La période est inédite. Après avoir méticuleusement détricoté et attaqué l’action publique et la protection sociale, les pouvoirs sollicitent une fois de plus les finances publiques pour venir à la rescousse. Et on découvre à nouveau les vertus de la solidarité. Instructif… Les décisions prises en France et au plan international pour combattre l’épidémie de coronavirus ont et auront des conséquences importantes. Mais surtout, elles posent des questions essentielles en matière de choix de société.

Des finances publiques (à nouveau) au cœur de la crise

Dans la période, même si personne n’en connaît la durée, le débat se porte nécessairement sur l’impact économique de la crise. Fiscalement, et vu par le petit bout de la lorgnette si l’on ose dire, la récession prévue, soit 1 point de PIB (estimation au 14 mars), va se traduire par une baisse importante du rendement des recettes fiscales. L’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu sont bien évidemment concernés. La TVA devrait également connaître des pertes, même si les proportions seront peut-être moindres du fait d’un possible rattrapage partiel de la consommation au cours de l’année. La taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques sera touchée elle aussi et, à terme, potentiellement les droits de donation et de succession suivant les suites et les conséquences de la crise. Autrement dit, les ressources de l’État et des collectivités locales seront touchées. De combien ? 30, 50, 100 milliards d’euros ?

Certes, à part ce qui reste de taxe d’habitation, les impôts locaux seront moins impactés mais, outre que les finances locales sont largement assurées par l’État, avec les difficultés économiques, la DGFiP aura elle aussi à gérer des remises gracieuses et des étalements. Et de leur côté, les ressources sociales seront également touchées. Le développement du chômage partiel et les premières mesures de soutien l’attestent d’ores et déjà. A l’avenir, les difficultés économiques, la probable pression sur les salaires, la hausse du chômage, etc sont autant de facteurs qui exerceront une forte pression sur les ressources sociales.

Symétriquement, la dépense publique devrait augmenter. Et ce, qu’il s’agisse des aides et des mesures de soutien à l’économie, de l’augmentation prévisible des dépenses sociales, des dépenses qui seront nécessaires dans des domaines essentiels (la santé…) ou des dépenses de fonctionnement et d’investissement publics. Par conséquent, les déficits publics vont mécaniquement se creuser voire exploser, tout comme les dettes publiques. De fait, les critères budgétaires européens sont morts, Mais il n’y a pas, pour l’heure, d’alternative « officielle ». Ce sera très bientôt le moment de reparler de réforme fiscale et d’effacement des dettes pour éviter une austérité budgétaire dont on a vu les effets néfastes depuis près de 12 ans.

Et au-delà ?

Les États ont repris la main, nous sommes entrés dans une période d’économie administrée, guidée et aidée par l’État. Temporairement certes, mais les choses pourraient néanmoins changer, avec des implications nombreuses, même si personne ne peut les mesurer avec précision pour l’heure. Des nationalisations sont même possibles et explicitement envisagées par le gouvernement. Les moteurs du capitalisme (circulation des richesses et des personnes, confiance dans l’avenir) sont à l’arrêt et ne repartiront pas facilement ni, très probablement, sous leur forme que l’on qualifiera désormais «d’ancienne ». De fait, le secteur marchand est sous tutelle et s’efface derrière la santé publique, seule solution collective à la survie et au développement de l’espèce pour le dire avec emphase.

Dans la première partie du 20ème siècle, nous avons assisté à la naissance et au développement de la sécurité sociale, de l’impôt progressif sur le revenu, des impôts sur les successions, du droit du travail et syndical, etc. Nous avons connu une réduction des inégalités et un rééquilibrage du partage de la richesse nationale au profit du travail ainsi que des avancées démocratiques (droit de vote des femmes) et sociétales (avortement…). Mais depuis 20 à 30 ans, avec les politiques néolibérales, les inégalités sont à nouveau en hausse et la part du travail dans la richesse nationale est repartie à la baisse.

Et cette fois, ce sera quoi ? Recul de la démocratie et des libertés, intensification de la concurrence économique, financière fiscale et sociale sur fond de repli nationaliste ? Ou, à l’opposé, enfin un changement et un sursaut se traduisant par un véritable changement de politique ; économique (qui produirait ses effets sur la durée), fiscale, monétaire, bancaire etc ?

On aurait tort de se contenter de dire qu’il aurait fallu faire autre chose et de se féliciter d’avoir eu théoriquement raison. La situation s’impose en effet à tous. En réalité, tout ou presque est à repenser : la place de l’économie marchande, l’importance des politiques publiques, les solidarités, la sauvegarde de l’environnement, la démocratie, les finances publiques, le travail, la place de l’humain... etc. En clair, il est urgent de repenser le choix de société pour « refaire société ». Comment en tirer « toutes les conséquences » et quelles « décisions de rupture » faut-il prendre « coûte que coûte » ? C’est désormais sur ces questions que s’organisera le débat. L’après crise a déjà commencé.