les préconisations de notre rapport permettraient d’améliorer réellement la lutte contre la fraude fiscale : outre le nécessaire renforcement des moyens humains des services de l’État concernés par la lutte contre la fraude (notamment la DGFiP), elles visent à :

  • développer la recherche et l’expertise fiscales (par exemple en procédant à une analyse ex-post des dossiers ayant donné lieu à une régularisation),
  • protéger et indemniser les lanceurs d’alerte,
  • regrouper la BNRDF et le service national de la douane judiciaire pour créer un service judiciaire fiscal et douanier placé sous l’autorité d’un magistrat, équilibré entre sa partie fiscale et sa partie douanière,
  • améliorer les moyens juridiques (accès à l’information, procédures), matériels et budgétaires des services de la DGFiP,
    maintenir la cohérence du périmètre de ses missions au sein de la DGFiP, dont l’ensemble de la chaîne du contrôle fiscal (recherche, programmation, contrôle sur pièces, contrôle sur place, traitement du contentieux, recouvrement…),
  • faciliter les échanges, améliorer la coopération et la mutualisation entre les services de l’État mais aussi revoir le mode de management afin qu’il soit plus tourné vers la qualité et l’efficacité réelle de la mission,
  • développer une politique de la sanction impliquant également les intermédiaires facilitant la fraude et les personnes morales : cette approche de la sanction doit s’organiser selon le principe de la riposte graduée en conservant des sanctions fiscales articulées aux sanctions pénales pour les cas les plus graves et, enfin, établir un suivi des sanctions (interdictions de gérer etc).

Sur l’ensemble des enjeux et des moyens mis au service de la lutte contre la fraude fiscale, au-delà des annonces que chaque gouvernement n’a pas manqué de faire en la matière, le contenu précis du plan annoncé révélera la réalité de l’ambition du gouvernement en matière de lutte contre la fraude fiscale. Wait and see...

Communiqué : un plan national contre la fraude fiscale ? Chiche !