Disons-le tout de suite, ce groupe de travail du 04/02/2025 n’a pas permis de dégager une solution immédiate à la problématique que nous avions posée, à savoir la sécurisation des agents par des processus clairs.
Si les documents étaient un peu moins indigents que lors du précédent GT, c’était surtout dû au recensement des décisions rendues, permettant malheureusement d’apprécier bien trop faiblement la tendance de jurisprudence qui se dégage.
L’ordre du jour mentionnait un « volet juridictionnel de la réforme », puis « l’appropriation de la réforme par la DGFiP » (sic).
Sur l’aspect jurisprudentiel :
Un point très complet a été présenté sur les arrêts déjà rendus (en PJ) par la 7ème Chambre du contentieux de la Cour des Comptes et la Cour d’Appel Financière.
Les 20 arrêts en mode « RGP » (5 en 2023, 14 en 2024 et 1 en 2025) incluent les procédures dont l’origine est liée à des procédures préalablement engagées devant la CBDF (cour de discipline budgétaire et financière). Sur les 20 affaires, 18 concernent uniquement la sphère SPL et 2 seulement concernent la DGFiP (Eure et Grignon).
Sans qu’il soit permis de dégager une réelle jurisprudence des décisions actuelles, certaines tendances semblent se dégager.
La faute grave est appréciée par le non-respect des réglementations et/ou de la prudence. Pour se faire la Cour se base sur un faisceau d’éléments comme le positionnement de la personne, le non-respect des process, voire la réitération de la faute.
Pour étayer sa décision, elle utilise toute donnée en sa possession, comme l’organigramme fonctionnel et les processus métiers.
Or, aux termes de l’article L131-16 du Code des Juridictions Financières (CJF), « les amendes sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées et le cas échéant à l'importance du préjudice causé à l'organisme ». Cela sous-tend que la réitération n’est pas en elle-même une faute grave.
Il y a donc là une volonté de la CDC d’élargir son champ de compétence, la réitération devenant intrinsèquement une faute grave.
L’appréciation du préjudice financier n’est également pas totalement fixée, avec des préjudices jugés significatifs à 0,24 % du budget, mais également jugés significatifs par leur montant lui-même, parfois pour 10-15000 euros.
L’approche de la cour n’est donc pas univoque sur ce caractère significatif, alors que l’article L131-9 du CJF dispose que « le caractère significatif du préjudice financier est apprécié en tenant compte de son montant au regard du budget de l'entité ou du service relevant de la responsabilité du justiciable ».
La encore, la CDC ne veut pas se laisser entraîner dans quelque chose de trop contraignant pour elle et souhaite garder la main. C’est d’ailleurs le sens des propos de son Premier Président qui déclarait que le dispositif de mise en cause actuel était trop restrictif et qu’il faudrait donc l’élargir.
La DGFiP nous indique avoir été consultée et avoir demandé que l’approche soit effectuée uniquement par rapport au budget ou, à défaut de budget, à des éléments financiers significatifs.
Il nous semble étonnant que la DGFiP soit surprise des approches retenues, alors qu’elle a toujours certifié avoir pris une part active à la rédaction du texte. Les notions de faute grave et de préjudice significatifs n’ont donc pas été réfléchies et débattues lors des réunions conjointes avec la CDC ?
Aucune réponse claire n’a été apportée à cette question.
Sur la Protection Fonctionnelle :
Dans son arrêt du 29 janvier 2025 (N°s 497840, 498835), le Conseil d’État a sifflé la fin de la partie, précisant que, dans sa note 360/24/SG du 2 avril 2024 (en PJ), « la secrétaire générale du Gouvernement n’a pas méconnu le principe général du droit à la protection fonctionnelle en estimant qu’un agent poursuivi devant la chambre du contentieux de la Cour des comptes n’était pas fondé à s’en prévaloir ».
