Voici un an éclatait l'affaire dite des « paradise papers » qui révélait, une fois de plus, l’ampleur de l’optimisation fiscale agressive.
Cet anniversaire s'inscrit dans une liste de plus en plus longue d'anniversaires d'affaires financières du même type. Celles-ci ne datent hélas pas d'hier. On peut songer à la troisième République qui avait été éclaboussée par les affaires de corruption liées au canal de Panama à la fin du 19ème siècle et par l'affaire de la Banque commerciale de Bâle en 1932. Plus récemment, les affaires Enron et Clearstream au cours des années 2000, montraient à nouveau l'ampleur de la délinquance en col blanc.
Depuis une dizaine d'années toutefois, ces « affaires » concernent principalement l'évitement illégal et/ou illégitime de l'impôt. Autrement dit, elles portent sur la fraude fiscale et sur l'optimisation fiscale agressive. Ces affaires sont nombreuses, au point qu’il est difficile d’en « fêter » les anniversaires respectifs tant ils sont nombreux… Un retour sur ces dernières années et sur l’orientation prise par les gouvernements s’avère cependant utile…
Dix ans rythmés par les affaires de fraude et d’évasion fiscales
En 2008 était publiquement révélée l'utilisation des sociétés écrans immatriculées notamment au Liechtenstein (par le patron de la Deutsche bank mais aussi par de nombreux contribuables dont environ 200 Français) dans le seul but d'éluder l'impôt. Cette affaire, au retentissement international, constitua en quelque sorte la première d'une série de nombreuses affaires qui se sont succédées depuis dix ans à un rythme qui a de quoi donner le tournis. Leurs noms ? HSBC, UBS, Offshoreleaks, Luxleaks, Swissleaks, Cahuzac, Panama papers, Paradise papers, Footleaks, Fashionleaks, Dubaïpapers, CumExfiles, et nous en passons.
Mettant en cause des personnalités, des entreprises et des territoires, ces affaires ont toutes en commun de pointer un système : celui de l'évitement de l'impôt, que celui-ci soit illégal ou illégitime. De fait, elles montrent tout à la fois l'ampleur du phénomène, à quel point il « fait système » et, enfin, qui en bénéficie et comment. La population ne s'y est pas trompée, elle fait de la lutte contre l'évitement de l'impôt une priorité, ce qui n'a pas de quoi surprendre. Car les sommes colossales qui manquent aux budgets publics sont de facto payées par les populations sous la forme d'augmentation des impôts, de politique d'austérité budgétaire, de distorsions de concurrence et d'incapacité de l'action publique à prendre correctement en charge les besoins sociaux, environnementaux et économiques.
Quelle réaction des pouvoirs publics?
Si le fléau de l'évitement de l'impôt ne souffre aucun débat quant à son ampleur et ses conséquences, les mesures prises par les gouvernements ont cependant de quoi interroger. Certes, personne ne peut dire que rien n’a été fait.
A titre d’exemples, au plan national, la création de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale dans la loi de finances rectificative de 2009, les dispositions de la loi « anti-fraude » de 2013 et l'annonce récente de la création de la « police fiscale » dans le cadre du nouveau plan anti-fraude sont autant de mesures nouvelles plus ou moins efficaces…
Au plan international, après des années durant lesquelles l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) s’est contentée de vider méthodiquement les « listes noires » des paradis fiscaux (au point qu’il n’existait officiellement plus aucun paradis fiscal en 2009…), le plan contre l’érosion des bases imposables (dit, « Plan Beps », comportant 15 mesures concernant les prix de transfert, les produits hybrides et l'économie numérique par exemple) a fixé une orientation plus concrète bien que tardive et insuffisante à bien des égards.
