SOLIDAIRES FINANCES PUBLIQUES

Communiqué de l’association ATTAC du 26 avril sur le projet de l’Union européenne qui négocie une directive sur la transparence fiscale des multinationales que le gouvernement français tente en coulisses de saboter en diffusant une position... coécrite avec le Medef.

"Les organisations du mouvement social et citoyen, regroupées dans la plate-forme des paradis fiscaux et judiciaires, défendent depuis des années une proposition permettant de mettre fin à l’opacité fiscale : l’obligation imposée aux multinationales de réaliser un reporting public annuel pays par pays de leur activité. Comme les banques depuis 2015, il s’agit d’obliger les entreprises multinationales à publier des informations relatives à leur activité réelle dans chaque pays : quel chiffre d’affaires ? Quel bénéfice ? Combien d’emplois ? Combien d’impôts payés ?

Une telle préconisation s’inscrit dans la volonté d’en finir avec l’opacité fiscale. Il s’agit également en quelque sorte de prolonger la stratégie du « name and shame » à l’origine des « listes noires » des territoires non coopératifs, notamment en rendant possible l’identification des entreprises qui ne déclarent pas leurs bénéfices là où elles réalisent leurs profits. Le reporting participerait ainsi à la transparence de l’activité des multinationales et permettrait aux citoyen·ne·s et contribuables de vérifier si ces entreprises ont cessé de transférer artificiellement leurs profits dans des paradis fiscaux. Après plusieurs années de blocage, un accord sur un projet de directive de la Commission européenne pourrait constituer une avancée alors que, depuis plus de 12 ans, les affaires et les révélations s’enchaînent sur l’évasion fiscale. Mais les espoirs d’une avancée historique ont été douchés par le gouvernement français.

Cela faisait plusieurs jours que la rumeur bruissait : une note rédigée par le gouvernement français allait fuiter et démontrer le double jeu de la France, officiellement favorable à cette directive mais œuvrant en coulisses pour la saboter. Quelle ne fut pas notre surprise à la lecture de l’article de Contexte : non seulement la position de la France consiste à fixer des lignes rouges qui amenuisent fortement l’ambition de cette directive, mais en plus ce document a été rédigé en partie par le MEDEF, hostile au reporting public ! Un étrange double jeu vient donc d’être révélé : s’inspirant de cette note, le gouvernement aurait menacé de quitter les négociations si ses lignes rouges fixées n’étaient pas respectées. Avec le risque de plomber ce projet et de laisser perdurer l’opacité. Les ONG mobilisées pour le reporting public pays par pays ont immédiatement réagi : « la France se fait le porte-parole du MEDEF ».

Certes, cette note soutient la position du Conseil de l’Union européenne, mais celle-ci est beaucoup moins ambitieuse que le projet du Parlement sur la transparence fiscale, réclamée de longue date par les ONG mobilisées contre l’évasion fiscale. Le gouvernement français entend limiter la portée de cette directive, en autorisant une déro­gation à la révélation de certaines informations que les entreprises considéreraient comme sensibles, pour une durée de six ans. La transparence fiscale sur les données de 2021 publiée en 2027, voilà qui fait rêver tant cela serait inutile ! Au surplus, Bercy veut limiter géographiquement ce reporting, en réclamant que les données relatives aux pays hors de l’Union européenne soient agrégées, exception faite de l’activité dans quelques paradis fiscaux.

Contraint de réagir, Bercy a adopté une défense surprenante : le ministère de l’économie reconnaît avoir utilisé “un document créé au départ par le Medef”, mais n’y voit pas de problème car celui-ci a été "profondément remanié par le ministère". Il existe donc des communicants à Bercy qui considèrent normal que le ministère écrive des notes à partir de documents rédigés par le Medef à propos d’une directive portant sur la transparence fiscale des multinationales, donc des entreprises représentées par le Medef ? Avec la complicité du gouvernement, le Medef est donc juge et partie !

Mesure-t-on bien l’ampleur du scandale ? Alors que l’évasion fiscale des multinationales prive les États de milliards d’euros de recettes fiscales chaque année, il est absolument scandaleux d’apprendre que le gouvernement français se fait le porte-parole du Medef pour affaiblir la directive européenne sur la transparence fiscale ! Et c’est le même gouvernement qui prétend que la lutte contre l’évasion fiscale est une de ses priorités…

Pour Attac, il y a urgence à ce que le gouvernement mette ses actes en conformité avec ses déclarations. Il s’agit aussi de ne pas être à rebours du mouvement, alors que le climat pourrait s’améliorer sur le front de la lutte contre l’évasion fiscale, en témoigne la proposition de Joe Biden d’instaurer un taux minimum de 21 % sur les bénéfices des multinationales. Plus globalement, il y a nécessité pour les États de combattre un fléau qui plombe leurs recettes publiques, fausse l’activité économique et mine le consentement à l’impôt. Cela passe aussi par le reporting public qu’Attac et les ONG engagées dans la lutte contre l’évasion fiscale réclament.

Mais, pour obtenir satisfaction sur ces revendications, cela suppose plus que jamais la séparation du Medef et de l’État !"