La mission commune aux commissions des finances et des lois de l’Assemblée nationale sur la poursuite des infractions fiscales mène actuellement un certain nombre d’entretiens. La mission doit rendre ses conclusions prochainement.
Le « verrou de Bercy », autrement dit la procédure confiant le monopole de l’administration en matière de proposition de poursuite pénale pour fraude fiscale via la commission des infractions fiscales (CIF) est l’objet de critiques : il s’agirait d’une procédure contraire au principe de séparation des pouvoirs qui permettrait au pouvoir politique d’empêcher des poursuites pénales et, par là-même, d’alimenter l’impunité fiscale. Dans un contexte où les affaires de fraude fiscale se multiplient, la question est importante.
Pour ses partisans, la suppression du verrou de Bercy permettrait de mieux sanctionner la fraude fiscale sans attendre une proposition de l’administration fiscale ni sans en dépendre.
Les opposants à sa suppression avancent que l’administration fiscale est la seule à procéder au contrôle fiscal et la mieux à même d’évaluer les cas de fraude qui justifient une poursuite pénale.
Dans ce débat passionné, Solidaires Finances Publiques s’inquiète des critiques formulées sur l’administration fiscale et par conséquent sur ses agents. Ceux-ci exercent des missions difficiles (fraude importante, suppressions d’emplois, restructurations, pression exercée par le mode de management etc) mais essentielles et font de la lutte contre la fraude fiscale une priorité quotidienne. Notre organisation défendra constamment leur rôle, leurs conditions de travail, leur reconnaissance et leur statut.
Dans son rapport de mars 2017 actualisé en novembre 2017, Solidaires Finances Publiques, historiquement attaché à la lutte contre la fraude fiscale, estime nécessaire de sortir de ce débat binaire. Notre syndicat estime par ailleurs qu’il serait risqué de supprimer purement et simplement le « verrou de Bercy » ou de s’en tenir au statu quo.
Supprimer le « verrou de Bercy » comporte de grand risques en termes d’efficacité de la lutte contre la fraude : les moyens de la justice ne suivent pas, le statut du procureur de la République demeure l’objet de critiques au nom du principe de la séparation des pouvoirs (il faudrait éviter de lâcher le verrou de Bercy pour retrouver un verrou judiciaire) et la technicité fiscale requiert inévitablement un contrôle fiscal. Le rôle de la justice est de sanctionner, mais il faudrait veiller à procéder au rappel de l’impôt éludé (les droits) mais aussi, au nom du principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt, à une meilleure homogénéité des sanctions pénales. Au reste, une « pénalisation » générale de la fraude fiscale pourrait conduire le législateur, en vertu du principe « ne bis in idem », à sacrifier les sanctions fiscales, incomparablement plus élevées en montant et donc rentables et dissuasives. Surtout, une telle pénalisation ne serait pas acceptée de la population, elle ne garantit pas un traitement plus rapide et efficace que les procédures fiscales.
Le maintenir sans rien changer n’est pas souhaitable non plus. Le besoin de mettre fin à l’impunité fiscale, notamment dans les cas de grande fraude, est légitime. Or la stratégie pénale en matière de fraude fiscale est largement perfectible : les agents des finances publiques n’ont tout simplement pas les moyens de débusquer tous les cas de grande fraude fiscale du fait de l’insuffisance ; de la coopération internationale, de l’accès à l’information, des moyens humains (rappelons que les effectifs du contrôle fiscal ont baissé de plus de 3000 agent-e-s depuis 2010 et que les services spécialisés, comme la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale sont largement sous-dimensionnés) ou du temps laissé aux investigations longues (la pression managériale sur les délais et les objectifs nuisent au « temps long »).
De fait, la priorité est de sortir du débat binaire et passionné « pour » ou « contre » le verrou de Bercy et de donner des moyens juridiques, humains et organisationnels à la hauteur des enjeux.
Outre le renforcement des moyens humains, Solidaires Finances Publiques propose que soit étudié, et instauré, en priorité sur toute autre décision, une coopération « institutionnalisée » entre l’administration fiscale et la justice pour tout à la fois renforcer la pénalisation de la grande fraude, préserver les sanctions fiscales et pénales et, enfin, disposer d’un arsenal « anti-fraude » adapté à toutes les formes de fraudes.
Sur les sanctions :
Maintenir les sanctions administratives et pénales selon le principe d'une riposte graduée (suivant la gravité de la fraude) afin de sanctionner de manière « juste » les différentes formes de fraudes.
Engager une réflexion sur une meilleure homogénéité des sanctions pénales.
Instaurer un véritable suivi des sanctions afin qu'elles soient réellement appliquées (constitution d'un fichier national des interdictions de gérer permettant d'assurer le suivi des décisions de justice par exemple).
Mener une politique de sanction de la fraude qui concerne, outre les particuliers, les personnes morales, les intermédiaires et les « facilitateurs » de la fraude.
Sur l’organisation :
Rappeler que la justice peut se saisir, sans avis de la CIF, du délit de blanchiment de fraude fiscale.
Modifier le mode de management du contrôle fiscal pour éviter les dérives de la «gestion statistique» et privilégier la qualité et l'efficacité de la lutte contre toutes les formes de fraudes.
Favoriser la mutualisation et les échanges entre les services de l’État engagés contre la fraude: maintenir aux agents détachés l'accès à leurs bases et applications professionnelles, constituer une base de données commune aux services de la justice engagés dans la lutte contre la fraude ainsi qu'une base de données nationale commune portant sur les procédures afin que l'ensemble des services engagés contre la fraude y ait accès1. Cette mutualisation pourrait être adaptée et transposée au niveau européen afin de faciliter les contrôles coordonnés au plan supra-national.
Rapprocher la BNRDF et le Service National de Douane Judiciaire (SNDJ) et créer un service national fiscal et douanier judiciaire unique équilibré entre sa partie fiscale et sa partie douanière.
Engager un débat sur le champ de compétences du PNF et son articulation avec les JIRS (juridictions inter-régionales spécialisées) et les parquets locaux en matière de lutte contre la fraude fiscale.
Instaurer une coordination de la justice (PNF, JIRS, parquets), du service fiscal et douanier judiciaire, de la DGFiP, des services spécialisés de police et des services de la Douane. Ceci suppose une orientation claire, un cadre juridique commun, une organisation territoriale cohérente et, concrètement, l'instauration de « référents » au sein de la justice et de la DGFiP.
Améliorer l’information et réviser les conditions de mise en œuvre de l'article 40 pour les agents des Finances publiques et assurer un retour de la justice des suites données.
Instaurer un système d'information réciproque entre la justice (PNF, JIRS, parquets locaux) et la DGFiP et entre les différents services concernés par la lutte contre la fraude fiscale (TRACFIN, etc).
Dans ce cadre, donner la possibilité à la justice de poursuivre la fraude fiscale comme elle peut le faire sur les délits de droit commun de manière coordonnée avec la DGFiP sans attendre une proposition du ministère du Budget (ce qui implique une évolution du rôle de la CIF qui pourrait par exemple être davantage associée à la mise en œuvre de la stratégie pénale de la DGFiP) lorsqu'elle a à connaître des situations de fraude fiscale « pénalisable » liée à d'autres délits économiques.
Une meilleure information publique pour garantir qu'aucune intervention ne vienne « barrer la route » à la lutte contre la fraude fiscale.
Ces propositions sont exclusivement tournées vers l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale, sa juste sanction et constituent ainsi une réponse au désarroi de la population pour qui le « vivre ensemble » est de moins en moins une valeur, ce qui entraîne un affaiblissement du consentement à l’impôt.