Pour autant, il faut reconnaître que ces mesures ont toutes été prises en réaction aux affaires, jamais en anticipation. Mais surtout, la concurrence fiscale et sociale demeure la règle alors que par nature, elle favorise les pratiques visant à contourner et/ou éviter l’impôt : accords de type « rulings », absence de coopération internationale, défaut d’harmonisation fiscale européenne, conventions fiscales bilatérales « arrangeantes », existence de nombreux régimes fiscaux dérogatoires, etc. Dans ce cadre, des dispositions sont par ailleurs prises visant à alléger le contrôle fiscal avec, par exemple, la loi dite « Essoc » en France dont la priorité est l’accompagnement des entreprises contrôlées, ce qui signifie que l’intérêt général s’éclipse derrière les intérêts particuliers.
Il faut ajouter à ce tableau pour le moins contrasté l’affaiblissement progressif des administrations fiscales mis en œuvre par les gouvernements successifs. En France, plus de 3 000 postes ont été supprimés dans les services de contrôle (sur 40 000 emplois supprimés dans l’ensemble de la DGFiP depuis 2002). En Europe, la fédération syndicale européenne des services publics a calculé qu’entre 2008 et 2012, 13,6 % des effectifs ont été supprimés dans les administrations fiscales de 30 pays européens. Cette situation est d’autant plus insupportable que la fraude s’est diversifiée et complexifiée et que la Commission européenne elle-même recommandait il y a 12 ans déjà d’étoffer les moyens humains des administrations fiscales. Dans un tel contexte, il est difficile de croire a priori les déclarations d’intentions des gouvernements.
Que faire ?
La fraude fiscale a donné lieu à de nombreux travaux de la part de parlementaires, d’économistes, de sociologues, d’ONG et bien entendu de syndicats au premier rang desquels Solidaires Finances Publiques. L’intense travail effectué de longue date, notamment au cours des dernières années, par ces différents acteurs sincèrement engagés dans la lutte contre la fraude fiscale a permis de dégager et de partager de nombreuses propositions. Celles-ci leur sont très largement communes et s’appuient sur des analyses qui recoupent souvent les constats faits par l’OCDE ou l’Union européenne et ce, même si les propositions de ces institutions sont insuffisantes.
Une législation et des moyens juridiques trop perméables et permissifs favorisent le contournement de l’impôt tout comme l’affaiblissement des moyens de le combattre. Sans prétendre à l’exhaustivité, on retiendra donc deux grands types d’enjeux :
- En amont, il est indispensable de modifier la législation fiscale, de sorte que la fiscalité soit plus juste mais aussi que ses règles empêchent l’évitement de l’impôt. C’est notamment ce que permettraient le passage à un régime unique de TVA et une vraie harmonisation de l’impôt sur les sociétés au sein de l’Union européenne en modernisant l'IS pour intégrer la dimension numérique. Et ce, dans le cadre du "serpent fiscal européen" que notre syndicat porte de longue date. La suppression de certains régimes fiscaux dérogatoires et la révision des conventions fiscales bilatérales favorisant l’évitement de l’impôt sont également des priorités...
- En aval, il s’agit bien évidemment de renforcer la lutte contre la fraude fiscale proprement dite et ce, par tous les moyens disponibles, tant en France qu'au plan international : renforcement des effectifs, changement de mode de management, réelle coopération entre administrations nationales et entre États, moyens matériels adéquats, moyens juridiques de type « anti-abus » renforcés, etc.
Personne n’est assez naïf pour croire que ce phénomène peut être totalement et rapidement éradiqué. C’est pourtant bien en avançant sur ces deux fronts qu’au plan national et international, des progrès substantiels pourront être faits en matière de lutte contre l’évitement illégal et illégitime de l’impôt. L'enjeu n'est pas mince : il est budgétaire, économique, social, environnemental et politique. Moins de fraude rime en effet avec plus de ressources, moins d'austérité, plus de capacité à relever les défis de la période et, enfin, un renforcement du consentement à l'impôt, fondement d'une vraie démocratie. Rien de moins...