A l'issue de ces 15 premiers jours de confinement des agent.es comme du reste de la population, les tenants politiques et technocratiques de l'e-administration dressent un panorama relativement idyllique de l'organisation administrative de la France en ce temps de crise.

Dernièrement, dans la presse spécialisée, certains d'entre eux se félicitent que de nombreux services publics ayant des fonctions administratives aient revu leur fonctionnement en ayant plus particulièrement recours à la dématérialisation. Ils retiennent surtout le fait que pour bien des administrations, la dématérialisation est apparue comme le meilleur, sinon le seul moyen d’assurer la continuité administrative et du service public et « qu'on »* en viendrait presque à regretter que les démarches n’aient pas été dématérialisées plus tôt. C'est du moins le message que tente de faire passe le chef de projet de “Démarches simplifiées”, Philippe Vrignaud, qui ne cache pas par ailleurs qu'il ne ménage pas sa peine pour prêcher les avantages de cette solution proposée par la direction interministérielle du numérique (Dinum). (* bien entendu le « on » est des plus laconique, à qui pensent-ils nos technocrates : aux politiques, aux directeurs d'administrations, aux fonctionnaires, aux usagers ? En tout cas, ils ne pensent probablement pas à tous nos concitoyen.nes qui aujourd'hui s'inquiètent de voir leur lien avec l'administration se complexifier, parfois se déshumaniser).

L'e-administration, l'anti virus pour certains !

Depuis le mardi 17 mars, plusieurs dizaines d’administrations se sont appuyées sur la plate-forme Démarches simplifiées pour réagir face à la crise. Pour valoriser cet état de fait, l'e-technocratie se réfère à l'appel lancé le 19 mars par la French Tech à l’attention des start-up et s'appuie sur quelques exemples d'e-innovations déployées ici ou là. Ainsi, ils nous citent comme exemple le recensement des volontaires pour assurer dans certains départements la garde d’enfants des personnels mobilisés pour gérer la crise sanitaire, ailleurs celui des stocks de masques de protection à destination des personnels sur le terrain, ou bien encore la dématérialisation des demandes d’autorisation de destruction de certains oiseaux, sans oublier à l'Office national des forêts le déploiement d'un e-outil de traitement des demandes de report de paiement et de report de délais d'exploitation ni la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) du Grand-Est qui a mis en place, en l’espace de quelques jours, un guichet unique pour répondre de façon coordonnée aux difficultés exprimées par les entreprises. 
Bien entendu, l'e-technocratie est par nature futée, d'où l'allusion rapide à certains des outils développés qui seraient particulièrement adaptés au télétravail et donc salutaires pour les agentes et agents.


Testé positif à l'e-administration

A décortiquer les propos des acteurs de l'e-administration, il est clair que de la situation actuelle, ils ne retiennent que la réactivité de l’offre Démarches simplifiées et qu'ils font déjà le procès de certaines administrations, qui à leurs yeux ont été à la traîne ou moins efficientes en développant des outils plus traditionnels, tels que des boîtes fonctionnelles spécifiquement créées pour répondre à un problème donné. Pour eux, si le mail est un moyen satisfaisant pour récolter rapidement des demandes, il l'est beaucoup moins sur le plan du traitement de ces demandes, car il exclut toutes fonctionnalités de travail collaboratif et possibilités de faire de l’instruction partagée, en allant jusqu’à la prise de décision. D'où l'éloge du traitement à distance, sur une même plate-forme et ce sans passer nécessairement par les systèmes d’information habituels de l’administration.


Faux e-remède, pour une vraie pathologie : la « précaritite » aigüe du service public français !

