C’est un rapport instructif que vient de rendre « France stratégie » sur la fiscalité du capital et le bilan de la réforme fiscale mise en oeuvre par Emmanuel Macron : la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) avec la mise en place de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) et le prélèvement forfaitaire unique (PFU). Bien qu’en termes choisis, le rapport est clair. Nous y revenons ici...

 

Retour sur la loi de finances 2018 et des justifications

La première loi de finances du pouvoir actuel assumait une ligne stratégique précise : dans un contexte de concurrence fiscale et alors que se profilait le Brexit (la place financière de Londres aiguise les appétits « macroniens »), il lui fallait alléger fortement la fiscalité du capital pour attirer ce dernier. Et ce, conformément aux dogmes néolibéraux... L’abaissement de l’imposition des sociétés (avec notamment la baisse du taux nominal à 25 % d’ici 2022), le PFU et la fin de l’imposition du stock des titres financiers et de l’ensemble du capital mobilier (avec la suppression de l’ISF) organisait ainsi, dans une comédie dramatique en 3 actes (voir notre dossier de l’automne 2017), une fiscalité qui allait favoriser le développement des inégalités, nourrir la finance et plomber les comptes publics.

Pour justifier ses choix, peu audibles dans un contexte de rigueur pour une opinion au sein de laquelle le sentiment d’injustice fiscale était déjà prégnant, le pouvoir expliqua qu’ils favoriseraient l’investissement, la croissance et l’emploi. Autrement dit, que ces baisses d’impôt ciblées ruisselleraient sur l’ensemble de l’économie. Un dogme défendu par Helmut Schmidt en 1974 (« les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain ») ou encore Ronald Reagan et Margaret Thatcher dans les années 80. Une politique fiscale résolument « moderne » donc (sic)…

Oui « ça ruisselle », mais vers le haut !

Le rapport de France stratégie note qu’initialement, le coût global de la suppression de l’ISF et de la création du PFU avait été estimé à 5,1 milliards d’euros par an pour une hypothèse à long terme de 50 000 créations ou sauvegardes d’emplois, soit 100 000 euros par emploi potentiellement créé ou sauvegardé. Il reprend également des éléments connus de notre syndicat : il en va ainsi de « l’exil fiscal » des redevables de l’ISF dont l’impact (en base, en droits et en nombre) est de longue date marginal, comme nous l’avons déjà démontré.

Le rapport estime qu’au final, la réforme aura bel et bien coûte 5 milliards d’euros aux finances publiques (ce que le PLF 2020 confirme). Mais le meilleur, si l’on ose dire, est ailleurs. Le rapport note ainsi que « S’agissant de la mise en place du PFU, les gains fiscaux seraient concentrés sur les 15% des ménages les plus aisés et, au sein de ces 15 %, ils seraient plus importants encore pour le tiers supérieur (top 5 %), avec pour ces derniers des gains moyens en termes de niveau de vie de près de 1 000 euros par an. S’agissant de la transformation de l’ISF en IFI, l’étude mobilisant les informations statistiques les plus complètes conduit à estimer que les 5 % des ménages les plus aisés perçoivent 57 % des gains, et que quatre ménages gagnants sur cinq se situent parmi les 15 % les plus aisés. Le gain annuel moyen d’un ménage gagnant est de l’ordre de 6 500 euros de niveau de vie.» Le rapport confirme donc ce que l’on savait déjà : les plus aisés ont bénéficié de cette réforme.

Le bilan « ex-post » de France stratégie rejoint donc les prévisions « ex-ante ». Rappelons ainsi qu’en octobre 2017, le Président de la Commission des finances du Sénat estimait que : « les 100 premiers contribuables à l’ISF gagneront chacun, en moyenne, 582.380 euros par an. Pour les 1.000 premiers contribuables, le gain moyen lié au PFU s’élèvera à 172.220 euros par an » et que "44 % du gain total procuré par le PFU sont captés par le 1 % des contribuables dont le revenu est le plus élevé".

Parmi les autres éléments d’analyse, France stratégie note que, « Le seul élément tangible qui peut être relevé à ce stade sur données agrégées est la forte progression des dividendes reçus par les ménages en 2018 ». Sans surprise également, cette réforme n’a pas profondément modifié la composition des investissements, moins tournés vers l’immobilier et plus vers « la finance ». Enfin, aucun accroissement du nombre de « retours » d’anciens redevables de l’ISF n’a été constaté, le rapport estimant que la réforme « aurait » permis de freiner les départs dans un prudent conditionnel. Rien n’est dit sur le nombre d’emplois qui aurait été créés ou sauvegardés selon la formule bien connue. En revanche, on sait désormais que cette réforme a aggravé le sentiment d’injustice fiscale. Le bilan fiscal du quinquennat est déjà lourd.