Ces dix dernières années, le débat sur la « fraude fiscale » a pris une certaine ampleur avec les politiques d’austérité et une succession impressionnante « d’affaires ». Le débat sur l’évitement de l’impôt est nourri, notamment en France. Les termes sont âprement discutés, notamment en ce qu’ils emportent nécessairement le périmètre qui sert à estimer les pertes fiscales.
En janvier 2013, notre organisation a publié une estimation du non-respect du droit fiscal s’élevant de 60 à 80 milliards d’euros par an. Elle s’appuyait sur une extrapolation des résultats du contrôle fiscal et sur l’utilisation de données « macro ». Ces deux méthodes, qualifiées d’ascendantes et de descendantes, sont reconnues comme permettant de cerner un phénomène complexe et en pleine évolution. En septembre 2018, l’actualisation de cette estimation nous conduisait à retenir sa fourchette haute, soit 80 milliards d’euros environ (la barre des 100 milliards n’étant malheureusement pas impossible à atteindre…). Ce manque à gagner plombe les comptes publics, appauvrit le financement de l’action publique, nourrit les injustice fiscales et contribue à affaiblir le consentement à l’impôt.
Cette estimation a fait l’objet de quelques critiques depuis la fin de l’été 2018, mais jusqu'à présent jamais étayées. D’autres travaux en revanche corroborent l’ordre de grandeur de notre estimation. Notre rapport livre ainsi une série d’estimations de la fraude aux prélèvements obligatoires relatives aux pays européens et à d’autres pays « occidentaux ».
Combattre le non-respect du droit fiscal est l’une des nombreuses missions de la Direction générale des Finances publiques (DGFiP), notamment celle du contrôle fiscal. Si ses résultats sont loin d’être négligeables (les « redressements fiscaux » représentent plus de 15 % du montant total estimé des pertes fiscales), ils sont cependant en baisse notable.
Certes, des moyens juridiques nouveaux ont été mis en œuvre. Certains sont utiles, d’autres moins. Sans eux, le non-respect du droit fiscal serait peut-être plus important. Mais ils ne suffisent pas. Les améliorer demeure nécessaire, pour ce faire il faut aussi des agents, des « moyens humains » : ils sont en baisse… Plus de 3 000 emplois ont été supprimés dans les services de contrôle depuis le milieu des années 2000. Or, moins d’agents = moins de contrôles et des résultats en baisse avec 16,15 milliards d’euros (droits et pénalités) contre 21,19 milliards d’euros en 2015. C’est la principale explication de la baisse des résultats du contrôle.
Cela se traduit également par une chute du taux de couverture du tissu économique et fiscal. En effet, alors qu’en 2018, on dénombrait 6 024 249 entreprises soumises à la TVA et 2 330 478 entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés, on ne recensait que 39 000 vérifications sur place, soit une baisse de 18,24 % des vérifications sur place en dix ans. En d’autres termes, statistiquement, une entreprise soumise à la TVA a une chance de faire l’objet d’une vérification sur place tous les 154 ans et une entreprise soumise à l’IS tous les 60 ans environ.
Cette situation est d’autant plus inquiétante que le pouvoir modifie profondément le sens même du contrôle fiscal : manifestement, il ne le considère plus comme la contrepartie du système déclaratif mais comme une mission exercée au service de l’entreprise ou du contribuable vérifié. C’est le sens de la loi « Essoc » et de l’orientation donnée aux services de la DGFiP.
Notre rapport porte des préconisations qui visent à refaire du contrôle fiscal la véritable contrepartie du système fiscal, à améliorer le mode de management du contrôle et de la DGFiP, à favoriser la formation, la mutualisation et l’expertise, à redonner des moyens juridiques utiles, à renforcer les effectifs, à offrir de meilleures conditions de travail aux agents, à utiliser intelligemment les outils numériques et à intensifier la coopération, entre administrations et entre États. Combattre le non-respect du droit fiscal et toutes les formes de fraudes fiscales est certes complexe, mais cela est plus que jamais nécessaire et demeure une affaire de volonté politique.