Dans la période récente, les exemples de « propositions » lancées par plusieurs membres du gouvernement et immédiatement rejetées par Matignon et L’Élysée ne manquent pas. Jugez-en plutôt...
Écrans de fumée ou désorganisation du pouvoir ?
Marlène Schiappa a estimé que le rétablissement de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) n’était pas impossible. François de Rugy et Brune Poirson ont plaidé en faveur de la taxe carbone, pourtant à l’origine du mouvement des « Gilets jaunes ». Bruno Le Maire a évoqué la possibilité de taxer les plus grosses plus-values sur les cessions de résidences principales. Gérald Darmanin a proposé de raboter davantage les niches fiscales. Et récemment, Jacqueline Gourault s’est déclarée en faveur d’un impôt sur le revenu dit « universel » payé par tous.
Spectateurs de cette série, nos concitoyens ont là de quoi attendre impatiemment les prochaines sorties gouvernementales (même si toutes ont été retoquées). Car ces propositions émanent toutes de membres du gouvernement. C’est d’ailleurs ce qui interroge. S’agit-il d’une stratégie de communication délibérée du gouvernement visant à multiplier les écrans de fumée et/ou à faire croire que l’on « entend » les revendications pour organiser un tournis dans le but d’affaiblir le mouvement ? Ou, encore plus grave, s’agit-il d’un manque de cohérence et de coordination, synonyme de désorganisation, d’émergence de sensibilités différentes et/ou de panique devant la montée des mécontentements ? Tout cela à la fois, peut-être bien...
Au terme de cette « saison », et en attendant peut-être la prochaine, une certitude s’impose : le Président de la République et le gouvernement n’ont jamais eu l’intention de changer d’un iota leur politique fiscale. Oui, l’impôt sur les sociétés (IS) baissera, oui le prélèvement forfaitaire unique (PFU) demeurera, non l’ISF ne sera pas rétabli. Et oui, il s’agit bien d’accélérer la concurrence fiscale et sociale sur fond de « brexit », malgré les dégâts qu’elle procure : recul de l’action publique et de la protection sociale, report de la charge fiscale sur les ménages (à l’exception des plus riches) et des PME (les grandes entreprises étant les grandes gagnantes) et, finalement, affaiblissement du consentement à l’impôt, repli nationaliste, etc.
Vers une nouvelle baisse ciblée sur les plus aisés ?
Dans ce foisonnement de propositions non retenues, une n’a pas été invalidée : la baisse potentielle des droits de donation (et, peut-être, des droits de succession, qui obéissent aux mêmes règles). Il n’est pas étonnant que cette proposition n’ait pas été abandonnée : elle s’inscrit pleinement dans l’orientation fiscale du gouvernement. Il s’agit en effet de favoriser la transmission de patrimoine avec une imposition réduite, voire nulle. Mais ceci ne profiterait qu’aux ménages aisés : on ne dénombre en effet au maximum que 55 000 donations taxables par an… Car avec un patrimoine moyen de 158 000 euros (source : INSEE), l’immense majorité des ménages français n’est pas concernée par cette imposition en raison de la faiblesse de leur patrimoine.
Après avoir favorisé la distribution de dividendes en baissant les prélèvements (comme l’IS) sur les entreprises, baissé l’imposition des revenus financiers avec le PFU et sorti les titres financiers d’une taxation à l’ISF, ce qui va fortement accélérer la hausse des inégalités sans relance de l’activité économique, le gouvernement envisagerait désormais de favoriser le développement d’une société de rentiers. Et ce, loin des idées des libéraux (auxquels Emmanuel Macron se réfère), qui sont historiquement favorables à une forte taxation des transmissions de patrimoine puisque, selon eux, il faut réussir par son mérite et non grâce à l’héritage. Mais bien près des conservateurs du 19ème siècle qui n’ont eu de cesse de combattre l’imposition progressive et l’imposition des patrimoines. C’est sans doute ce que le gouvernement appelle le « nouveau monde » et la modernité...
Si l’histoire est un éternel recommencement, la prochaine étape des partisans de la justice fiscale et sociale sera donc de réhabiliter l’impôt, notamment l’impôt progressif...