Le 23 février 2017, la Direction Générale nous a convié à un groupe de travail relatif au « Bilan d'étape du déploiement de la facturation électronique et de la dématérialisation».

Liminaire

Nous ne pouvons que constater que les conditions du dialogue social ne sont décidément plus réunies au sein de notre administration et nous le déplorons compte tenu des enjeux pour le collectif de travail et le service public. Lorsque nous dressons ce constat, il ne s'agit pas seulement d'évoquer l'organisation de ce que nous appellerons encore ici par commodité « groupes de travail ». Au fil de leurs convocations, nous avons dit et redit ce que nous pensions de leurs conditions d'organisation qui ne répondent pas à l'objectif affiché dans leur intitulé même, une approche que vous avez d'ailleurs déjà nuancé vous-même dans votre « lexique » accompagnant le calendrier de ces réunions.

Notre constat dépasse aujourd'hui le cadre de ces enceintes et celui des instances représentatives du personnel, nationales, directionnelles ou ministérielles. D'un bout à l'autre de l'échelle des responsables de notre administration, du local au national, le fil est de plus en plus tendu avec les représentant-e-s des personnels quand il ne craque pas. La dégradation du dialogue social se constate également sur le terrain. Nos équipes et sections locales rencontrent de plus en plus de difficultés dans leur activité syndicale et l'exercice de leurs mandats. Ce sont désormais les empêchements ou tentatives d'empêchements ou d'intimidations dans l'exercice des droits syndicaux qui se multiplient pour nos militant-e-s sur le terrain.

Pour les agents, c'est la remise en cause de leur droit à être défendu.

Une réaction concrète de la direction générale s'impose. Nous l'attendons !

Casser le thermomètre ne fera pas pour autant baisser la température ! Les militant-e-s ne sont pas une menace pour notre administration et sa direction générale. Ils sont attachés au service public et à sa pérennisation, ils refusent son abandon, ils entendent organiser avec les agent-e-s et les administré-e-s et citoyen-ne-s la résistance à son démantèlement.

Nous ne pouvons et vous ne pouvez ignorer cet état de fait à l'heure où vous nous proposez cette réunion dont d'ailleurs vous ne semblez vous-même pas bien sûr du statut. Elle ne semble même plus devoir mériter dans votre terminologie même le terme de groupe de travail. Ou, si elle est ainsi recensée à l' « agenda social » (sic), c'est pour la qualifier de « réunion informative ». Quant aux fiches que vous nous avez communiquées, elles sont à l'entête d'une « rencontre » avec les organisations syndicales.

Quel sens donner à cette « rencontre » ?

Ou vous réunissiez les organisations syndicales avant la date du 20 septembre 2016 à partir de laquelle dix-huit structures publiques, collectivités pilote ont été sélectionnées pour tester Chorus Portail Pro et vous pouviez même prétendre à un groupe de travail et une réunion de concertation. Ou encore vous les réunissiez pour débattre d'un premier bilan sur cette période de test avant le 1er janvier 2017 et envisager les conditions du début de la généralisation de la facturation électronique. En l'occurrence, aucun bilan dans vos fiches de cette période de test sur ces dix-huit structures. A contrario, à peine un mois après le début de cette généralisation, vous nous présentez un état d'avancement qui est, pour le coup, sans doute précoce et que vous considérez, comme nous pouvions nous y attendre, déjà très positif !

Vous ne vous y prendriez pas autrement pour nous laisser entendre que vous vous exonérez de tout débat réel dans la poursuite de votre œuvre de démantèlement de la DGFiP et nous vous renvoyons à cet effet à toutes nos déclarations et à nos écrits qui ne sont pas confidentiels et argumentent notre appréciation d'une réalité vécue par les agents et les administrés et partenaires de notre administration.

Vous nous fournissez ce qui ressemble plus à un état des lieux de l'avancement de vos travaux en matière de dématérialisation et facturation électronique qu'à un réel bilan.

Ce n'est même pas nous qui le prétendrions, seuls de notre côté. C'est vous-même qui l'affirmez puisque vous définissez notre « rencontre » (sic) de « réunion apportant des éléments d’information et/ou de bilan sur des chantiers en cours ».

Nous nous sommes encore exprimés récemment dans notre presse sur dématérialisation et e-facturation, là où cette dernière est déjà à l'épreuve, en particulier avec l'expérience de la sphère État. Elles ne sont pas simples virtualités dans nos services mais se traduisent par une dimension concrète et des contraintes bien réelles pour les agents concernés dans l'exercice de leurs missions, se superposant aux suppressions d'emplois, et se révélant pauvres en accompagnement en formation sur le terrain.

