Gérald Darmanin intervenait ce mercredi 11 juillet 2018 à Bercy devant l’encadrement supérieur de la Direction générale des finances publiques (DGFiP), des douanes et de la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP). Nous revenons sur ses propos que nous analyserons en profondeur dans nos prochains écrits.

Un cadrage général connu et rabâché

Le ministre a entamé son discours en précisant d’emblée qu’il n’y avait pas de citadelle inattaquable en parlant de Bercy. Le ton était donc donné… Car de fait, il s’agit bien d’une attaque, pas seulement contre Bercy et la DGFiP, mais plus globalement contre l’action publique. Le ministre a également pris soin de parler de transformation de l’action publique en référence au projet du gouvernement concernant la fonction publique (estimant par ailleurs que « l’État est un piètre GRH » sans pour autant étayer son propos si ce n'est en renvoyant à l'intervention de Dussopt). Il a rappelé le cadre et l’orientation budgétaire : la baisse des impôts et de la dépense publique. Il a ensuite décliné ses priorités.

A court terme, elles sont connues… Le ministre souhaite la réussite du prélèvement à la source (PAS), « une belle transformation », qui selon lui est demandé par nos concitoyens et constitue une vraie réforme de l’impôt. Concernant les Douanes, il estime que cette administration devrait se concentrer sur la lutte contre le tabac illicite (on verra dans ses propos que le lobby des buralistes a été efficace…), la contrebande et la contre-façon.

A l’horizon 2019, le ministre veut engager une réorganisation en profondeur des réseaux, plus particulièrement de celui de la DGFiP. Le ministre dit vouloir en finir avec les fermetures de services (comme les trésoreries) décidées annuellement, tenir compte de l’évolution des comportements des usagers, revoir tout à la fois les modalités d’exercice des missions et alléger la charge de travail. Vaste programme…

Des missions chamboulées, déplacées et éclatées

S’appuyant sur sa propre revue des missions (redéfinir les missions, leurs périmètres et les moyens), le ministre a justifié la future baisse des moyens par les mesures récentes : baisse puis suppression de la taxe d’habitation, de l’ISF devenu IFI, simplification du recouvrement (on est prié de croire que le PAS est une simplification) et suppression à venir de 25 « petites taxes ».

Le recouvrement connaîtra une véritable révolution. Outre, dans un premier temps, le rapprochement du recouvrement « fiscal » de la DGFiP et des Douanes (« un rapprochement interne à Bercy »), il a annoncé la création d‘une agence du recouvrement regroupant les missions de recouvrement fiscales et sociales. L’agence, modèle libéral, aurait donc en charge des missions régaliennes dont le périmètre n’a pas été précisément défini (on pense au recouvrement assuré par la DGFiP, les Douanes et les Urssaf) avec des agents dont le nombre, la provenance et le statut n’ont été ni définis ni même évoqués. Un flou inquiétant qui cache un « loup ». Cette agence s'adresse à coup sûr aux recettes spontanées, mais la question de l’action en recouvrement (du recouvrement contentieux) n’a pas été précisée... Quoiqu’il en soit, il s’agit d’un big-bang du recouvrement des recettes publiques (les prélèvements obligatoires)… Avant, éventuellement, de s’attaquer au contrôle ?

En matière de gestion publique, ce que préconisait la Cour des comptes (qui, décidément, était très bien informée des projets du gouvernement…) est retenu : mise en œuvre du compte financier unique dans les collectivités locales de toutes tailles et expérimentation de l’agence comptable dans les grandes collectivités locales. Il se substituera au compte de gestion du comptable public et au compte administratif d’ordonnateur, ce qui pose de facto la question de l’avenir du principe de la séparation "ordonnateur/comptable".

La simplification a également été vantée par Gérald Darmanin : mais une simplification très orientée… A la fin du quinquennat, l’objectif « zéro numéraire » a été annoncé. Estimant qu’il ne faut pas pénaliser les usagers, il a annoncé un partenariat (avec La Poste ou les buralistes) pour gérer les futurs paiements en espèces. Autrement dit, pour un coût budgétaire non précisé mais qui ne sera pas nul, l’État se déchargera sur d’autres acteurs pour collecter des sommes en numéraire. On imagine la réaction des usagers qui se rendront dans les services de la DGFiP lorsqu’ils seront orientés vers leur bureau de tabac…

Bien entendu, le Ministre a vanté le numérique, y compris en mentionnant le télé-travail dont il estime que certains agents se sentent exclus « à tort », et annoncé la sanctuarisation des crédits alloués à l’outil numérique, s’appuyant sur le data-mining pour le contrôle fiscal et la généralisation des « double écrans ».