Bien entendu, les e-technocrates ne s'attardent pas sur les usagers d'ordinaire laissés sur le bord de la route pour cause d'éloignement ou de déconnexion numérique, car de toute évidence, ces derniers ne sont pas présents dans leur logiciel de pensées. Et pourtant, ces usagers dans le contexte actuel sont les grands oubliés des solutions de secours.
Comme le sont également un grand nombre d'agentes et d'agents publics qui font face à une organisation totalement anarchique des e-outils. Ainsi, aucun d'entre-eux ne met en lumière les conditions de travail de milliers de fonctionnaires qui doivent, à partir de leurs propres outils informatiques, compenser les lacunes de leurs administrations d'origine. Aucun d'entre-eux ne pointe les conséquences du télétravail dans l'organisation des vies personnelles et le sentiment d'abandon ainsi que les pertes de repère que cela peut engendrer.
Sous couvert d'adaptation à l'urgence, toute une frange de la scène politique et de la haute fonction publique entend tester à grande échelle l'e-administration de leur rêve. Les exemples mis en avant sont révélateurs. Certes, l’outil a permis de parer à quelques urgences, mais ces urgences représentent-elles le nerf de la guerre des administrations, des services concernés ? Bien évidemment non ! Revenons sur l'exemple des demandes de report de paiement et de report de délais d'exploitation e-traitées par l'office national des forêts. Cette tâche ne représente qu'une partie des missions de l'ONF, et dans la période, qu'est-ce qui est le plus important : la sauvegarde de nos espaces forestiers, de nos parcs nationaux, ou certaines formalités administratives ? Ce satisfecit technocratique ne va-t-il pas, après la crise Covid-19, au prétexte que certaines formalités auront été e-bouclées, justifier l'accélération des suppressions d'emplois de gardes forestiers ? Nous pouvons le craindre, si nous n'y prenons garde et si nous nous laissons enfumer par les suaves vapeurs du numérique.

La DGFiP n'est pas épargnée et il est évident que le gouvernement et l'administration aspirent à tarir la source des accueils en présentiel, renvoyant l'usager derrière un écran d'ordinateur, le transformant malgré lui en e-usager. Ne doutons pas que les communicants d'aujourd'hui et de demain assureront à l'usager.e qu'en restant le nez sur son écran d'ordinateur, de téléphone, il ou elle sera protégé.e et contribuera ainsi à faire son devoir de citoyen.ne, contribuable responsable.
Mais de qui se moque t-on ? Il est évident que la fracture numérique est avant tout une fracture sociale et parfois générationnelle. Nier cela, en matière de service fiscal et foncier, c'est nier les inégalités qui existent dans le pays et face à cela l'administration se doit d'être exemplaire et d'être aux côtés des usagers et ce de la meilleure des manières possibles.
Depuis le début du confinement, la DGFiP a dans le cadre du plan de continuation d'activité, ciblé les missions prioritaires. Ceci ne s'est pas fait sans difficultés, mais cela a démontré que les missions de la DGFiP s'appuient toutes sur une expertise soutenue, que toutes relèvent d'une nécessité fiscale, financière, économique, territoriale ou sociale, qui nécessitent de mettre sur le terrain des agentes et des agents pour y faire face, pour répondre, traiter, gérer, contrôler,… les situations et autres.

Pour Solidaires Finances Publiques, la situation d'urgence a seulement mis en exergue, que parfois, certaines priorisations étaient plus prioritaires que d'autres, d'où leur intégration dans le plan de continuation d'activité (PCA). Cela a aussi démontré que les objectifs pouvaient s'examiner avec plus de souplesse calendaire et que dans une administration en tension, la proximité avait plus que jamais du sens.
Par un professionnalisme viscéral, des milliers d'agentes et d'agents ont spontanément tenu à être sur le terrain, à rester en lien avec les usagers, quitte à télétravailler. D'autres, actrices et acteurs de la 3ème ligne de résistance avancée par le Président Macron, sont confinés à la maison pour limiter la propagation du virus. Citoyens mobilisés, mais aussi agentes et agents de la DGFiP, ils n'en sont pas moins impatients de revenir, le moment venu, sur le terrain afin d'assurer leur mission de service public. Toutes et tous, nous sommes impatients de reconquérir ce terrain que l'administration à sacrifié au cours de ces dernières années et qu'elle prétend encore plus fragiliser avec le NRP. Mais cette conquête, comme la reprise d'activité normale, ne pourra se faire que dans le strict respect des droits des agentes et des agents.

L'e-administration, un vrai virus qui porte atteinte au service public de proximité

Pour Solidaires Finances Publiques, la dimension d'administration de terrain, de proximité opérationnelle, n'est pas une e-réalité, mais bien le corps vertueux de notre administration. Si nous devons tirer un bilan de la période actuelle, c'est bien que la DGFiP, comme bien d'autres services publics, a été mise à mal et qu'il devient urgent de trouver des moyens budgétaires pour sauver nos services publics et construire un nouveau système qui permette à l’État, à la Nation, de disposer des moyens nécessaires pour financer et mettre en œuvre des politiques sociales, justes et solidaires !