Exit donc la protection fonctionnelle pour les mis en cause devant la chambre du contentieux de la CDC au titre de la RGP, sauf changement législatif futur, que la DG s’est engagée à porter mais qui reste plus qu’aléatoire.
En attendant, quel soutien la DGFiP compte-t-elle apporter aux collègues mis en cause ?
Par l’intermédiaire de la Mission Responsabilité, doctrine et contrôle interne comptables (MRDCIC), un soutien peut être apporté à toutes les phases de la procédure, ce qui est le cas dans les 2 affaires concernant la DGFiP à ce jour, même pour des comptables en mobilité externe (petit GIP par exemple).
Mais la volumétrie de l’équipe dédiée au sein de la MRDCIC a été ramenée de 7 personnes en 2020 à seulement 2 actuellement. Pourtant, même si le volume est sans commune mesure (20 arrêts de la CDC maintenant en mode RGP contre 300 débets par CDC + 600 par la Chambre Régionale en mode RPP), la charge de travail par affaire se quantifie très différemment. La MRDCIC produit donc des commentaires sur chaque arrêt et accompagne chaque agente ou agent qui le souhaite. D’où la nécessité pour les collègues mis en cause de se manifester le plus rapidement possible auprès d’elle pour construire leur défense. Cependant, la MRDCIC ne pouvant se substituer à eux, la jurisprudence s’établira uniquement si les agentes et les agents interjettent appel de la décision, voire se pourvoient en cassation devant le Conseil d’État.
Sans protection fonctionnelle, au regard de l’importance des frais d’avocat (environ 10000 € par niveau) par rapport aux montants des amendes prononcées, il n’est pas évident que les collègues poursuivent la procédure. Rappelons que le recours à un avocat n’est pas obligatoire en première instance et en appel, mais le décorum rue Cambon peut être assez décontenançant pour un agent.
Puisqu’est annoncé par le Premier Président de la CDC, une évolution d’ici 3 ou 4 ans, la DGFiP doit se mettre en ordre de bataille pour faire évoluer les points les plus saillants : faute grave, préjudice significatif, assistance aux agents mis en cause…
Sur l’appropriation « métier » par la DGFiP :
On voit clairement que cette appropriation est poussive, puisque les processus métiers ne sont absolument pas à la hauteur des enjeux de la réforme. C’est « surprenant » puisque la DGFiP était, selon elle, partie prenante de la décision et de la mise en place avec la Cour des Comptes. Elle aurait donc pu les élaborer bien en amont. D’autant plus étrange que le 1er président de celle-ci annonçait récemment avoir « gagné la bataille contre nos amis des Finances ». Lorsqu’on co-produit une réforme, on le fait en bonne intelligence et pas dans une logique de « gagnant/perdant ».
Or, ici nous ne sommes clairement pas sur du « win/win » pour reprendre un terme cher à nos élites.
Nous sommes même clairement sur du « loose/loose », avec bien moins d’affaires contrôlées par la CDC maintenant en mode « RGP » (20 arrêts de la CDC maintenant contre 300 débets par CDC + 600 par la Chambre Régionale). Donc, la possibilité pour n’importe quel agent de la chaîne hiérarchique d’être mis en cause personnellement, quel que soit son grade et sans possibilité de s’assurer contre ce risque. Ceci, alors que la responsabilité du comptable était, elle, pour partie indemnisée et que la possibilité assurantielle existait.
Pour autant, si l’idée d’associer l’ordonnateur à la responsabilité pouvait sembler intéressante, les retombées en « victimes collatérales » sur les agentes et agents de la DGFiP laissent songeurs.
En effet, la DG tire comme conclusion des 2 arrêts où les collègues ont été mis en cause, que celle-ci était surtout « la faute à pas de chance », arguant que la CDC n’ayant pas les moyens matériels de se saisir de plus de dossiers et que la saisine de la CDBF par le Conseil Départemental, dans l’un (Eure), et la publicité de l’affaire dans l’autre (Grignon), ont seuls amené la CDC à s’y intéresser.