Un bouleversement territorial

La nouvelle organisation territoriale est un chantier immense mais le ministre veut des changements rapides : elle devra être « finalisée pour 2022 », elle consistera en un « mouvement de déconcentration de proximité d'une partie des services de l'Île-de-France vers les régions, et des métropoles vers les territoires ruraux ou périurbains ». La conception de l’accueil déclinée est spécieuse, le ministre ayant même osé dire que « les réponses ne correspondent pas à celles qu’attend la personne » et ce, alors que la DGFiP est systématiquement plébiscitée en la matière. A moins qu’il n’ait fait un contre-sens, le ministre a pour le moins été léger sur un sujet pourtant essentiel pour le service public.

Le ministre a justifié l’utilisation du numérique pour repenser la présence territoriale de la DGFiP. Cette approche a déjà été portée par notre organisation pour qui la DGFiP pourrait disposer d’un maillage territorial harmonieux grâce à une utilisation intelligente de l’outil numérique et ce, au bénéfice des agents et des usagers. Mais l’émiettement que le ministre promeut est très éloigné des besoins et de nos demandes...

De fait, les 4 prochaines années pourraient voir un bouleversement total avec :
- la généralisation de l’accueil sur RDV,
- la promotion de l’information de proximité, notamment au travers des maisons de service au public (on pense aussi aux collectivités locales),
- la réorganisation complète de la notion de « front » et de « back » office, ce qui pourrait signifier la fin des services (SIP, SIE, trésoreries, SPF, etc) que nous connaissons,
- des permanences mobiles au profit de certains territoires ruraux, de montagne et quartiers sensibles (le retour du Fiscobus ?),
- la promotion d’un mouvement de l’Ile-de-France et des métropoles vers la province et « les campagnes »...

Le tout, promet-il, en concertation avec les élus et les organisations syndicales… Et procurant des économies budgétaires, le prix du foncier étant moins élevé dans les territoires que dans les métropoles. Ces chantiers (organisation territoriale, numérique) sont, dit-il « l’occasion de repenser les relations avec les autres administrations ». Ce qui laisse potentiellement entrevoir d’importants transferts et mouvements de personnels…

Enfin, abordant les relations avec les usagers, il a vanté le droit à l’erreur tout en estimant qu’il fallait être « intraitable avec les fraudeurs », ce qui ne peut qu’interroger au vu des orientations qu’il décline : comment faire plus et mieux avec moins ? C’est impossible dans de telles conditions.

L’accompagnement social, entre désert et cynisme

Le ministre estime que ce chantier est une opportunité pour les agents. S’appuyant sur le prix de l’immobilier, il estime, dans sa partie consacrée à l’accompagnement social, que cette évolution profitera aux agents… De là à penser que l’unique effet sur la rémunération serait de voir baisser le prix du loyer, il n’y a qu’un pas. Il a évoqué les gardes d’enfants et les rapprochements de conjoints qui seraient également facilités. On est prié de ne pas rire, ou pleurer c’est selon.

Les moyens sont en baisse et le seront davantage

Revenant sur l’orientation budgétaire du Président de la République, Gérald Darmanin a confirmé le principe des suppressions d’emplois, sans démentir les informations qui ont circulé dans la presse et ont été largement commentées et dénoncées par notre syndicat. Il a cependant renvoyé pour après l’été les annonces en la matière, probablement dans le cadre de la loi de finances. Après le débat nourri par Solidaires Finances Publiques, Gérald Darmanin n’a manifestement pas souhaité s’exprimer sur ce sujet explosif. Sans doute par peur de nous donner raison...

