SOLIDAIRES FINANCES PUBLIQUES

Le e-commerce devient, à l’échelle mondiale, un enjeu majeur, voire titanesque. Qu’on s’en félicite ou qu’on le déplore, cet accroissement exponentiel va sûrement se poursuivre dans les temps qui viennent. La crise sanitaire elle-même, peut s’analyser comme un accélérateur supplémentaire de ce point de vue.

Le défi se situe à différents niveaux qui vont du contrôle jusqu’à l’organisation du commerce, en passant par les impacts en matière de rentrées fiscales. En tout état de cause, le thème de la régulation constitue un dénominateur commun à l’ensemble.

Et, pour l’heure, la chose semble plutôt mal partie.

Depuis le 1er juillet, les autorités douanières ont mis en place une nouvelle déclaration répondant au nom bucolique « H7 ». Celle-ci est prévue pour tous les envois déclarés inférieurs à 150 euros. Pour mémoire, il existe une franchise de droits de douane jusqu’à ce seuil. Par contre, la TVA est due au premier euro. Les plate-formes doivent se muer en collecteur et devront reverser ce colossal butin de guerre au bout d’un mois à la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP). Au passage, ceci constitue un beau cadeau en matière d’avance de trésorerie, car les montants sont conséquents.

Sachant que lesdites plate-formes sont plus ou moins « atteignables » (établissement ailleurs qu’en France, voire dans une puissante contrée aussi lointaine que nord-américaine ou asiatique), la main de l’État risque fort de ne brasser… que du vide !

Mais plus fort encore, depuis une semaine il semble que la Douane indique qu’elle ne procède pas à des contrôles physiques concernant la valeur de ce qui est importé sous couvert d’une déclaration H7. L’attention est portée uniquement sur les réglementations d’ordre public.

En clair, on vérifie si le colis ne contient pas un chargeur de Kalachnikov. Par contre, si jamais il renferme des marchandises qui, dans un petit envoi, doit entraîner le versement de 200 euros, ces derniers sont perdus… C’est de la bagatelle peut-on être tenté de dire… Sauf si on sait qu’il y a plusieurs centaines de milliers de ce type d’importation par jour ! En réalité, il devient difficile d’estimer les dégâts potentiels. Est-on dans l’ordre de centaines de millions par an ? Voire dans l’ordre de grandeur des milliards ? Par prudence, pour notre part, nous ne prendrons pas le risque d’exclure cette dernière option.

D'autant que techniquement, les téléprocédures ne fonctionnent pas complètement, quand elles ne sont tout simplement pas en panne...

Au bout du compte, on a plus ou moins l’impression que l’on a « pondu » un système fiscal caractérisé au fond par un « paye qui veut bien… », assez général !

Or, même les opérateurs économiques (entreprises, professionnels) les plus vertueux seront coincés car ils devront s’approvisionner auprès de fournisseurs qui vont imposer un diktat en la matière (et, pour eux, le fait d’acquitter correctement la TVA ne fait partie des priorités…).

Par ailleurs, en termes de concurrence, c’est une forme d’open bar à celui qui ne jouera pas selon les règles. Simple petit témoin avertisseur : certains sites sont parfois, en matière de prix, systématiquement 20 % en dessous de leurs concurrents. Bigre, mais que peuvent donc bien représenter ces 20 % ?!? Ne serait-ce pas tout bonnement la TVA qui deviendrait, par son non-paiement, une forme d’avantage commercial sur le dos des Finances Publiques ?

Il y a là aussi une question de concurrence et de structuration économique. On risque de voir fleurir des entrepôts, plutôt qu’une activité commerciale. De bonnes vieilles enseignes (par exemple, l’une à 4 lettres comportant le F, le N et le C, et l’autre ayant beaucoup communiqué sur le « contrat de confiance ») risquent fort de n’avoir plus qu’une clientèle résiduelle ou d’être réduites à une fonction de show-room.

Cet avantage fiscal peut également profiter à des opérateurs peu scrupuleux, comme on peut parfois le constater avec le dropshipping, modalité -légale- de vente à distance dans laquelle les commandes se font sur le site internet d’un e-commerçant, lequel transmet la commande directement à un fournisseur… Cette pratique suscite de nombreuses plaintes de consommatrices et consommateurs auprès d’une autre administration de Bercy, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF).

Si on nous explique qu’ainsi va le monde moderne et qu’on ne peut lutter contre le sens de l’histoire, c’est, à notre sens, un peu court… En effet, il n’est pas question de tout bloquer ou tout empêcher. Le propos est simplement d’avoir une réponse suffisante en matière de contrôle, face à des enjeux massifs. Ceci suppose une combinaison de trois éléments : des moyens, un cadre juridique et une volonté politique. On se demande si cela ne pêche pas au niveau des trois…

Et voici l’arme absolue que l’on nous oppose : nous sommes dans une situation contrainte par une question de concurrence intra-européenne.

Cette course à être « le moins disant » nous serait imposée, sauf à être distancés dans une course aux importations et aux plus gros « hubs ».

Mais que voilà donc de la « Grande Europe » ! Si on résume : l’Union semble rester cet être au mieux naïf, ouvert à tous les vents (économiques) et, au pire, cynique, déployant des trésors d’énergie à batailler en interne (éventuellement pour certains, avec un rien de complicité avec d’autres puissances du village mondial). Affligeant ?

Mais l’exemple qui nous occupe montre que cette révolution culturelle, nécessaire à Bruxelles, doit aussi être faite à Paris. On pouvait espérer que certains éléments mis en lumière par la crise sanitaire (besoin d'interventionnisme économique et de régulation étatique) soient une leçon sur une politique, dont on se demande quelle est l’issue finale. Peut-être celle du déclassement qui s’amplifierait.

En fait, nous sommes de moins en moins sûrs de cette prise de conscience d’un virage aussi nécessaire que salutaire. Bien au contraire, c’est plutôt le « business (e-business au cas d’espèce) as usual » qui semble prédominer.

Au final, le constat est peut-être celui d’un simple affichage, avec une traduction dans les faits qui semble bien éloignée des discours volontaristes.

D’aucuns risquent de ramasser la mise avec gourmandise… Et là, le mot « capitulation » risque de prendre toute sa dimension, y compris historique.