Peut-on se satisfaire que, dans une administration de contrôle comme la DGFiP, les agentes et agents échappent à une mise en cause du simple fait que l’organisme chargé de juger les fautes ne serait pas en capacité de remplir sa mission ? Pour SolidairesFinances Publiques, le problème mérite un traitement bien plus profond, les collègues méritent bien mieux que ça : elles et ils doivent être sécurisés !
Car, indépendamment du nombre, toujours trop important pour celles et ceux qui sont touchés, le ressenti des collègues face à ce risque est réel.
En effet, le NRP, qui tend à automatiser les tâches au détriment du sens de la mission, à abaisser le niveau de technicité de certains chefs de service, a un impact extrêmement fort sur le risque lié à la RGP.
Quelles problématiques cela pose-t-il dans l’organisation du service ? comment sécurise-t-on les opérations ? Il y a nettement une carence de l’administration sur le sujet.
Pour Solidaires Finances Publiques, il est plus que nécessaire d’adapter les processus de travail à la réforme NRP.
En secteur public local, par exemple, le fonctionnement « en mode RPP » est presque systématiquement maintenu, notamment avec la problématique de la délégation générale de signature, alors que la responsabilité peut, elle, être transférée, au moins partiellement.
Quelles garanties en matière d’organisation des collectifs de travail ? Quelles consignes claires, écrites, des chefs de services, tirant leur origine dans une/des notes nationales établissant les différents process de travail, avec des seuils clairs pour chaque catégorie et chaque positionnement ? Pour quelles responsabilités hiérarchiques affirmées ?
Nous avons exigé, dès la déclaration liminaire, comme nous l’avions fait lors du CSAR de cet automne, que cette note voit enfin le jour, qu’elle précise les conséquences de la mise en œuvre de la RGP sur le visa des paiements, les seuils, les délégations de signatures. Qu’elle confirme qu’un mandat de paiement ne doit jamais être validé quand, au regard des pièces, il est irrégulier, et ce malgré les pressions en tout genre qui peuvent exister, notamment sur les délais.
Il est donc particulièrement urgent que la DG prenne ses responsabilités, qu’elle rappelle et impose aux directions et aux comptables un cadrage écrit des opérations et clarifie les points essentiels de responsabilité.
A nos interrogations, la DG a tout d’abord répondu que la solution était le NRP lui-même !!!
Que la spécialisation des agents était gage d’une bien plus grande sécurisation et que GP1 (Sous-direction de la réglementation, des comptabilités locales et hospitalières et des activités bancaires) devait réécrire les sessions, sans annoncer à quelle échéance. Elle a même précisé que, au ministère des Armées, la RGP est une victoire pour la DGFiP du fait du haut niveau de maîtrise des risques et de messages signés au plus haut niveau.
Soit ! Appliquons donc ce principe à la DGFiP en commençant par rédiger et faire signer la note mentionnée supra par « le plus haut niveau ». Ca sera déjà un bon début !
Car avant de regarder ce qui se passe aux Armées, penchons-nous un peu sur la DGFiP. Pour Solidaires Finances Publiques, il est clair que la superspécialisation dans les services entraîne une perte de sens de la globalité de la mission que les agentes et les agents ne maîtrisent plus (voire n’ont même jamais acquis pour les nouveaux). Perte de sens qui ne leur permet plus d’appréhender pleinement la notion de faute grave ou de préjudice significatif. Ce qui pose clairement question au regard de la responsabilité.
Nous ressortons finalement de ce GT avec beaucoup d’informations mais peu de solutions pratico-pratiques, sécurisantes, pour les agentes et les agents.
Solidaires Finances Publiques le rappelle donc avec force, quelle que soit la mission, lorsque tous les éléments juridiques et matériels nécessaires à une décision ne sont pas rassemblés, on n’effectue pas l’opération !
PJ :