Revendiquer des droits passe nécessairement par un meilleur partage des richesses, seul à même de prendre en charge les besoins sociaux, environnementaux et économiques. Si, de manière générale, le monde n'a jamais été aussi riche, l'organisation et l'orientation actuelles du système économique est dans l'impasse et en échec : il est incapable de réduire les inégalités, de faire face aux défis environnementaux, de résorber la précarité, de surmonter la crise démocratique et d'assurer durablement un avenir heureux aux populations. Changer d'approche et d'orientation, particulièrement en matière de fiscalité, outil du « vivre ensemble », est donc une nécessité absolue. La présente contribution s'inscrit dans le cadre de la campagne "Nos droits".

Pour une réforme fiscale rendant l'impôt juste, simple et stable

De longue date, la politique fiscale est guidée par l'approche libérale prônant la concurrence fiscale et sociale, la réduction des recettes, la baisse des dépenses publiques et le modelage de la fiscalité en faveur des plus aisés afin d'attirer ou de retenir les richesses. En conséquence, dans de nombreux pays, la progressivité de l'impôt s’est affaiblie, la TVA a augmenté tandis que l’évasion fiscale s’est développée.

En France, ce mouvement s'est notamment illustré par des baisses de l'impôt sur le revenu des années 2000, une baisse brutale de la fiscalité du patrimoine entre 2007 et 2011 et, récemment, par un allègement sans précédent des prélèvements des entreprises avec le crédit d'impôt compétitivité emploi, la baisse de cotisations sociales patronales ou l'engagement de baisser le taux de l'impôt sur les sociétés à 28 %. Dans le même temps, le maintien de nombreuses «niches fiscales» a grevé le niveau des recettes publiques et complexifié le système fiscal. Enfin, la rapidité et la liberté de circulation des capitaux, le développement de l'économie immatérielle (numérique, propriété intellectuelle) ou encore le développement de l'ingénierie financière et fiscale sur fond d'affaiblissement des moyens des administrations fiscales ont largement favorisé l'évasion fiscale.

Le bilan de ces orientations est éloquent : dégradation des comptes publics, absence de relance de l'activité économique et déformation de la répartition de la charge fiscale au détriment des ménages, baisse de la qualité et de la quantité des services publics, hausse des inégalités, incapacité à financer les besoins sociaux et environnementaux...

la fiscalité est l'un des outils majeurs permettant à l'action publique d’intervenir dans la répartition des richesses. Théoriquement, son rôle est, précisément, de financer l'action publique, de réduire les inégalités et d'inciter à des comportements vertueux. Ces objectifs sont loin d'être atteints. Une réforme fiscale de fond est donc indispensable, pour financer l'ensemble des besoins sociaux et environnementaux. Elle passe par :

  • Une «revue des niches fiscales» afin d'élargir l'assiette des impôts en réduisant le coût et le nombre de ces dispositifs dérogatoires.
  •  Une refonte permettant une progressivité régulière et réelle des impôts directs.
  • Un rééquilibrage de l'imposition des sociétés en renforçant l'imposition des plus grandes entreprises, en diminuant le nombre de mesures dérogatoires, en imposant davantage le bénéfice distribué en dividendes et en clarifiant la notion d'établissement stable afin d'imposer les nouvelles activités économiques (numérique, plate-formes...).
  •  Une fiscalité du patrimoine rénovée passant par un élargissement de l'assiette de l'ISF et une réécriture de la fiscalité de la transmission du patrimoine afin de limiter la transmission de patrimoines en franchise d'impôt.
  •  Une harmonisation européenne (en matière d'impôt sur les sociétés, de TVA et de coopération pour combattre l'évitement de l'impôt) et la création d'impôts européens.
  • Un renforcement de la coopération internationale et des moyens dans la lutte contre la fraude fiscale.

Réduire le coût et le nombre de niches fiscales

Les « niches fiscales ou « dépenses fiscales » sont des mesures dérogatoires de type crédit d'impôt, déductions du revenu imposable, réductions d'impôts ou encore régimes fiscaux particuliers. Elles sont nombreuses et coûteuses : on dénombre ainsi 451 dépenses fiscales en 2017 pour un coût budgétaire global de 89,9 milliards d'euros (un montant supérieur au déficit budgétaire de l’État : 69,8 milliards d'euros en 2016). Ces « niches » mitent les assiettes fiscales (impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, impôt de solidarité sur la fortune, TVA) et constituent une source de complexité, d'instabilité et d’injustice du système fiscal. Le coût de ces dispositifs n'a cessé d’augmenter, avec notamment la création du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) : il est passé de 85 milliards d'euros en 2015 à près de 90 en 2017.

