Le 23 octobre se tenait un groupe de travail informatif sur la stratégie numérique de la DGFiP. Piloté par CAP numérique, ce GT était le premier du genre. Sa tenue répondait notamment à notre insistance d'avoir des points d'étape réguliers sur les travaux conduits par CAP numérique dans les domaines informatiques et de dématérialisation.

Ce GT, intéressant à bien des égards, nous a procuré un certain vertige. Les outils en cours de déploiement comme ceux à venir sont à l'évidence structurants en termes de missions et de conditions de leur exercice.

Liminaire

Nous commencerons par un propos d'ordre général qui marquera notre satisfaction de voir se tenir un tel groupe de travail informatif sur les travaux conduits par l'administration en matière de numérique. Ils sont tellement rares, malgré les demandes répétées de Solidaires Finances Publiques, qu'il nous paraissait nécessaire de le souligner.
Pour autant notre satisfecit s'arrêtera là.

La plupart des projets que vous nous présentez aujourd'hui, d'une part, sont déjà bien avancés. Ils entrent d'autre part, de notre point de vue et de celui de la réglementation, dans le champ de compétence du Comité technique qui n'en a jamais été saisi formellement. Enfin, et ce n'est pas le moindre des paradoxes, l'introduction de ces nouvelles technologies, a des conséquences multiformes en matière de missions, mais également pour les personnels qui les exercent, sans que jamais un CHS-CT ne soit consulté pour en mesurer l'impact et sans que, malgré notre insistance qui dure depuis plus de deux ans, la DGFiP n'ouvre le moindre espace d'échanges (nous n'osons pas dire négociations) sur l'avenir de la DGFiP et de ses personnels dans un environnement digitalisé.

Nous le répétons à nouveau, Solidaires Finances Publiques ne fait pas de l'anti-technologie primaire. Nous estimons cependant que les techniques de l'information et de la communication doivent venir apporter une aide à l'exercice des missions, correspondre à des besoins identifiés et formalisés par les utilisateurs qui doivent être associés, ainsi que les professionnels de l'ergonomie, dès la phase de conception des outils.
Or nous ne pouvons que déplorer que l'ambition numérique de la DGFiP constitue d'abord une arme d'accompagnement de la réduction des effectifs décidée ailleurs, ensuite une arme de destruction massive des missions, des emplois et des structures.
Ces nouveaux outils ont aussi un impact négatif non-négligeable pour les administrés qui s'adressent à la DGFiP, loin de l'auto-satisfaction dont vous faites preuve dans certaines fiches.

Solidaires Finances Publiques ne peut pas ne pas vous interroger sur ce qui transpire des documents que nous allons étudier aujourd’hui. Vous connaissez notre attachement viscéral à une DGFiP proche du public, accessible à tous et toutes, quels que soient leurs lieux de vie, quelles que soient leurs connaissances techniques, et leur appétence du numérique. Vous le savez, une grande partie de la population ne se sent pas prête à passer le cap du tout numérique, et a besoin d’une présence et d’un accompagnement physique, nous ne dirions pas quotidien, mais régulier. Ce qui ressort de ces fiches, surtout de la 4, va dans une direction bien différente. À leurs lecture et analyse, on se dirige vers une suppression de l’accueil multicanal au profit d’une volonté de mettre en place un système où le contribuable devra lui-même trouver ses informations, et en priorité via internet et impots.gouv.fr. Faire en sorte que le contribuable ne se déplace que le moins possible dans les services de la DGFiP, et qu’il se débrouille par lui-même, voici bien votre but ultime. Malheureusement, les faits sont comme souvent têtus et vos projets risquent de se heurter rapidement aux besoins de nos concitoyens.

Vous le savez, à l'inverse de vos souhaits, l’accueil au guichet se maintient voire augmente. C’est un signe que le canal numérique s'il est bien sûr utilisé par de nombreux contribuables ne peut pas remplacer un véritable contact humain. La DGFiP que vous nous projetez à court terme dans ces fiches, n’est pas celle que nous portons. Nous combattons cette vision réductrice qui est pour nous fortement porteuse d’inégalité.

Au niveau de l’accueil, chaque moyen de communication doit avoir sa place au sein de notre administration et nous combattrons toute hégémonie des uns vis-à-vis des autres ! Il est capital que subsiste sur l’ensemble du territoire une présence physique qui réponde de façon technicienne et attentive à l'ensemble des attentes et besoins des usagers. Pour Solidaires Finances Publiques, le contribuable doit avoir le choix de son mode de contact, il ne doit pas lui être imposé. Pour nous internet ou accueil physique ne sont pas antinomiques l'un de l'autre, mais complémentaires !