« Je comprends les inquiétudes qui sont légitimes » s’est-il cru obligé de dire. Et ce, avant de donner le coup de pied de l’âne et d’évoquer la transformation de l’action publique voulue par le gouvernement dans laquelle figurent les projets en matière de dynamitage du statut de la Fonction publique. Autrement dit, il confirme que cette évolution sera gérée avec des incitations au départ et un recours à la mobilité subie.

En résumé, que penser de cette intervention ?

La DGFiP que nous connaissons a vécu, à moins d’un vaste mouvement venant contrecarrer le plan du gouvernement. A l’évidence, c’est une fois de plus « Bercy » qui est l’objet des attaques, de critiques et de plans de démantèlement… Ce traitement particulier a de quoi interroger sur la réelle volonté politique d’assurer un service public de qualité et ce, qu’il s’agisse d’accueil, de lutte contre la fraude, de conseil aux collectivités locales ou de missions cadastrales et foncières, pour ne citer que ces exemples.

Plus précisément, on peut d’ores et déjà dégager plusieurs premiers commentaires :
- Le ministre a eu beau dire que son approche privilégiait les missions avant d’aborder les moyens, il s’est lui-même contredit en fixant d’emblée le cap budgétaire qui, de fait, structure son projet.
- Sur le principe, il est pour le moins surprenant de voir le ministre appeler au mouvement du service public vers les territoires (notamment ruraux) lorsqu’on assiste à des suppressions de services et à un mouvement de concentration.
- De fait cependant, nul n’est dupe : ce mouvement n’a pas été précisé, il s’effectuera dans un cadre budgétaire de plus en plus contraint et surtout, il s’engage dans un cadre large « Fonction publique » (d’État, locale et hospitalière), conforme aux orientations globalisantes du gouvernement pour qui les fonctionnaires doivent être mobiles, interchangeables et assurant plusieurs missions de service public.
- La réorganisation du « front » et du « back » office, forcément liée à la question de la réorganisation territoriale dans son ensemble (mais de service au public compris), est renvoyée aux futures discussions : il s’agit là d’un enjeu central tant pour la présence et la cohérence de la DGFiP car il faut éviter que ses agents et ses missions soient dilués dans un « fourre-tout » inter-fonction publique. Mais de facto, on pourrait bien assister à la disparition des SIP, des SIE et des trésoreries tels qu’on les connaît.
- L’annonce de la création d’une agence unique du recouvrement est une annonce choc : elle ne procède pas d’une réforme fiscale de fond qui aurait revu le mode de financement du système de sécurité sociale mais consiste en un rapprochement hasardeux de missions d’État et de missions assurées par un organisme de droit privé, l’Urssaf.
- Rien n’a été dit sur les missions cadastrales et sur les services de publicité foncière : nos craintes demeurent vives en la matière.
- Le lien effectué rapidement par le ministre entre l’ensemble de ses annonces et les chantiers "Fonction publique (contractuels, mobilité etc)" doit être souligné comme un risque majeur pour les agents : il questionne et met potentiellement en danger leur statut, leur lieu de travail, leurs conditions de travail et, bien entendu, leurs missions.
- L’accompagnement social a été balayé et résumé à quelques effets sur le coût du logement notamment.

Solidaires Finances Publiques dénonce la logique qui sous-tend ce projet et son contenu. Il ne correspond en rien aux besoins des usagers, des collectivités locales et des Finances publiques. Encore moins aux attentes des agents qui ont subi, et de longue date, une dégradation sans précédent et continue de leurs conditions de travail et de vie mais aussi des conditions d’exercice de leurs missions.

Solidaires Finances Publiques estime que la DGFiP est en grand danger et que les agents doivent être en état d’alerte maximum. Au quotidien, vis-à-dis des élus, des pouvoirs publics, de la presse, dans la rue et dans les instances, nous n’aurons de cesse d’agir pour et avec les agents. Nous porterons leur parole et nos positions sur : le statut, les droits et garanties, les missions, la rémunération, la reconnaissance, les règles de gestion, les conditions de travail et la qualité de vie.

Solidaires Finances Publiques sera plus que jamais aux côtés des agents des Finances publiques sur l’ensemble des sujets qui les concernent et les préoccupent :

c’est et ce sera notre priorité quotidienne et permanente.

 

Annonces choc de Gérald Darmanin du 11 juillet : la DGFiP actuelle n’existera plus, agir est et sera vital !