Le 5ème communiqué de notre série consacrée au financement des systèmes de retraites porte sur le partage de la valeur ajoutée. Les données relatives à la distribution des dividendes l’illustre (1) : la déformation du partage de la valeur ajoutée au profit des actionnaires et au détriment des salariés est une réalité statistique qui, au surplus, produit des effets économiques et sociaux négatifs.

Depuis une trentaine d'années, l’équilibre du partage du revenu national entre capital et travail est rompu. Pour le CEPII (2), «La part du travail dans la valeur ajoutée a ainsi décliné entre 1980 et 2015, de six points de pourcentage aux États-Unis et de sept points en Europe (à huit pays)». Inversement, « Entre 1980 et 2015, la part des profits dans la valeur ajoutée a augmenté de 7 points aux États-Unis, et de 19 points en Europe, contribuant fortement à l'augmentation de la part revenant au capital ».

Salaires et cotisations sociales comprises, elle serait ainsi passée de 65% de la valeur ajoutée à 58% aux États-Unis, de 68% à 60% en Europe dont 59% en France (en 2014) qui n’échappe donc pas à la tendance générale. La stratégie du capitalisme financier consiste à maximiser la valeur actionnariale en réduisant la part salariale dans le revenu global, ce qui affaiblit également les dépenses publiques et nourrit les besoins sociaux. Ceci, afin notamment de se développer dans des champs d’activité qui échappent au secteur marchand puisque gérés par l’action publique et la sécurité sociale.

Concrètement, la pression exercée sur les salaires et, plus globalement, sur les revenus produit des effets particulièrement négatifs sur l’activité économique et la prise en charge des besoins sociaux. Avec moins de revenus distribués, le soutien à la consommation est défaillant et les finances publiques peinent à assurer le financement du « modèle social ».

Le rendement des cotisations sociales souffre ainsi de la faible progression des salaires. Dans son rapport de 2019 consacré à la Sécurité sociale, la Cour des comptes relève que la progression de la masse salariale globale (à ne pas confondre avec la progression des salaires…) prévue pour 2019 ne serait que de 3%, contre 3,5% en 2018 et dans la prévision pour 2019 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, ce qui entraînerait 1 milliard d’euros de moindres recettes pour la sécurité sociale.

Autrement dit, une politique dite de la « demande » passant notamment par une hausse de la part des salaires dans la valeur ajoutée dégagerait des recettes sociales (ce qui améliorerait le financement des retraites) et fiscales. Outre la progression naturelle (du fait de la démographie et du veillissement de la population), il s’agit donc de relavoriser les salaires dans le secteur privé comme dans le secteur public.

Cela permettrait également de soutenir l’activité économique et de mieux financer l’ensemble des besoins sociaux, économiques et environnementaux. Cela permettrait également de réduire les inégalités et la financiarisation de l’économie, au détriment de la spéculation et au profit de investissement et de l’emploi. Favoriser la qualité de l’emploi et les salaires, c’est donc servir l’économie réelle et les besoins sociaux. Une approche logique que le gouvernement, aveuglé par les politiques dites « de l’offre », a très fâcheusement oubliée...

(1) Voir notamment la lettre DG Trésor éco n° 234, L’évolution de la part du travail dans la valeur ajoutée dans les pays avancés, janvier 2019.

(2) CEPII, L'économie mondiale 2019, Editions La Découverte, 2018.