Si les lois de finances et de financement de la sécurité sociale apportent chaque année leur lot de mesures et de nouveautés portant sur l’évolution globale et structurelle des recettes et des dépenses publiques, ce qu’il est convenu de nommer la « trajectoire » des finances publiques est pour sa part tracée dans la loi de programmation des finances publiques. Cette dernière est pluriannuelle : la loi du 22 janvier 2018 porte ainsi sur les années 2018 à 2022.

C’est sur la base de ces données que le parlement mène un débat d’orientation budgétaire. Et c’est dans ce cadre que la Commission des finances de l’Assemblée nationale a rendu un rapport le 10 juillet 2018 qui revient sur les projections gouvernementales (1). Sans surprise, celles-ci visent à baisser la part des dépenses publique rapportée au produit intérieur brut (PIB) avec l’objectif affiché de réduire le déficit public et, par conséquent, la dette publique (2). L’orientation n’a pas de quoi surprendre, tout comme les éléments de langage qui accompagnent sa promotion : il n’y aurait pas d’autre choix possible. Pour se convaincre du contraire, cet article revient sur les conséquences de l’orientation budgétaire gouvernementale et livre plusieurs pistes alternatives.

Vers une baisse de la part de la dépense publique et des prélèvements obligatoires aux effets dévastateurs

En matière de recettes publiques, le gouvernement a déjà mis en œuvre et/ou annoncé certaines baisses voire suppressions d’impôts (il en va ainsi de l’impôt de solidarité sur la fortune ou de la taxe d’habitation). Certains prélèvements augmentent par ailleurs (la CSG par exemple). Ce mouvement de baisses et de hausses simultanées (dont les bénéficiaires et victimes respectives n’appartiennent pas aux mêmes catégories de contribuables, les plus aisés étant les principaux gagnants) devrait se traduire in fine par une diminution de la part globale des prélèvements obligatoires rapportée au PIB : celle-ci passerait de 45,3 % en 2017 à 44 % en 2022.

Le gouvernement veut, « en même temps » si l’on ose dire, baisser drastiquement la part de la dépense publique rapportée au PIB. Si l'on s'appuie sur la loi de programmation et les données de l'INSEE (3), celle-ci passerait de 55 % du PIB en 2017 à 51 % en 2022. Concrètement, si l’on s’appuie sur les prévisions de croissance (toujours très fragiles…), cela veut dire que la dépense publique serait inférieure de :

  • 16,3 milliards d’euros en 2018,
  • 37,9 milliards d’euros en 2019,
  • 60 milliards d’euros en 2020,
  • 78,45 milliards d’euros en 2021,
  • et 99,83 milliards d’euros en 2022,
    … par rapport à ce qu'elle représenterait si elle était maintenue à 55 % du PIB.

En clair, sur la durée du quinquennat, le gouvernement s’apprête à priver l'action publique (l’État, les collectivités locales et la protection sociale) de 292 milliards d’euros (la somme cumulée des économies prévues entre 2018 et 2022), soit l’équivalent de 90 % du budget annuel de l’État. Des sommes qui manqueront cruellement à la collectivité pour faire face aux besoins sociaux, environnementaux et économiques du pays.

Tout à la fois cause et conséquence de cette austérité budgétaire implacable, la déstructuration de l’action publique est d’ores et déjà annoncée, sur l’air bien connu de la modernisation… Le processus « action publique 2022 » a ainsi été officiellement mis en place par le gouvernement avec l'objectif de « dégager des économies structurelles à moyen terme » comme le confirment les travaux de l’Assemblée nationale. Le rapport « Action publique 2022 » (4), rendu public en juillet 2018 par Solidaires Finances Publiques après les atermoiements gouvernementaux, s’inspire des vieilles théories libérales et conservatrices.

S‘il n’y a définitivement rien de moderne là-dedans, le gouvernement s’est néanmoins inspiré de plusieurs préconisations de ce rapport qui n’ont pas de quoi surprendre tant ce type de solutions n’a cessé d’être promu par les libéraux de tout poil et ce, bien avant la crise et la mise en œuvre des politiques de rigueur (diminution du nombre de fonctionnaires, remise en cause du statut général de la fonction publique, promotion d’agences en lieu et place d’administrations ou encore suppressions de nombreuses implantations territoriales…). Preuve que celle-ci est avant tout un alibi matraqué par les tenants d’une véritable idéologie : celle du « moins d’État ». La DGFiP est malheureusement bien placée pour connaître l’impact concret de cette idéologie.

Quels autres choix… ?