Notre inventaire de l'existant, celui qui peut le mieux éclairer l'avenir, ne se contente pas d'analyser les chiffres de flux dématérialisés à la petite semaine, ou plutôt à la semaine sur un petit mois, et à annoncer les agapes du programme à venir. Face à vos objectifs (les simplifications, toujours les simplifications, l'entreprise, toujours l’entreprise...) et aux étapes à dérouler de ce beau programme qui semble ne devoir souffrir aucune remise en cause, nous considérons l'enjeu réel du service public. Face à vos tableaux de bord un peu secs, nous entendons et nous faisons l'écho des réalités du terrain vécues par les agents.

D'ailleurs, étrangement, dans vos fiches, aucun développement sur les réorganisations de service, de « services facturiers à la sauce SPL » et leurs conséquences pour les agents, leurs conditions de travail et les conditions d'exercice de la mission, alors même que vous déclarez que « le passage à la facturation électronique revêt une forte dimension organisationnelle ».

Tout juste une fiche qui renvoie aux préconisations d'une « étude ergonomique sur les incidences des processus de dématérialisation et la problématique du recours au double écran », diffusée par note de service RH et mise en ligne sur Nausicaa cet automne 2016. Quid des contraintes budgétaires au delà de ses recommandations ?! Quel état des lieux en matière d'équipement, quel programme pour mettre en œuvre concrètement ces recommandations ?! Ce contenu aurait dû compléter utilement votre fiche.

Nous avons ainsi déjà eu l'occasion de nous exprimer sur Chorus Portail Pro et noter les difficultés rencontrées côté-dépense État lors de la fermeture de Chorus factures en septembre 2016 pour la nouvelle solution, alors que dix-huit structures publiques, collectivités pilote sélectionnées étaient conjointement en phase de test au 2nd semestre 2016 :

Impossibilités de connexion au service pour certains fournisseurs, « bugs » pour certains ordonnateurs, avec pour conséquence l'absence de pièce jointe pour la facture et un paiement en attente. Il y a donc bien eu des incidences contrairement à vos propos. Et il ne s'agissait pourtant alors que d'une migration applicative pour des fournisseurs déjà dans le circuit. De quoi s'inquiéter pour les nouveaux fournisseurs soumis peu à peu à l'obligation.

Tout comme dans les documents communiqués en vue de la « réunion d'information » sur les « évolutions Chorus », il n'est dans ceux adressés pour cette « rencontre » question que d'outils, de leur déploiement, de la cadence de ce dernier, de « volumétrie des structures publiques » (sic)... quand il n'est pas question de « structures publiques actives sans utilisateur »... ou « actives sans connexion »... Un lexique aurait été utile et nous avons bien compris qu'il s'agissait de « robotiser » la gestion publique...

Comment pouvez-vous nous dire que Chorus Pro fonctionne bien alors que les agents du Plateau Unique Virtuel Assistance Téléphonique Ordonnateurs étaient censés assurer une assistance de niveau 1, pour les ordonnateurs qui passent par le portail de la gestion publique, mais qu'ils n'ont reçu à ce jour aucune formation à cet effet, conséquence manifestement du retard pris dans la création de l'avatar qui a mobilisé les équipes ?

De ce fait, lorsqu'ils reçoivent des appels de niveau 1 concernant Chorus Pro côté ordonnateurs, ils sont dans l'incapacité de résoudre même une partie de leurs problèmes et sont contraints systématiquement de les renvoyer vers un numéro hotline spécifique mis à disposition depuis début janvier, sans savoir qui est derrière, et/ou de leur indiquer les noms de correspondants dématérialisation Chorus Pro de leur département.

Les agents de l' « AT ordo » sont réduits à un rôle de boîtes aux lettres qui leur fait s'interroger sur leur devenir dans le cadre de Chorus Pro, d'autant qu'ils apparaissent incompétents aux yeux d'ordonnateurs quant à eux formés. Ils s'interrogent dans ces conditions sur leur devenir tout court.

Où est l'anticipation dont vous semblez vous féliciter dans vos fiches dans la préparation de l'obligation de facturation électronique ?