Les contribuables non-imposables n’en bénéficient pas et l'immense majorité des contribuables imposables en bénéficient bien peu (exonération des intérêts des livrets d'épargne par exemple). Si théoriquement, les dépenses fiscales poursuivent un objectif d'incitation, en réalité, elles sont dues à l'action de lobbies et sont utilisées à des fins d'optimisation fiscale. Cette dernière passe aussi par l'utilisation de certaines mesures considérées comme des modalités spécifiques de calcul de l'impôt et non comme des dépenses fiscales : on en dénombre 76 en 2017 pour un coût budgétaire de 22,64 milliards d'euros.

Les niches faussent la répartition de la charge fiscale, elles sont source de complexité mais aussi d'injustice et par conséquent d'affaiblissement du consentement à l'impôt. Pire, leur efficacité n'est que très rarement l'objet de travaux... Une « revue des niches fiscales » permettrait d'étudier le rapport « coût/efficacité/impact sur la répartition de la charge fiscale » pour identifier celles qui doivent être supprimées ou réformées et ce, afin de dégager des ressources et de procéder à une réforme fiscale de fond.

Mettre fin à l'évasion fiscale

Tout à la fois sensible à certaines hausses d'impôts et choquée par la succession des « affaires » en matière de fraude fiscale portant sur des montants considérables et des montages complexes, l'opinion est de plus en plus consciente de la nécessité de renforcer la justice fiscale et de combattre la fraude fiscale.

La fraude s'est d'autant plus développée que la globalisation financière, la déréglementation financière, les technologies du numérique et la liberté ou la rapidité des échanges l'ont intensément favorisée. Il faut ajouter à cela les effets de la concurrence fiscale et sociale qui ont exercé une forte pression sur les finances publiques et sur la structure des systèmes fiscaux. Cette concurrence s'est traduite par une baisse des impôts des « bases mobiles » (c'est-à-dire les agents économiques qui peuvent se déplacer ou déplacer aisément leurs richesses sans tenir compte des frontières) et par une augmentation de ceux des « bases immobiles » (la quasi-totalité des ménages et des PME). Dans ses travaux de 2015 et 2016, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) montre d'ailleurs clairement que le poids de la TVA et de l'impôt sur le revenu augmente tandis que celui de l'impôt sur les sociétés baisse1.

Déséquilibre du système fiscal, fraude fiscale, ces deux phénomènes ainsi conjugués nourrissent la dynamique de l'injustice fiscale et de l'affaiblissement du consentement à l'impôt. Ils sont impossibles à déconnecter. Si la plupart des États disposent de régimes fiscaux dits « attractifs » (niches fiscales en France, taux d'IS de 12,5 % en Irlande, régimes spécifiques aux Pays-Bas etc), les caractéristiques des « paradis fiscaux et judiciaires » (impôt faible voire nul pour les non résidents, secret bancaire, possibilité de créer des « sociétés écrans », absence de réglementation financière, absence de coopération internationale) ne constituent ni plus ni moins que la forme la plus extrême de la concurrence fiscale économique, financière, et sociale. Avec cependant une dimension particulière puisqu'ils permettent à toutes les délinquances économiques et financières (et, par conséquent, aux activités criminelles puisqu'elles génèrent toutes des revenus) de prospérer.

En finir avec la concurrence fiscale et sociale d'une part, et avec l'évasion fiscale d'autre part, constituent donc deux enjeux majeurs pour : financer les besoins sociaux (protection sociale, services publics, transition énergétique), rééquilibrer les conditions de l'activité économique ou encore réduire les inégalités.

Pour neutraliser la concurrence fiscale, fixer un cap au plan supranational et utiliser toutes les marges de manœuvre nationales

Les gouvernements successifs ne cessent de clamer leur volonté de mieux lutter contre la fraude fiscale. C'est également le cas dans la plupart des pays européens et de l'OCDE. De fait, certaines mesures, intéressantes, ont été votées, comme cela a été le cas en 2013 dans le cadre de la loi « anti-fraude » faisait suite à l'affaire Cahuzac. De même, les préconisations récentes de l'OCDE et les projets européens montrent que des progrès sont possibles. Il en va ainsi de l'échange automatique d'informations par exemple, une piste qui ne faisait pas l’unanimité encore récemment et qui est désormais avancée. Mais rien n'est vraiment envisagé contre la concurrence fiscale...

Pour neutraliser la concurrence fiscale, la priorité est d'agir en amont : c'est notamment le rôle de la législation. C'est l'affaire de la législation fiscale qui, actuellement, offre de trop nombreuses possibilités d'échapper à l'impôt : coopération internationale imparfaite, information partielle, nombreuses niches fiscales détournées... En ne clarifiant pas et en ne durcissant pas certains points législatifs, le risque est de favoriser la porosité entre l'optimisation (légale mais coûteuse donc peu légitime) et l’évasion ou la fraude fiscales (illégales). Dans ce cadre, une réforme fiscale de fond est nécessaire, c'est le sens de nos propositions en matière d'imposition des particuliers et des entreprises. Au niveau européen, le cap doit être celui de l’harmonisation fiscale avec, notamment, l'harmonisation de l'impôt sur les sociétés et de la TVA, un véritable échange automatiques d'informations, une coopération harmonisée (en termes de procédures de contrôle par exemple), la création d'impôts européens... Si l'unanimité est la règle en matière fiscale, rien n'empêche toutefois de porter un projet global en recherchant des alliances dans le cadre d'une coopération renforcée.

