Alors que la lutte contre la fraude fiscale était la grande absente de la première loi de finances du quinquennat, le Premier Ministre a dévoilé les grandes orientations de son futur plan de lutte contre la fraude fiscale.

 « Name and shame »

La publication de nom de certains fraudeurs et des sanctions qu'ils ont subi rejoint à certains égards notre préconisation d'une forme de publicité des sanctions, notamment dans les cas de fraudes graves. En utilisant à bon escient le risque réputationnel, l'aspect dissuasif est théoriquement intéressant. Il faut cependant d'une part que cette stratégie s'applique aux entreprises et pas seulement aux particuliers et d'autre part qu'elle s'appuie sur des critères précis pour éviter toute dérive. Plus largement, elle ne pourra être efficace que si l’administration est suffisamment armée pour combattre la grande fraude fiscale.

Traitement des données et datamining

Le traitement des données est une pratique connue et ancienne dans les services de la Direction générale des finances publiques (DGFiP). Les logiciels de recoupements de données et de requêtages sont abondamment utilisés et ce, quotidiennement. Le nombre d'informations devrait cependants croître avec, par exemple, la récente mise en œuvre de l'échange automatique d'informations dans une cinquantaine de pays (et, à la fin 2018, dans une centaine). Il est donc évident que l’administration doit être en mesure de les traiter correctement.
Au-delà de l'investissement en moyens matériels, ce traitement ne peut cependant être efficace que s'il vient en appui des services existants (services de recherche, d'expertise, de programmation) et qu'il ne s'y substitue pas. La fâcheuse tendance de la DGFiP à restructurer les services pour absorber les suppressions d'emplois (3100 emplois ont été supprimés dans les services de contrôle depuis 2010) et la hausse de la charge et de la complexité du travail laisse craindre qu'il n'existe aucune garantie en la matière.

Organisation et moyens de l'enquête judiciaire pour fraude fiscale

Le « renforcement des moyens d'enquête judiciaire avec la création d'un service spécialisé à Bercy » appelle des précisions. Solidaires Finances Publiques avait proposé, de longue date, qu'un service judiciaire fiscal et douanier soit créé au sein du Ministère des finances. Constitué de deux « pôles », dont l'actuel service national de la douane judiciaire (SNDJ), il aurait permis de compléter l'arsenal anti-fraude au sein de l'administration fiscale et douanière. En 2010, un autre choix a été fait avec la création de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) rattachée au ministère de l'intérieur, tandis que le SNDJ demeurait à Bercy.
La création d'un service spécialisé au sein de « Bercy » se traduira-t-elle par la constitution d'un service judiciaire fiscal et douanier que nous avons appelé de nos vœux ? Si tel était le cas, ce serait une piste extrêmement intéressante. Ou préservera-t-elle l'actuelle BNRDF tout en créant un nouveau service fiscal judiciaire à Bercy aux contours non définis et ce, au risque de créer des zones de frottement entre les deux services (3, si l'on y ajoute le SNDJ) particulièrement contre-productives ?
De même la décentralisation annoncée mérite d'être précisée : si elle vient compléter les services de recherche et de contrôle administratifs de services spécialisés de la DGFiP (DNEF, Dircofi, Directions départementales) présents sur le territoire et coopérer avec eux, l'idée est intéressante. Mais si elle annonce leur rabougrissement et leur disparition, alors la lutte contre la fraude fiscale n'en sortira pas renforcée puisque les services spécialisés d'enquête judiciaire ne couvrent pas l'ensemble de la fraude fiscale.

Les premières annonces attendent donc de nombreuses clarifications avant d'être jugées « plutôt positives » ou « plutôt négatives ». Mais d'autres annonces laissent cependant craindre un déséquilibre profond dans le futur plan. Ainsi, après avoir annoncé le « droit à l'erreur » qui contraindra fortement les administrations de contrôle dans leur durée d'intervention sur place (dans les locaux des entreprises), le Ministère des comptes publics a annoncé la création d'un dispositif laissant la possibilité aux entreprises de régulariser leur situation fiscale. Entre renforcement de la lutte anti-fraude (une forte demande de l'opinion) et accompagnement des entreprises, il ne faudrait surtout pas que le plan anti-fraude ne révèle un traitement à deux vitesses entre les contribuables. Et ce d'autant plus que les récentes affaires ont montré l'ampleur de la fraude fiscale des grandes entreprises...