Dans le cadre de ses travaux, l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a annoncé qu’un accord permettant de «taxer au mieux les entreprises multinationales dans une économie qui se numérise rapidement » serait en bonne voie. Cet accord concernerait les membres du « cadre inclusif », l'organe de lutte contre l'évasion fiscale et l'érosion des bases imposables (le plan « BEPS »), qui regroupe plus de 115 pays et juridictions.

L’impôt sur les sociétés en danger : un impact négatif sur les économies et les démocraties

L’OCDE ne condamne malheureusement pas les effets dévastateurs de la concurrence fiscale. Elle rappelle néanmoins qu’entre 2000 et 2018, « les taux légaux d’imposition ont baissé dans 76 juridictions, sont restés identiques dans 12 juridictions et n’ont augmenté que dans six autres. En 2018, 12 juridictions ne prélevaient aucun impôt sur les sociétés ou appliquaient un taux zéro d’imposition ». L’OCDE précise également que l’optimisation fiscale agressive et les transferts de bénéfices amputent « gravement » le rendement de l’impôt sur les sociétés (communiqué de l’OCDE du 15 janvier).

Si tout n’est pas imputable aux « GAFA et assimilés » (mais aussi aux autres pratiques de transferts artificiels de bénéfices, de fraude, etc), il reste que l’impôt sur les sociétés (IS) n’a pas intégré le « numérique », ce qui favorise l’ optimisation agressive et l’évasion fiscale à grande échelle. Et ceci, dans une guerre économique au sein de laquelle les multinationales ont capté des richesses colossales en Europe en payant un IS symbolique (selon le gouvernement, le taux effectif d’IS de ces entreprises serait de 9 % en France contre 23 % pour les autres) et les ont transférées dans un premier temps, avec la complicité active de certains pays européens (Irlande, Pays-Bas, Luxembourg) vers des territoires proches des États-Unis puis, désormais, vers les États-Unis grâce aux mesures prises par l’administration Trump.

Cette situation n’a pas seulement provoqué un manque à gagner budgétaire ; elle s’est également traduite par un transfert d’imposition sur d’autres « bases » (ménages, PME), par une économie faussée et par un affaiblissement inquiétant du consentement à l’impôt.

Le projet de l’OCDE : peut et doit mieux faire

Réformer l’IS, mais aussi stopper plus globalement la course à la baisse de l’imposition des « bases mobiles » (les multinationales et les ménages riches) et rééquilibrer les systèmes fiscaux de sorte qu’ils soient plus justes et consentis est un impératif démocratique, économique, social et écologique.

De ce point de vue, le projet de l’OCDE apparaît tout à la fois intéressant et insuffisant.
Intéressant en ce qu’il propose d’intégrer à l’IS des éléments qui permettraient effectivement de mieux taxer les « GAFA et assimilés » : il en va ainsi de la « présence économique significative », des « actifs incorporels de commercialisation » ou encore de la « contribution des utilisateurs ». Soit autant d’éléments qui, s’ils restent techniquement ardus à traduire en droit fiscal (assiette, contrôle), tiennent néanmoins compte des réalités économiques.
Insuffisant en ce qu’au-delà, il aurait fallu que cette démarche vise à neutraliser la concurrence fiscale (ce qui supposait d’y intégrer la question de la réalité des taux et de leur évolution) et qu’elle fixe le cap vers une « taxation unitaire » des grands groupes. Car la réalité économique nécessite une approche fiscale au niveau du groupe lui-même et de ne pas traiter ses filiales séparément.

Dans son projet, l’OCDE envisage également un système d’imposition minimum (donc symbolique ?), en forme d’aveu des difficultés (donc de la volonté des États et des puissantes multinationales) et à faire bouger les lignes...

Au sein de l’Union européenne, l’extrême lenteur des discussions sur l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés et l’échec du projet d’une « taxe GAFA » pourtant cosmétique et inadéquate incite à la prudence sur la réelle mise en œuvre d’une « avancée ». Au-delà des effets d’annonce, tout ressemble à une vaste négociation sur un niveau minimum d’acceptabilité des « GAFA et assimilés » et de leurs territoires complices d’une éventuelle mesure.

Mais sans un changement d’approche, l’optimisation agressive, l’évasion et la fraude fiscales ont malheureusement de beaux jours devant elles...