Tribune parue dans la quotidien Libération daté du 10 juin 2020.
Alors que la crise sanitaire du coronavirus se transforme jour après jour en crise économique d’une ampleur exceptionnelle, la question est sur toutes les lèvres : qui va payer ? Les souhaits du Medef et de la droite sont clairs : faire payer les salariés en leur demandant d’abandonner des jours de congé ou de travailler davantage. Dans une période de hausse massive du chômage, augmenter le temps de travail de ceux qui en ont un ne fera qu’aggraver la situation.
Depuis le début de la crise, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin ou Gabriel Attal rejettent tout débat sur une fiscalité plus juste pour s’en remettre à la seule générosité des plus riches et des grandes entreprises. Il est pourtant possible d’utiliser la fiscalité pour dégager des recettes supplémentaires tout en rétablissant la justice fiscale.
La concurrence fiscale et sociale qui sévit depuis une trentaine d’années a conduit les Etats à baisser l’imposition des agents économiques les plus aisés et les plus puissants. Ces baisses ont principalement concerné les impôts directs, sur le revenu et le patrimoine des ménages les plus riches ainsi que sur les bénéfices des sociétés, leur permettant de verser toujours plus de dividendes à leurs actionnaires. Elles ont été pour partie compensées par des hausses d’impôts payés par l’immense majorité des ménages, notamment des impôts sur la consommation comme la TVA, alors qu’ils sont injustes dans la mesure où ils prélèvent plus les pauvres que les riches en proportion de leur revenu.
Multiplication des niches fiscales
Dans le même temps, la multiplication des niches fiscales profite aux ménages plus riches et aux plus grandes entreprises, tout en grevant les finances publiques. Ainsi les 1 400 sites industriels les plus polluants de France reçoivent du marché carbone européen de véritables droits à polluer, tandis que les autres paient une taxe carbone nationale. De plus, les ménages les plus riches et les plus grandes entreprises rivalisent d’imagination légale ou illégale pour pratiquer l’évasion fiscale. A la fin, fraude et sous-imposition des plus aisés provoquent un manque à gagner qui dégrade cruellement les comptes publics tout en alimentant la défiance vis-à-vis de l’impôt.
Un rééquilibrage du système fiscal est donc indispensable. Il permettrait à la fois de dégager des recettes pour financer l’action publique, de réduire les inégalités, d’en finir avec la concurrence fiscale et d’améliorer le consentement à l’impôt, fortement abîmé du fait des injustices du système actuel.
Rénovation de l’ISF
Une troisième loi de finance rectificative va être débattue au cours du mois de juin. Cela doit être l’occasion de prendre des mesures fortes en matière de justice fiscale. Certaines pourraient faire l’objet d’un large consensus. C’est le cas de la contribution exceptionnelle sur les patrimoines des 1% les plus riches. Cette mesure de bon sens pourrait être mise en œuvre rapidement en apportant environ 10 milliards d’euros de recettes supplémentaires. C’est aussi le cas de la suppression de certaines niches fiscales inutiles ou anti-écologiques. Ainsi, en attendant une revue complète, nous proposons de supprimer la « niche Copé » et le «régime mère-fille» ainsi que les exonérations de taxe carbone pour les grandes entreprises. Ces trois niches représentent respectivement en 2018 un manque à gagner d’environ 7 milliards, 18 milliards et 2 à 3 milliards d’euros.
La loi de finances 2021 qui sera débattue à l’automne au Parlement pourrait être l’occasion de dépasser les dogmes néolibéraux qui ont conduit à la situation actuelle et de débattre d’une fiscalité juste qui permettrait de répondre aux enjeux de ce siècle : imposition plus progressive des revenus et des patrimoines, rétablissement et rénovation de l’ISF, suppression des niches fiscales inutiles, taxation des transactions financières ou encore outils pour mettre un terme à la concurrence, la fraude et l’évasion fiscale.
Face à la crise du coronavirus, plus que jamais, chacun doit payer sa juste part d’impôt.
Signataires : Fabien Roussel, député du Nord (PCF) ; Jean-Luc Mélenchon, député des Bouches-du-Rhône (LFI), président du groupe LFI ; Régis Juanico, député de la Loire (PS) ; Christine Pirès Beaune, députée du Puy-de-Dôme (PS) ; Alexandre Derigny, secrétaire général de la fédération CGT Finances ; Anne Guyot Welcke, secrétaire nationale Solidaires Finances Publiques ; Chantal Cutajar, présidente de l’Observatoire citoyen pour la transparence financière internationale ; Luc Carvounas, député du Val-de-Marne (PS) ; André Chassaigne, député du Puy-de-Dôme (PCF), président du groupe GDR ; Esther Benbassa, sénatrice écologiste de Paris ; Clémentine Autain, députée de Seine-Saint-Denis (FI) ; Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac France ; Nicolas Sersiron, vice-président et ancien président du CADTM France ; Benoît Teste, secrétaire général de la FSU