Sur l’air bien connu de la « simplification », Gérald Darmanin prône désormais la suppression de la déclaration obligatoire des revenus, laquelle ne serait maintenue que lors des changements de situation.
Cette réflexion (décision?) est particulièrement préoccupante à bien des égards.
- Elle affaiblirait le principe déclaratif. Dans une période où l’on parle de la relation entre le citoyen et l’impôt, il y a une sacrée contradiction à envisager de supprimer le lien citoyen par excellence qu’est l’acte déclaratif de l’ensemble des foyers fiscaux, imposables ou non. Disons-le tranquillement : distendre ce lien citoyen est tout bonnement irresponsable.
- Elle enverrait le signal que la déclaration est supprimée à quelques encablures de la campagne déclarative, ce qui va immanquablement créer du trouble et ce, alors que de nombreux foyers fiscaux solliciteront les services de la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP) comme c’est le cas chaque année. En particulier, la prochaine campagne de déclarations sera marquée par de nouvelles interrogations sur l’évolution du prélèvement à la source des contribuables.
- Elle interrogerait chaque année les contribuables qui, connaissant de légers changements dans leur situation familiale et financière, se demanderaient s’ils doivent ou non effectuer une déclaration.
- Elle rendrait l’impôt sur le revenu moins lisible puisque de nombreux contribuables qui ne déposeraient plus leur déclaration et « découvriraient » les changements fiscaux dans leurs prélèvements « à la source » et/ou dans les régularisations à postériori.
Alors que la demande de justice fiscale et sociale n’a jamais été aussi forte et légitimerait une véritable réforme fiscale, le gouvernement lui ferme la porte et s’engage sur la voie d’une « fausse simplification ». Celle-ci ne serait pas neutre. Une telle décision aggraverait l’affaiblissement du consentement à l’impôt, celui-ci étant déjà mal en point. Il s’agirait là d’un alignement sur le modèle libéral, au mépris de ses principes de base. A titre d’exemple, la déclaration des revenus n’est pas obligatoire en Grande-Bretagne mais elle est fortement recommandée, notamment lorsque le contribuable perçoit des revenus autres que salariaux. Mais, outre que les modèles ne sont pas transposables, à la différence de la France, le quotient familial et conjugal n’y existe pas.
Le pire n’étant jamais sûr, au-delà, il faut également mettre ces propos au regard de l’idéologie et des orientations fiscales de ce gouvernement. Gérald Damarnin a récemment publiquement exprimé sa préférence pour la contribution sociale généralisée (CSG) sur l’impôt progressif, dans la droite ligne des « libéraux conservateurs » du 19e siècle qui n’ont cessé de fustiger l’impôt sur le revenu progressif déclaratif et la contrepartie du système déclaratif, le contrôle fiscal. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ces propos sont tenus dans une période où le gouvernement s’acharne à réorienter et à affaiblir le contrôle fiscal.
Avec l’affaiblissement du droit du travail, la volonté de dynamiter la fonction publique et l’un de ses piliers (la DGFiP), la baisse des impôts des plus aisés, et la pression salariale, le bilan de ce gouvernement était déjà éloquent. Mais le pire n’étant jamais sûr, pourquoi ne pas s’attendre prochainement à ce que, sur fond de simplification, le gouvernement décide de supprimer l’impôt sur le revenu et de revaloriser la CSG. Quitte à mépriser des principes fondamentaux toujours modernes (beaucoup plus que les archaïsmes conservateurs), à nier le rôle de l’impôt dans le financement de l’action publique et à persister dans la volonté d’accroître les inégalités (ce que la mise en œuvre du prélèvement forfaitaire unique et la suppression de l’ISF vont favoriser), autant y aller franco : « passé les bornes, il n’y a plus de limites »…