Nous vous le répétons depuis quelques jours, le rapport du Comité CAP22 devrait être remis au gouvernement dans les tous prochains jours. Preuve de l'imminence de cette remise, la lettre que vient d'adresser le ministre de l'Action et des Comptes Publics, Gérald Darmanin, aux cadres supérieurs de son ministère.
Une opération de séduction assez classique, somme toute, et qui ressemble fort à celle qu'avait menée le gouvernement Sarkozy lors de la fusion. Les vieilles habitudes politiques que l'on nous répète issues de l'ancien monde ont la vie dure et ne s'effacent pas d'un trait de trahison.
S'attacher l'appui et le soutien des cadres, les flatter et les rassurer au moment d'annoncer et de lancer des réformes profondes comme celles que porte le programme Action publique 2022 est pourtant une pratique courante. Gageons que nos cadres s'inspirant de l'adage un « homme avertit en vaut deux » ne tombent pas comme un seul homme dans le panneau.
Les mots du ministre valent leur pesant de cacahuètes.
« L’ensemble des administrations de l’État sont engagées dans un processus de transformation ambitieux baptisé Action Publique 2022. Ce programme poursuit trois objectifs : une meilleure qualité de service aux usagers, des conditions de travail modernisées pour les agents et la baisse des dépenses publiques ». L'objectif réel du programme Action Publique 2022 est de trouver les voix et moyens de concrétiser la promesse du candidat Macron de supprimer 120 000 emplois dans la Fonction publique (dont 50 000 à l’État). C'est aussi une entreprise de réduction de la dépense publique censée répondre aux doutes de la Commission sur la capacité de la France à honorer ses engagements budgétaires. La commission estime en effet que les prévisions françaises sont fragiles, car ne s'appuyant pour l'instant que sur une croissance soutenue engendrant des rentrées fiscales plus abondantes. Ce n'est pas pour rien si ladite commission insiste auprès du gouvernement pour qu'il rende publiques les conclusions de CAP22 dans les délais les plus brefs.
« Afin de contribuer à cette réflexion sur les politiques publiques, le Gouvernement a mandaté le Comité Action Publique 2022 (CAP 22), dont le rapport sera publié prochainement. Les orientations retenues par le Gouvernement seront arrêtées, après un temps de concertation, à l’occasion d’un Comité Interministériel de la Transformation Publique (CITP) qui se tiendra à l’été. La mise en œuvre de ces orientations sera ensuite concertée au sein des administrations et fera l’objet d’un suivi régulier en CITP ». Une publication donc le 11 juin, un temps (1 mois ?!) de « concertation » (avec qui ?) : c'est une blague ! Quand on constate la manière dont le gouvernement et son secrétaire d’État à la Fonction publique, traître parmi les traîtres à ses convictions et aux valeurs qu'il prétend porter, mènent les discussions sur le volet dialogue social et RH, nous pouvons affirmer qu'il n'y aura aucune concertation, encore moins de négociations, sauf si les personnels s'en mêlent vraiment. Les organisations syndicales, les fédérations de fonctionnaires ne sont en réalité qu'informées de décisions déjà arrêtées. Leurs seules marges d'intervention résident sur la mise en œuvre, et encore. Cela s'appelle la démocratie sociale.
« Pour l’avenir, il s’agit de simplifier le maquis fiscal en supprimant les petites taxes à faible rendement, ainsi que le recouvrement tant fiscal que social qui, par sa dispersion actuelle, est une source de complexité pour les entreprises ». « Le rapprochement du recouvrement fiscal (de la Douane, NDLR) autour de la DGFiP ne remet pas en cause la mission fiscale de la douane ». Si la DGFiP devrait récupérer tout ou partie des missions de recouvrement exercées par la Douane (sans doute sans les emplois correspondants ?), la question du maintien des missions de recouvrement des impôts et taxes dues par les entreprises est bel et bien posée. Il n'y aurait à terme, à l'analyse des annonces du ministre, qu'un seul opérateur de recouvrement compétent pour les entreprises : la DGFiP ou l'URSSAF ?