Nous assistons en réalité à une forme d'acculturation forcée à l'usage du numérique. Cette acculturation forcée prend en premier lieu une forme législative par l'obligation progressive de déclarer et de payer ses impôts de manière dématérialisée. Ces obligations sont contestées par de nombreux contribuables que nous rencontrons durant les campagnes de réception, mais aussi au travers de certaines de leurs associations de défense.
Cette acculturation forcée prend aussi racine dans les orientations de la DGFiP qui visent d'une part à réduire de manière drastique le maillage territorial, d'autre part à bannir les espèces de nos services. Nous pourrions rajouter entre ces deux points, celui de la réduction des horaires d'ouverture qui confine, avec l'accueil sur rendez-vous, à la fermeture totale. Privés de lieux où il peut rencontrer physiquement et sans contrainte un agent des Finances publiques susceptible de répondre à ses demandes et à régler ses problèmes, renvoyé au bistrot du coin pour payer la cantine de ses enfants, le centre aéré ou tout autre service public local, l'administré n'a d'autre choix que de se rabattre sur internet... S'il le peux, car il n'a plus le choix. S'il ne le peut pas, quelle solution a-t-il ? Nous ne sommes pas les seuls à dire et écrire cela, le défenseur des droits lui-même appelle à la mesure et à la prudence afin de ne pas créer en plus des fractures sociales et territoriales, une fracture numérique. Mais le pire sans doute de cette acculturation forcée vient de vous quand l'option « tout dématérialisé » n'est pas proposée, mais bel et bien imposée, avec pour conséquence, une sollicitation directe du contribuable qui ne comprend pas pourquoi il ne reçoit plus ses déclarations et ses avis. 

« Si nous nous obstinons à concevoir notre monde en terme utilitaire, des masses de gens en seront constamment réduites à devenir superflues » Anna Arendt

En fait dans votre croisade, vous négligez l'illectronisme, vous ghettoïsez une partie de la population, vous favorisez une certaine économie, celle des starts-up, des fournisseurs d'accès, des gafa... C'est à se demander si certains décideurs n'y trouvent pas leur compte.

Au niveau de la DGFiP, vous êtes porteurs d’une vision identique. Déjà entamée avec le PAR, vous voulez faire de la messagerie le vecteur principal de communication entre les agents de notre administration et les services RH. Mais où va-t-on ? Vers une administration déshumanisée où tous les échanges se feront par mail ? Là-aussi, on voit toute la logique de votre réflexion. On met en place une nouvelle organisation, et comme celle-ci pose des problèmes en matière d’échanges et de disponibilité des collègues RH, on adapte les règles et les systèmes de communication. Au lieu de partir du besoin des collègues afin de mettre en place un système adéquat, on impose une organisation à partir du haut. Le monde à l’envers. Comme dans le cas du PAR, nous sommes contre leurs généralisations, et contre le fait de forcer leur utilisation comme vecteur unique d’échange.

Du point de vue des missions et de leur exercice, nous entrons dans une phase pour le moins critique et dangereuse. Nous n'en sommes plus à mesurer les apports des nouvelles technologies. Nous arrivons à un stade où la technologie a pour ambition de formater profondément le travail, voire à le supprimer. Le numérique modifie de ce point de vue le périmètre et le cadre d'exercice des missions, quand il ne les fait pas disparaître. Mais il ne fait pas disparaître que des missions à « faible valeur ajoutée » comme vous les nommez. D'autre part, dans un mouvement que Schumpeter n'aurait pas renié, il en crée de nouvelles. Rien n'est prévu à ce stade pour prendre en compte ces transformations, ni du point de vue des doctrines d'emplois, ni du point de vue des dispositifs de requalifications des emplois et de leur repyramidage et donc des carrières, de leur parcours et des rémunérations.

Pour en terminer nous irons sur d'autres terrains. Celui de la protection des données d'abord : pouvez-vous garantir à 100 % que les données dont nous sommes détenteurs, que nous envisageons de partager et d'ouvrir largement ne tomberont pas dans des mains qui pourraient s'en servir à d'autres fins que celles de l'intérêt général ?
Sur un plan plus philosophique ou éthique, notre acceptation des évolutions technologiques trouve ses limites : les algorithmes ne peuvent pas remplacer l'être humain et le code la loi.
Si le président Shimon Peres pariait que la France serait le premier pays totalement numérisé, nous pouvons faire le pari que la DGFiP sera la première administration totalement numérisée, mais avec quelles conséquences humaines et sociales ?
La DGFiP a décidé d'épouser la start-up Nation et l’État plateforme, excroissance du libertarisme des entreprises de la Silicon Valley qui prônent la disparition de l’État. Humblement, de manière insidieuse, la DGFiP devient actrice de sa propre disparition, pendant que les optimiseurs fiscaux comme Facebook, Microsoft, Amazon et maintenant Google viennent faire leur marché et imposer leur « politique » de disruption, s'installent en France pour dynamiter la République et faire main basse sur les starts-up qui pourraient les intéresser ( « Aujourd'hui, il est impossible de créer une start-up sans les technologies de Google. » Roxanne Varda directrice de station F, Xavier Niel fondateur).

DONC la stratégie numérique de la DGFiP c'est au final la perte d'indépendance de la France.