Il faut bien entendu également agir en aval... Or, de ce point de vue, il reste beaucoup à faire. Si des moyens juridiques nouveaux ont été récemment instaurés, il reste à analyser quels seront concrètement leurs effets. Mais au vu de l'insuffisance notoire des moyens humains dont disposent les administrations publiques (rappelons que 3 100 emplois ont été supprimés dans les services de contrôle fiscal entre 2010 et 2016, que les effectifs du parquet national financier ne lui permettent pas de traiter plus de 260 dossiers (il en traitait plus de 350 deux ans après sa création), la question de la capacité des administrations publiques (justice, douanes, services spécialisés de police judiciaire) de combattre ce phénomène de grande ampleur que représentent les diverses formes de fraude est clairement posée. La crise signe l'échec des choix passés en termes de concurrence fiscale et d’affaiblissement de l'action publique. Pour la justice sociale comme pour l'efficacité économique, il est urgent d'inverser cette tendance.

En finir avec l'impunité fiscale

Parmi les différentes formes de délinquances économique et financière, la fraude fiscale utilise les circuits du système économique, de son fonctionnement, des possibilités qu'il laisse pour nourrir sa dynamique et de l'absence de régulation publique. Elle « fait système ». L’évitement illégal de l'impôt (autrement dit, la fraude fiscale) représente un manque à gagner annuel compris entre 60 et 80 milliards d'euros en France (le contrôle fiscal procédant à des redressements de 21,19 milliards d'euros en 2016 soit 16,1 milliards d'euros de droits et 5 milliards d'euros de pénalités). La perte pour les recettes publiques est cependant plus élevée : la fraude aux recettes sociales, provenant du travail et/ou des revenus non déclarés, représente 20 à 25 milliards d'euros par an. La fraude aux « prélèvements obligatoires » représente par conséquent 80 à 105 milliards d'euros.

La fraude est diverse : elle concerne tout à la fois les petites sommes non déclarées (c'est la fraude « de proximité ») et les montages internationaux les plus complexes (que de nombreuses affaires récentes ont montré), mais aussi les plus difficiles à détecter et à combattre du fait du peu de coopération internationale et des moyens juridiques et humains insuffisants des administrations fiscales, douanières et judiciaires. La fraude s'est d'autant plus développée que la globalisation financière, la déréglementation financière, les technologies du numérique et la liberté ou la rapidité des échanges l'ont intensément favorisée.

Les conséquences de la fraude fiscale sont multiples. Tout d'abord, l'impôt fraudé est de facto payé par les contribuables honnêtes sous la forme de hausses d'impôt venant « compenser » une partie du manque à gagner généré par la fraude. Le service public est également touché, il tend à se paupériser sous le double effet de l'austérité et de la fraude. L'activité économique souffre également des distorsions de concurrence induites par la fraude. Enfin, tout cela pèse sur le consentement à l'impôt qui s'affaiblit dangereusement.

En finir avec l'impunité fiscale suppose nécessairement de revoir les législations fiscales afin qu'elles soient le moins perméables possible et ainsi éviter une dérive vers la fraude, de renforcer les moyens humains, législatifs et budgétaires des services de l’État engagés contre la fraude et, enfin, de revoir les conditions de la coopération internationale.

Pour en finir avec l’impunité fiscale, une démarche cohérente et globale passe par :

  • une véritable coopération en matière d'échange d'informations et de procédure de contrôle entre les États et, au plan national, entre les services fiscaux, douaniers et judiciaires,
    des sanctions fiscales et pénales maintenues et mieux articulées, selon le principe d'une riposte graduée,
  • un renforcement des moyens humains de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), du parquet national financier (PNF), de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) et des douanes et des services spécialisés (Tracfin etc),
  • un rapprochement de la BNRDF et du service national de douane judiciaire (SNDJ) afin de créer un service national fiscal et douanier judiciaire placé sous l'autorité d'un magistrat et ce, afin d'accroître l'efficacité des moyens de police judiciaire en matière de lutte contre la fraude fiscale,
  • un fonctionnement coordonné des services de la justice (PNF, Juridictions interrégionales spécialisées) ; du service fiscal et douanier judiciaire que nous prônons, de la DGFiP et des services administratifs de la douane, et ce afin que l’État s'appuie sur les différentes technicités,
  • un renforcement des moyens juridiques (échange automatique d'informations, reporting, déclaration de trusts, des montages et des prix de transferts etc),
  • la possibilité donnée à la justice de poursuivre le délit de fraude fiscale sans attendre une proposition du Ministère du budget lorsqu'elle a connaissance, notamment dans une affaire où interviennent plusieurs formes de délinquance économiques et financières.