La situation de la Grèce a régulièrement fait la une de l’actualité, encore récemment : le 20 août dernier, elle est officiellement sortie lundi des plans d'aide. Cet « événement » a été salué comme un succès : Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, a déclaré « avec la fin du programme de soutien, les Grecs commencent un nouveau chapitre de leur riche histoire » tandis que des responsables européens louaient «les efforts et les sacrifices des Grecs» ainsi que «la solidarité» des Européens lors de la crise de la dette. Rien de moins… Les observateurs souvent présents sur les chaîne de télévision, experts en tout donc en rien, ont également abondamment disserté sur le « bien fondé » des politiques d’austérité, vantant leur résultat et expliquant en quoi il n’y avait pas d’alternative.

Il faut donc d’urgence à rafraîchir la mémoire sélective de ces personnes…

La situation de la Grèce peut s’illustrer au travers de quelques données (malheureusement non exhaustives) :

  • Depuis le déclenchement de la crise, le produit intérieur brut (PIB) de la Grèce a fondu de 25 % et les investissements se sont effondrés de 40 % en 10 ans.
  • La dette publique que les États européens ont refusé d’alléger (ils ne feront qu’étudier cette possibilité en 2032 !) se situe actuellement à 180 % du PIB grec et la balance commerciale reste lourdement déficitaire.
  • Le chômage se situe aux environs de 20 % et le chômage des 15-24 ans atteint 42,3 % (avril 2018).
  • Plus de 450 « réformes » ont mis le pays en coupe réglée. Tous les domaines ont été touchés : privatisations, coupes dans les retraites et les salaires (le salaire moyen grec était évalué à 1 200 euros par mois avant 2010, il est aujourd’hui environ de 700 euros), déréglementation et coupes budgétaires touchant le marché du travail, le système de protection sociale, la justice, l’éducation nationale, etc.
  • Dégradation de l’état général de la population se traduisant notamment par une surmortalité infantile inquiétante et une baisse de l’espérance de vie : par rapport à 2006, les femmes grecques ont perdu 3,4 années d'espérance de vie en bonne santé et les hommes, 2,7 années. Dans le même temps, la moyenne européenne progressait de 1,7 année pour les hommes et les femmes...

Pour autant, certaines voix osent parler de « solidarité » de l’Union européenne et avancent que la Grèce a bénéficié d’aides. Or, celles-ci s’élèvent globalement à 288,7 milliards d’euros soit l’équivalent, sur près de 10 ans, de 1,8 % du PIB annuel de l’Union européenne (évalué à 15 326 milliards d’euros en 2017). Et encore s’agit-il là d’une aide très intéressée : en 2015, le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz estimait ainsi que « Tout l'argent, qui devait revenir au peuple grec, est revenu aux banques allemandes et françaises. Ce n'était pas un plan de sauvetage pour la Grèce mais pour les banques européennes ». Par ailleurs, il s’agit de prêts dont l’échéance de remboursement n’interviendra, au mieux, qu’entre 2032 et 2069 aux termes de l’accord de juin 2018. En termes de « solidarité », on a souvent vu mieux...

Les conditions qui restent durablement imposées à la Grèce ont de quoi faire frémir quant à la poursuite de l’austérité et ses conséquences futures : le pays devra dégager un surplus primaire (soit l’excédent budgétaire avant le paiement des intérêts de la dette) de 3,5 % du PIB jusqu’en 2022 et de 2,2 % de 2023 à 2060… Tout ceci en subissant chaque année 4 audits financiers. En réalité, la Grèce restera bel et bien sous la tutelle de ses créanciers.

Dans un exercice où le cynisme le dispute à la provocation, de nombreux commentateurs se sont bruyamment félicités de cette « sortie » (en trompe l’œil) des plans d’aide pour justifier, par ignorance et/ou idéologie, les orientations politiques des autres pays. Car même moins brutales, celles-ci s’inscrivent dans la même logique (en France ? Le gel du point d’indice, la hausse de la CSG, la baisse de la dépense publique, la réforme annoncée des retraites ou encore les mesures inspirées du "comité action publique 2022",...). Or tout le monde ne partage pas cet enthousiasme, même au sein des libéraux les plus endurcis. Pour Klaus Regling, directeur général du MES (mécanisme européen de stabilité) en charge du programme d’aide à la Grèce, il est en effet « arrogant de dire que tout a été bien fait ». De son côté, le Fonds monétaire international, favorable à un allègement conséquent de la dette grecque, s’inquiète des risques pesant sur l'économie grecque et du caractère irréaliste des prévisions de l'Union européenne…

De nombreuses voix (1) s’étaient d’ailleurs élevées contre cette mise en coupe réglée de la Grèce et la logique qui la sous-tendait : la situation actuelle leur donne malheureusement raison… Que conclure ? On ne saurait mieux synthétiser la situation que Gabriel Colletis (2) qui écrivait récemment « Les gouvernements grecs successifs -dont l'actuel- portent, avec la complicité de fait du FMI et des institutions européennes, une responsabilité écrasante dans ce qui est non le sauvetage, mais le naufrage de la Grèce. Ils n'ont pas compris que l'urgence était d'engager un véritable programme de développement du pays centré sur un renouveau des activités productives orientées vers la satisfaction des besoins fondamentaux des Grecs (industrie et agriculture) tout en permettant de réduire les importations. Ce développement aurait de plus permis à l'État d'élargir la base de ses recettes fiscales, de réduire ainsi son déficit et à terme sa dette. La politique économique conduite avant comme après 2015 a comme seule cohérence d'obéir à la doxa dominante. Elle aura été néfaste au pays comme à sa population (3). »

(1) Allant de Joseph Stiglitz à Attac en passant par le CADTM.

(2) Professeur d'Économie à l'Université de Toulouse 1-Capitole et Président de l'Association du « Manifeste pour l'industrie » .

(3) Voir la chronique de Gabriel Colletis, La Grèce sauvée ? Pas si sûr après les privatisations et le recul industriel !, La Tribune, 24 juillet 2018.