Au-delà de l’indispensable réaction sociale et syndicale que ces mesures nécessitent et du débat qu’il faut mener sur les alternatives souhaitables, il est intéressant de dresser d’autres projections. Concédons-le d’emblée : celles qui figurent ici ne versent pas dans l’inflation de la dépense et des recettes publiques (un faux procès souvent fait aux défenseurs de l’action publique et de la justice fiscale).

Nous pourrions certes démontrer qu’avec une réforme fiscale et une lutte efficace contre l’évasion et la fraude fiscales, il serait possible de procéder à une transformation profonde permettant de garantir un haut niveau de dépenses publiques à même de financer les besoins sociaux, environnementaux et économiques. Notre organisation n’a d’ailleurs de cesse de le préconiser. Nous avons cependant voulu montrer ici que, même dans le cadre de la logique dominante, d’autres choix étaient possibles en adoptant une stratégie budgétaire moins brutale. Et ce d’une part, sans sortir du cadre européen actuel (pourtant très contraignant) et d’autre part, sans revenir sur la façon dont les comptes publics ont été grevés par la crise systémique et par les baisses d’impôts de ces 30 dernières années. C’est dire… Or, même dans le carcan actuel (impératifs européens, dogme de la pression sur les finances publiques), il n’y a jamais qu’un seul choix possible…

Pour ce faire, nous avons délibérément retenu différents scenarii sur la base d’une approche simple : maintien du niveau actuel des prélèvements obligatoires entre 45 et 45,3 % du PIB (5) et maintien ou baisse légère de la dépense publique.

  • Le gouvernement aurait ainsi pu choisir de maintenir le niveau global des prélèvements obligatoires et de la dépense publique, avec un simple maintien du niveau de déficit, ce qui permettrait de dégager des marges de manœuvre importantes sans pour autant présenter un déficit public scandaleux. Rappelons qu’en 2017, le déficit public représentait 2,6 % du PIB et que la France n’est désormais plus visée par la procédure de « déficit excessif » prévue par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
  • Seconde hypothèse, même en adoptant le schéma d’une baisse homéopathique de la dépense publique, les calculs font apparaître qu’avec un niveau de prélèvements obligatoires de 45,3 % du PIB (le niveau de 2017) et une dépense publique représentant 54 % du PIB, le déficit public diminue pour se situer aux alentours de 2 % du PIB.
  • Enfin, en adoptant un scénario plus dur mais moins violent que les orientations gouvernementales, avec un niveau de prélèvements obligatoires inchangé et une dépense publique comprise entre 52 et 52,5 % du PIB en 2022, les comptes publics seraient alors non seulement équilibrés mais présenteraient un solde plus « favorable » que dans ce que la loi de programmation envisage.

Si tout ceci dépend bien entendu de nombreux facteurs, ce petit exercice de prospective n’est pas plus virtuel et théorique que les projections de la loi de programmation des finances publiques elle-même. Les données en termes de taux de croissance et de ratios sont en effet les mêmes. Il a simplement vocation à montrer que le gouvernement a sciemment « chargé la barque » : baisses d’impôts essentiellement ciblées sur les plus aisés et baisse drastique de la dépense publique avec pour effet une déstructuration de l’action publique et de la protection sociale. Car c’est là le véritable but que le gouvernement veut atteindre sur la base de l’adage bien connu : « qui veut tuer son chien l’accuse d’avoir la rage ». Autrement dit, appauvrir l’État pour prétendre qu’il faut le transformer à sa guise. De fait, ses choix sont bel et bien idéologiques et ne sont nullement guidés par des impératifs de « bonne gestion ».

Au-delà de cet exercice que notre organisation a fait « l'effort » de mener pour montrer les véritables buts du gouvernement, et face aux besoins croissants, il y a en réalité plus que jamais nécessité de montrer en quoi un meilleur partage des richesses, une plus grande justice fiscale et un renforcement de l’action publique et de la protection sociale sont des impératifs sociaux, environnementaux et économiques, en France et au plan supranational.

(1) Rapport d’information de la Commission des finances de l’Assemblée nationale relatif au débat d’orientation budgétaire du 10 juillet 2018.
(2) Pour en savoir plus, voir le site du collectif pour un audit citoyen de la dette publique.
(3) INSEE, comptes de la nation 2017
(4) Rapport du comité Action publique 2022, Service public, se réinventer pour mieux servir, juin 2018.
(5) Le maintien du niveau global des prélèvements obligatoires par rapport au PIB n’empêche évidemment pas une réforme fiscale dans le cadre de laquelle certains impôts peuvent baisser et d’autres augmenter à due concurrence.