La fiscalité écologique est souvent présentée comme un moyen aisé à mettre en place et efficace pour préserver l’environnement, notamment réduire la pollution et les émissions de CO2. Le constat théorique peut être résumé ainsi : la dégradation de l’environnement par certains agents économiques a un coût, mais ce coût n’est pas répercuté dans les prix, la fiscalité écologique peut donc modifier les prix relatifs pour « internaliser » le coût de la dégradation de l’environnement. Cette approche est ancienne, elle a été théorisée au début du XXème siècle par Arthur Pigou, précurseur du principe « pollueur/payeur » popularisé par la suite. Si cette approche a été précisée et discutée, son principe de base demeure aujourd’hui globalement inchangé. En témoigne la volonté du gouvernement, contrariée fin 2018 par le mouvement des « gilets jaunes », d’augmenter la taxation du diesel et du fioul.

La mise en œuvre concrète de ce principe théorique n’est cependant pas chose aisée, et ce d’autant plus que l’approche libérale de la fiscalité vient compliquer la donne. Tout d’abord, l’évaluation des coûts de la dégradation de l’environnement et de l’impact de l’activité humaine sur l’environnement est très difficile et parfois impossible à faire, ce qui est évidemment problématique dans la mesure où ces coûts constituent l’assiette de la fiscalité écologique. Les coûts sociaux et économiques (la pollution provoque des maladies, donc des arrêts de travail et une prise en charge par la couverture sociale…) et, surtout, environnementaux (comment évaluer l’impact de l’activité humaine sur l’évolution du climat et sur la biodiversité par exemple ?) sont particulièrement difficiles à déterminer (les discussions au sein du Groupe d‘experts intergouvernemental sur l’évolution du climat -GIEC- le démontrent). Pour répondre à cette question déterminante, il est souvent admis que le coût d’une taxe écologique doit être égal au coût nécessaire pour dépolluer. Il s’agit d’inciter les agents économiques à investir pour préserver l’environnement plutôt qu’à laisser ce coût se reporter sur les agents économiques qui n’en sont pas « responsables ».

L’approche libérale de la fiscalité constitue cependant un frein à la mise en œuvre éventuelle d’une véritable fiscalité écologique. Son approche de la fiscalité est simple : pour favoriser la compétitivité, il faut réduire le poids de l’État et de la sécurité sociale, il faut donc réduire le niveau des prélèvements obligatoires. La fiscalité doit alors reposer essentiellement sur des impôts proportionnels, comme la TVA ou des impôts sur les revenus de type « flat-tax ». C’est dire si la mise en œuvre d’une fiscalité supplémentaire, éventuellement ciblée sur les entreprises (à partir du moment où elles polluent par exemple), n’enchante pas les libéraux ! Pour contraindre cette mise en œuvre, la pensée libérale exige que la fiscalité environnementale s’accompagne d’une baisse des prélèvements (pour baisser le coût du travail notamment) afin que le niveau global des prélèvements obligatoires n’augmente pas. Elle prétend ainsi rechercher un « double dividende » grâce à cette neutralité fiscale, un tel mouvement étant censé favoriser l’emploi (le premier dividende) tandis que la création simultanée d’une écotaxe favoriserait l’environnement (le second dividende).

Cette approche est trompeuse. Car l’assiette de la fiscalité écologique est « biodégradable » : il s’agit de réduire la pollution, donc le rendement de la fiscalité écologique. Or, si l’on baisse certains prélèvements au rendement « durable » (les cotisations sociales, l’impôt sur le revenu) pour compenser la création d’une fiscalité écologique au rendement éphémère, l’action publique connaîtra à terme un problème de financement. L’incidence réelle d’une fiscalité écologique est en question : le principal risque est de voir les ménages payer l’essentiel du coût de cette taxe. Pour qu’elle soit réellement incitative, cette fiscalité doit prévoir et promouvoir une alternative au paiement de la taxe : payer la taxe en prenant sa voiture ou ne pas la payer en prenant les transports en commun par exemple. Une telle alternative suppose d’importants investissements publics. Mais avec la rigueur et la baisse de l’action publique préconisée par l’approche libérale, les investissements publics diminuent. Le risque est donc bel et bien de voir les contribuables captifs payer le coût d’une taxe qui n’aurait dès lors rien d’incitatif mais qui serait, de facto, un prélèvement supplémentaire sur la consommation et sur le pouvoir d’achat des ménages.

Il importe avant tout de sortir du piège de la « neutralité fiscale » qui constitue en réalité un verrou aux politiques économiques environnementales. La question de l’emploi des ressources dégagées par une fiscalité écologique (sur l’énergie par exemple) est posée (financer des programmes environnementaux, d’investissements dans le transport public ou encore de reconversion ?). Sans une approche renouvelée, la fiscalité écologique risque de n’être en réalité qu’un transfert de charge sur les ménages. Pour être efficace, une fiscalité comportementale doit : tirer le bilan de l’existant en Europe et en France (crédits d’impôt…), prévoir les mécanismes de contrôle (parlementaire, fiscal…), être évaluée et offrir une alternative. Elle doit aussi s’inscrire dans une approche globale qui ne fait pas de la fiscalité l’unique outil des politiques publiques. Une véritable politique au service de l’environnement est en effet nécessairement plus globale (investissements publics, évolution de la réglementation, etc).