Le terme service public désigne tout à la fois une mission, c’est-à-dire une activité d’intérêt général, et un mode d’organisation consistant à prendre en charge directement ou indirectement ces activités d’intérêt général par des personnes publiques (État, collectivités territoriales, établissements publics) voire privées, mais sous le contrôle d’une personne publique. Le présent article reviendra sur ces principes et sur sa profonde remise en cause par les projets gouvernementaux.

On distingue traditionnellement trois grands principes du service public.

1/ La continuité du service public est un principe de valeur constitutionnelle qui traduit la nécessité de prendre en charge les besoins d’intérêt général et ce, sans interruption. Principe de portée large, il n’impose pas une ouverture continue des services publics (même si l’ouverture des urgences hospitalières par exemple doit être continue alors que la plupart des services ont des horaires d’ouverture « classiques »). La continuité ne peut également contrarier le droit de grève, lui aussi de valeur constitutionnelle, même si certaines catégories d’agents n’en bénéficient pas et qu’un service minimum existe dans certains domaines (transports, médias…).

2/ L’égalité devant le service public est lui aussi un principe de valeur constitutionnelle. Il constitue une déclinaison du principe général d’égalité de tous devant la loi, proclamé par la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Concrètement, il signifie que toute personne a un droit égal à l’accès au service, participe de manière égale aux charges financières résultant du service et enfin doit être traitée de la même façon que tout autre usager du service. Par conséquent, le défaut de neutralité – prolongement du principe d’égalité – d’un agent du service public constitue une faute déontologique. Dans sa mise en œuvre, ce principe ne doit également pas avoir pour effet d’accroître les inégalités sociales, ce qui veut dire que les tarifs ne doivent pas être les mêmes pour tous et qu’ils doivent être modulés pour ne pas accroître les inégalités, voire les réduire et ainsi faciliter l’accès de tous au service public.

3/ L’adaptabilité (ou la mutabilité) est le corollaire du principe de continuité. Il s’agit ici de suivre les évolutions de la société : besoins sociaux, évolutions techniques, etc.

La fonction publique est tenue de respecter ces grands principes.

Il en existe également d’autres qui complètent le cadre général au sein duquel s'organise la fonction publique.

Le principe « statutaire » occupe ici une place centrale. Il se différencie de la situation des autres salarié.e.s lié.e.s à leur employeur.euse par un contrat de travail individuel ou collectif se référant au code du travail. Les fonctionnaires sous statut sont gérés par une décision administrative unilatérale, qui s’applique dès sa nomination ou sa titularisation. Des textes législatifs ou réglementaires fixent ensuite, dans le cadre garanti par la Constitution, les dispositions applicables à l’ensemble de la carrière des fonctionnaires. Le fonctionnaire est ainsi placé dans une situation de subordination hiérarchique, soumis à des droits et des obligations spécifiques régis par la loi du 13 juillet 1983 (portant droits et obligations des fonctionnaires) et ce, en contrepartie de garanties statutaires.

Le principe d’indépendance est une garantie contre l’arbitraire dans les décisions concernant les déroulés de carrière des fonctionnaires. Il s’articule notamment avec les dispositions statutaires de la fonction publique (article 12 de la loi de juillet 1983) selon lesquelles « Le grade est distinct de l’emploi. Le grade est le titre qui confère à son titulaire vocation à occuper l’un des emplois qui lui correspondent ».
Le principe de responsabilité, pour sa part, permet notamment de rendre compte au citoyen, dans le respect des articles 14 et 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen d’août 1789 selon lesquels «Tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée » et « La Société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».
On ajoutera à ce paysage le principe de laïcité.

Un cadre global attaqué

Ce cadre général de valeurs, de principes et d’organisation constitue avant tout une garantie pour les citoyen-ne-s que les principes d’égalité, de continuité et d’adaptabilité soient respectés et servent l’intérêt général et non les intérêts particuliers.

Mais ce cadre général, dont la solidité et l’efficacité ne sont plus à démontrer, malgré l’entreprise de tentative de décrédibilisation dont il a fait l’objet depuis de longues années, est aujourd’hui clairement et brutalement remis en cause par les projets du gouvernement.

Parmi ceux-ci figure le projet de loi relatif à la fonction publique qui prévoit notamment :

  • la création d’un contrat de mission de 6 mois,
  • le recours massif à des contractuels en lieu et place de recrutements statutaires,
  • des dispositifs favorisant la mobilité subie,
    une plus grande individualisation de la gestion des fonctionnaires (avancement…),
    le renforcement des sanctions disciplinaires,
    la réorganisation, synonyme d’affaiblissement, des instances de dialogue social,
    tout cela sur fond de restructurations permettant le transfert de missions, en interne à la fonction publique ou vers des agences et/ou le secteur marchand...

C’est au fond une conception historique de l’action publique qui est aujourd’hui profondément remise en cause.

Et ce, sans réel débat. Celui-ci ne consiste en effet qu’en une série d’opérations de communication sur :

  • la « nécessaire modernisation » du service public : or, en réalité, la modernisation est continue puisque le service public d’aujourd’hui a intégré les évolutions sociétales et technologiques et ne ressemble en rien à celui d’hier,
  • des déclarations répétées culpabilisantes sur les fonctionnaires, sur le coût de l’action publique dont le fondement est dogmatique, puisque disposer d’un haut niveau de service public assuré sur l’ensemble du territoire par les services publics et, bien souvent, par des emplois statutaires, n’a jamais empêché l’activité économique, bien au contraire.

Ce faisant, ce sont aussi les valeurs et les principes du service public et de la fonction publique qui sont attaqués. Et, finalement, l’intérêt général dont personne ne peut prétendre qu’il sera servi et garanti à l’avenir avec une telle conception de l’action publique.

Cette orientation très politique, pour ne pas dire idéologique, n’augure rien de positif pour les citoyen-ne-s même si la prise de conscience de la population risque malheureusement d’être tardive, mais aussi douloureuse. A moins que la réaction de l’opinion et des agent-e-s ne change les choses...