La crise ne fait que renforcer la nécessité de mieux répartir les richesses et d’en finir avec une concurrence fiscale et sociale qui paupérise les services publics, accroît les inégalités et alimente la crise du consentement à l’impôt. Pour éviter une vague austéritaire immense et inédite, plusieurs mesures doivent être prises rapidement. Dans ce cadre, 10 mesures de justice fiscale et sociale s’imposent.

►Au plan national :

Instaurer une contribution sur le patrimoine des plus riches : la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune n’a pas eu de « retour » sur l’économie et nourrit les inégalités. Il faut donc créer une contribution sur le patrimoine des 1% des ménages qui détiennent 16% des 11 000 milliards d’euros de patrimoine global net des ménages. Même à faible taux, en exonérant le véritable outil de travail et en pratiquant un abattement sur la résidence principale jusqu’à un certain montant, elle dégagerait au minimum 5 milliards d’euros de plus que l’actuel impôt sur la fortune immobilière, soit au total 7 milliards d’euros, voire 10 avec une assiette élargie, sans niche fiscale.

Imposer tous les revenus au barème progressif de l’impôt sur le revenu : pour renforcer la progressivité du système fiscal, respecter le principe d’égalité devant l’impôt (tous les revenus doivent être imposés selon les mêmes règles) et dissuader la distribution excessive de dividendes ainsi que les plus-values spéculatives, la suppression du prélèvement forfaitaire unique s’impose. Elle rapporterait 2 à 3 milliards d’euros.

Engager une revue des « niches fiscales » : l’accumulation de mesures dérogatoires a rendu le système fiscal complexe, instable et injuste. Ces dispositions, présentes dans tous les impôts, doivent faire l’objet d’une revue qui analyserait leur rapport « coût/efficacité/impact redistributif ». Ceci permettrait d’en supprimer certaines et d’en réformer d’autres. Le système fiscal en ressortirait plus simple, plus stable, plus juste et plus « rentable ». Sur les près de 100 milliards d’euros de manque à gagner qu’elles génèrent, plusieurs milliards d’euros peuvent être dégagés (selon le résultat de la revue).

Renforcer la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales : l’histoire montre que les crises nourrissent l’économie souterraine et qu’elles constituent des opportunités pour les fraudeurs. La crise de 2008 n’a pas endigué la fraude fiscale, bien au contraire. Un renforcement des moyens humains (l’administration fiscale a perdu 30 000 emplois dans les services de contrôle depuis la fin des années 2000), matériels et juridiques est donc plus que jamais une nécessité absolue.

►Au plan supranational :

Au sein de l’Union européenne, l’instauration d’un serpent fiscal européen s’impose pour harmoniser l’impôt sur les sociétés et la TVA, renforcer la coopération contre l’évasion et la fraude fiscales et instaurer des impôts européens (impôt sur les sociétés, impôt sur la fortune et taxe sur les transactions financières). Ces mesures neutraliseraient la concurrence fiscale et sociale et dégageraient des marges de manœuvres pour réformer les systèmes fiscaux et mieux prendre en charge les besoins sociaux, environnementaux et économiques.

Au-delà, la taxation unitaire des multinationales est une nécessité : elle permettrait d’imposer les bénéfices d’une multinationale au stade du groupe et non entité par entité, ce qui refléterait mieux la réalité économique. Cette taxation unitaire peut constituer une réponse utile au défi de la numérisation de l’économie et à la manipulation des prix de transfert. Elle nécessite une clef de répartition qui répondrait au principe selon lequel la richesse doit être imposée là où elle est créée.

Un renforcement de la coopération contre évasion et fraude fiscales (qui génèrent 80 milliards d’euros de pertes en France, plus de 800 milliards au sein de l’Union européenne et davantage au plan mondial) demeure une priorité pour améliorer les échanges d’informations et les contrôles. Il pourrait s’appuyer sur un cadastre financier mondial (proposé par Gabriel Zucman) et sur l’amélioration des mesures anti-abus pour contrer les pratiques des paradis fiscaux.