« Les administrations fiscales et douanières doivent aussi s’attacher à la mise en œuvre des dispositions prévues par la loi pour un État au service d’une société de confiance (ESSOC) et, de manière transversale, le développement du numérique crée des opportunités dont il faut tirer profit pour les missions de contrôle ou pour alléger le poids de gestion du numéraire. Enfin, l’expérimentation d’agences comptables auprès de certaines collectivités territoriales de grande taille sera engagée ». Le conseil en lieu et place du contrôle, le data mining et le contrôle par algorithme, la fin du contrôle fiscal tel que nous le connaissons et que nous le pratiquons s'avance. Avec lui la fin définitive du numéraire dans les centres des finances publiques (les contribuables iront payer à la Poste), des transferts d'emplois sans précédent vers les collectivités territoriales (donc pour les personnels qui pourront ou voudront suivre la mission, un changement de statut) et la mise à mort finale de la séparation ordonnateur/comptable. Il faut ici rajouter la finalisation du passage en comptabilité privée de la gestion des HLM et encore le main mise de l'IGN sur la mission topographique entre autres réjouissances. Le prélèvement à la source et la suppression progressive de la TH, et ce sont les SIP qui sont en voie de disparition.
« Concernant les effectifs, je vous confirme que nos ministères contribueront aux 50 000 suppressions d’emplois dans la fonction publique d’Etat prévues lors du quinquennat, mais ne seront pas les seules administrations participant à cet effort. Le niveau des suppressions d’emplois sera défini après avoir finalisé la réflexion sur les missions ». Les ministères économiques et financiers contribueront à l'effort, ça nous n'en doutions pas un instant. Mais nous sommes rassurés de savoir que nous ne serons pas les seuls. Merci, mais qui d'autre ? La Justice, la défense, l'éducation nationale, l'Intérieur ? Aucun de ces ministères (les plus importants en effectifs) ne semblent pourtant dans la visée du gouvernement en matière de réduction des effectifs, au contraire. Alors qui d'autre ? Quelques ministères et administrations pourraient contribuer, mais c'est bien Bercy qui sera « taxé » le plus fort, et à Bercy, la DGFiP. Notre estimation de 18 à 20 000 suppressions d'emplois se crédibilise de plus en plus. Mais nous avons de la chance, le niveau des suppressions d'emplois ne sera défini qu'après avoir finalisé la réflexion sur les missions (déjà bien avancée). Le budget 2019, en préparation, marquera sans aucun doute le début des hostilités (CQFD).
« Je vous informe que j’ai, par ailleurs, confirmé aux organisations syndicales le report du RIFSEEP pour les corps de la DGFIP et de la DGDDI au-delà de 2019 ainsi que la tenue des élections de décembre ; j’ai également annoncé des travaux sur l’action sociale qui est une politique importante de nos ministères, et évoqué la situation du site du Tripode ». Merci monsieur le ministre. Le report de la mise en œuvre du RIFSEEP est lié uniquement au fait que les deux administrations citées n'étaient pas prêtes techniquement à basculer dans le nouveau régime indemnitaire dont on ne sait pas à ce jour s'il sera conservé. Les travaux de l'action sociale sont en réalité des travaux de démolition. Les orientations visent à détruire tous les acquis du mouvement de 1989, dans un contexte régulier de baisse des budgets et à la DGFiP d'un plan de fermeture des structures de restauration. Il faut bien solder le passé, à Bercy comme ailleurs, c'est la grande mode du moment !
http://www.solidairesfinances.fr/images/Doc/2018_05_31_Action_Sociale.pdf
Quant au Tripode, G.Darmanin soit ne manque pas d'air, soit fait semblant de pas connaître l'état du dossier. Il est le suivant : le bâtiment Tripode, à Nantes, site amianté et démoli depuis de longues années, n'a pas été reconnu comme site exceptionnel, ce qui aurait permis d'ouvrir des droits particuliers aux nombreuses victimes de l'amiante ayant travaillé sur place. Pire, les propos des rapporteurs de la mission d'inspection (IGAS) dénient toute dignité et toute souffrance aux malades quand ils ne rangent pas les décès au rang des pertes et profits. Un scandale que ni le ministre, ni la secrétaire générale des ministères économiques et financiers n'ont eu le courage de contester.
http://www.solidairesfinances.fr/images/Doc/2018_05_17_IGAS.pdf
Le tsunami arrive et il fera des victimes partout et dans tous les grades. Déjà les débouchés fonctionnels et de carrière s'amenuisent pour les cadres intermédiaires, conséquences des regroupements et des fusions de service. Le plan de départementalisation des SPF accentuera le mouvement, tout comme la fusion de certaines directions. Les autres peuvent préparer leurs baluchons d'autant que leurs garanties de gestion ont commencé à être détruites. La qualité de service, le professionnalisme, le sens du service public sont renvoyés aux oubliettes de la République. Reste la résistance active et collective pour s'en sortir. Le pire n'est jamais certain !