Les tenants du « moins d’impôt » dénoncent régulièrement les taux d’imposition appliqués en France, supposés selon eux être trop élevés. Qui n’a pas entendu ce propos selon lequel le taux de l’impôt sur les sociétés serait l’un des plus élevés des pays européens ou, plus globalement, que le niveau des impôt était confiscatoire ? Ce discours est doublement trompeur : en effet, il n’évoque jamais ce que les « prélèvements » financent et il s’appuie sur des taux nominaux qui n’enseignent rien sur la réalité des taux effectifs...
C’est pourtant sur la base de cette idéologie très marquée que le gouvernement a supprimé l’impôt de solidarité sur la fortune pour ne laisser subsister qu’un impôt sur la fortune immobilière symbolique, qu’il a instauré le prélèvement forfaitaire unique (qui impose les revenus financiers à un taux proportionnel) et qu’il a programmé une baisse du taux de l’impôt sur les sociétés (IS).
Pourtant, si l’on fait le rapport entre l’impôt réellement payé et le bénéfice des entreprises, le taux réel d’imposition se révèle bien inférieur au taux facial, autrement dit au taux nominal. Il en va de même en matière d’impôt sur le revenu (voir notre billet à ce sujet). Paradoxalement, le gouvernement l’a d’ailleurs incidemment reconnu en déclarant, dans le cadre du débat sur la taxation des « GAFA », que la moyenne des taux effectifs en matière d’IS était de 23 %, soit un niveau largement inférieur au taux nominal de l’IS (31 % au-delà de 500 000 euros de bénéfices en 2019 contre 33,3 % auparavant)...
Comment expliquer un tel écart entre le taux nominal (le taux apparent, autrement dit, facial) et le taux réel (ou effectif) d’imposition ? Par ce que l’on nomme les « effets d’assiette »... Ce point est décisif pour comprendre qu’en réalité, les comparaisons des taux nominaux entre pays ne valent pas grand chose.
En effet, le bénéfice sur lequel est calculé l’IS n’est pas le même d’un pays à l’autre. Les règles autorisant des déductions ou prévoyant des exemptions et des mesures particulières (de type crédit ou réduction d’impôt, régime dérogatoire...) sont différentes d’un pays à l’autre. En France, ces règles sont plus favorables que dans nombre d’autres pays (en Allemagne, ces possibilités soit plus rares), le taux « normal » (dit taux nominal) ne reflète donc pas la réalité de l’imposition. Il s’applique à une base plus étroite que dans les autres pays. Une véritable comparaison n’aurait donc de sens que si elle met en rapport des taux effectifs.
L’impôt sur le revenu est pour sa part un cas particulier : si on l’additionne à la contribution sociale généralisée (la CSG, considérée comme un impôt sur le revenu dans les comparaisons internationales), le total de l’imposition des revenus est sensiblement inférieur à la moyenne des pays occidentaux. Le fait qu’il soit calculé sur un revenu diminué des prélèvements sociaux (à l’exception d’une fraction) et qu’il comporte un quotient familial ainsi que de nombreuses mesures dérogatoires (dépenses fiscales, autrement dit des « niches fiscales ») explique cette situation méconnue.
Si le manque de données disponibles en la matière est patent, il est cependant possible d’analyser le poids de chacun de ces impôts dans les recettes publiques totales. De ce point de vue, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) livre chaque année des statistiques parlantes (les éditions annuelles des statistiques de recettes publiques). On y apprend notamment que l’imposition des revenus (calculée sur le total « impôt sur le revenu et CSG ») représente 18,8 % des recettes publiques contre 23,8 % au sein des pays de l’OCDE et que l’IS n’en représente que 4,5 % contre 9 % dans les pays de l’OCDE. De quoi fortement nuancer le niveau prétendument « élevé » des taux…