Depuis le début du mouvement des « gilets jaunes », l’une des principales demandes consiste à demander des baisses d’impôts et à bénéficier de plus de service public. Cette revendication peut paraître contradictoire. Mais la réalité est plus complexe…Car le véritable enjeu réside en effet dans une meilleure répartition des richesses via la fiscalité notamment.

L’impôt finance l’action publique...

L’évidence mérite d’être rappelée sans relâche : sans impôt, il n’y a pas de service public ni, plus largement, de vie en société possible. Les recettes publiques, on l’oublie ou on le minimise trop souvent, financent l’action publique : éducation, santé, sécurité, aides publiques, et nous en passons. Baisser les impôts revient donc à mettre l’action publique en péril : sans financement, elle meurt et les missions qu’elle exerce sont alors abandonnées ou assurées par le secteur privé. Ce dernier ne se privera pas de les facturer à leurs clients, mais seulement à celles et ceux qui ont les moyens d’y avoir accès. Et moyennant un bénéfice qui gonflera mécaniquement les coûts des services privatisés, bien évidemment…

De fait, on ne peut donc sérieusement soutenir qu’on peut maintenir et, a fortiori, renforcer, le service public en réduisant globalement les impôts. Tout comme il est impossible de soutenir qu’on peut bénéficier d’une couverture sociale si l’on réduit les recettes sociales (voir à ce sujet notre note intitulée « Prélèvements obligatoires et PIB : un indicateur partiel et discutable »). . CQFD...

… mais l’enjeu est de mieux le répartir !

Seulement voilà, à y regarder de plus près, la revendication « moins d’impôt et plus de service public » d’une grande partie de la population s’avère moins simpliste et contradictoire qu’il n’y paraît. L’évolution du rapport des français à l’impôt s’avère de ce point de vue instructive.

Jusqu’à la mise en œuvre des politiques de rigueur budgétaire suite à la crise, les français étaient majoritairement favorables à un haut niveau d’imposition afin de bénéficier de services publics de qualité. Une proportion importante se déclarait même favorable à une légère hausse d’impôt pour bénéficier d’un service public plus présent et plus efficace. Et une minorité souhaitait voir baisser les impôts quitte à voir baisser le niveau des prestations publiques.

Depuis la période 2008/2012 en revanche, les proportions se sont progressivement inversées, une majorité de français se déclarant désormais prête à payer moins d’impôt quitte à bénéficier de « moins » de service public. Un sondage BVA (« Les services publics vus par les usagers ») de décembre 2013  montrait ainsi que 71 % des usagers se déclaraient satisfaits des services publics, mais que 63 % des personnes interrogées préféraient payer moins d’impôts et voir diminuer les prestations des services publics contre 31 % qui estimaient au contraire qu’il fallait augmenter la qualité des prestations des services publics quitte à augmenter les impôts.

Cette évolution s’explique, la rigueur budgétaire à l’oeuvre depuis 2008 ayant produit ses effets. Elle s’est en effet traduite par un éloignement du service public et, simultanément, par des hausses d’impôt. Du « perdant-perdant » en somme alors que le sentiment d’une fiscalité de plus en plus complexe et injuste s’est développé, notamment sur fond d’affaires d’évasion et de fraude fiscales. Une partie croissante de la population a ainsi basculé et estimé qu’elle payait trop dans un tel contexte alors que « d’autres » n’en payaient pas assez. A titre d’exemple, selon une étude Harris interactive de février 2013, 74% des personnes interrogées estimaient que « les classes moyennes sont les principales contributrices de l’effort fiscal ». Ce sentiment s’est récemment largement confirmé avec la loi de finances 2018 et la suppression du très symbolique impôt de solidarité sur la fortune (ISF).

Débattre sans se faire battre

Le mouvement actuel et, surtout, l’analyse des politiques fiscales et des enjeux le révèle : le système fiscal est à bout de souffle. En témoignent, les dégâts de la concurrence fiscale, l’absence de réforme fiscale prenant en compte la numérisation de l’économie, le trop faible rôle joué par l’impôt dans la réduction des inégalités, l’ampleur de l’évitement de l’impôt (optimisation agressive, fraude) et, par conséquent, la dégradation inquiétante du consentement à l’impôt.

Dans une telle période, le danger est donc de voir l’idéologie dominante instrumentaliser la demande de « moins d’impôt » pour réduire la place de l’État et des services publics. Soit, au fond, de profiter de ce contexte pour imposer ses vues historiques… Or, le message de la population n’est pas celui-ci : c’est bien la question de la répartition des richesses et de la réhabilitation du service public qui est posée. Autrement dit, d’une justice fiscale et sociale très éloignée des orientations gouvernementales actuelles.