Vous reconnaissez vous-même que l'instruction d'application n'est pas encore publiée et devrait l'être selon vous « à brève échéance ». Vous annoncez déjà des consignes de souplesse concernant les marchés. Vous reconnaissez vous-même que « la cible « obligatoire » », à savoir l'entrée de l'ensemble des grands fournisseurs dans Chorus Portail Pro d'ici la fin de l'année, « ne sera vraisemblablement pas entièrement atteinte dès 2017 », malgré l'accompagnement dédié de l'Agence pour l'Informatique Financière de l’État (AIFE) et les moyens de grands groupes. D'ailleurs, les logiciels informatiques utilisés par les ordonnateurs sont seulement en cours d'adaptation pour permettre le téléchargement automatique depuis Chorus pro jusqu'au logiciel comptable de l'ordonnateur.

De quoi s'inquiéter de l'extension de l'obligation de facturation électronique qui doit s'échelonner jusqu'en 2020 et concerner à terme l'ensemble des entreprises, c'est-à-dire y compris les petites et moyennes à partir de 2019 et les micro-entreprises en 2020, toutes entreprises qui ont bien moins de moyens que ces grands groupes.

Cette obligation n'est pas sans conséquence non plus pour les plus petites des collectivités. Si vous vous vantez que la « solution Chorus Pro est gratuitement mise à disposition des collectivités territoriales », vous négligez un peu vite le fait que l'accès à cette « solution » nécessite parfois un investissement informatique (équipement ou mise à niveau de l'équipement préalable, logiciel adapté, mise au norme des documents) dont le coût peut, lui, ne pas être négligeable en particulier pour une petite collectivité et pour ses administré-e-s.

Là comme pour le déploiement de l'Espace Numérique Sécurisé et Unifié (ENSU) en 2018, qui pose par ailleurs la question de ce qu'est réellement un espace sécurisé en ligne, la dématérialisation est loin d'être forcément synonyme de réelle égalité des usagers face au service public.

Les obligations des lois MAPTAM et NOTRé en matière de « tout démat' », celles de l'ordonnance sur la facturation électronique, incitent à la mutualisation et au regroupement des collectivités confrontées au coût de cette obligation et aux conséquences induites par les nouvelles méthodes de travail. Côté DGFIP, le développement des Services FACTuriers et des Services d'Appui au Réseau s'inscrit opportunément dans le cadre de cette obligation de facturation électronique qui se nourrit également des opportunités liées au CHD et à son exécution de masse. Pour Solidaires Finances Publiques, ces nouvelles structures sont un outil de destruction massive du réseau de l'ex-DGCP. Elles contribuent à briser le lien de proximité entre comptables, élus et administrés et partenaires.

L'informatique, la dématérialisation ne sont que des outils.

Elles peuvent contribuer à améliorer les tâches effectuées mais elles ne sont pas la panacée universelle et elles ont un coût. La dématérialisation peut éventuellement fonctionner si moyens financiers et maîtrise de l'informatique sont réunis. Mais, dans votre conception de l'informatique, elles s'accompagnent pour les agents d'une perte de sens de leur mission de service public car ils deviennent de simples maillons dans une chaîne de travail dont la finalité leur échappe. En aucun cas, l'informatique et la dématérialisation ne peuvent et ne doivent se substituer au service public de proximité physique et de contact humain.

Plus qu'à de réelles mesures de simplifications sensées faciliter, au cas de figure, la vie des entreprises, elles répondent aux objectifs de réduction de la dépense publique et bien plus fondamentalement de désengagement de l’État avec une logique de concentration et d'industrialisation des tâches. Logique qui n'est pas sans conséquence sur le rôle du comptable public, rôle qu'elle appauvrit et dénature....alors que le contexte nécessiterait au contraire un renforcement de ce rôle au service de l'intérêt général.

Pour conclure, un véritable groupe de travail consacré à la facturation électronique dans le secteur public local, respectueux des personnels et de leurs représentant-e-s, aurait nécessité la communication d'informations et de documentation préalables qui n'existent pas au cas de figure :

Au-delà du rappel de votre calendrier et de réunions et d'expérimentations, de vos plans de communication et d'actions, où sont les éléments concrets de bilan de la période de test de Chorus Portail Pro pour les dix-huit structures publiques qui ont essuyé les plâtres à compter du 20 septembre 2016, voire antérieurement ?

Où est le recensement exhaustif des services facturiers d'ores et déjà éventuellement mis en place, actés ou à l'étude dans le secteur public local ?

Où sont les éléments de bilan pour ceux d'entre eux dont l'expérience serait le cas échéant la plus avancée ?