Chacun.e souhaite légitimement transmettre à ses enfants ou à ses proches le patrimoine acquis au long de sa vie. Ceci explique que, dans la période, les médias font état d’une proposition qui semble remonter du « grand débat » : supprimer les droits de succession. Or, cette proposition puise ses origines dans une profonde méconnaissance des réalités de cet impôt décrié, à tort...
La crainte de voir ce patrimoine transmis amputé par de lourds droits de succession est très largement infondée, pour ne pas dire fantasmée. Car en réalité, l’immense majorité des successions n'est pas imposable en raison de la faiblesse de la valeur des patrimoines nets faisant l’objet d’une transmission et, par ailleurs, de la structure même des droits de donation et de succession. Le présent article revient donc sur le fonctionnement, la réalité des droits de succession et les principaux enjeux en la matière.
Les droits de succession, comment ça marche ?
Les droits de succession sont calculés de la manière suivante. Le patrimoine brut du défunt fait l’objet d’une évaluation. On en déduit le passif (les dettes) et on applique un abattement de 20 % sur la valeur de la résidence principale afin de déterminer le patrimoine net, autrement dit l’actif net taxable (celui-ci est mécaniquement inférieur au patrimoine brut). Cet actif net taxable est ensuite réparti entre chaque héritier en fonction de l'ordre des héritiers (en tenant compte des éventuelles donations antérieures) pour déterminer l’actif successoral taxable.
Suivant le lien de parenté, des abattements sont ensuite pratiqués pour déterminer la part réellement taxable. Cet abattement est de :
- 100 000 euros pour un enfant, un père ou une mère ;
- 15 932 euros pour un frère ou une sœur ;
- 7 967 euros pour un neveu ou une nièce ;
- 1 594 euros en l’absence d’un autre abattement applicable.
Le barème, différent suivant le lien de parenté, s’applique sur la part taxable ainsi calculée. Rappelons ici que le conjoint survivant ou partenaire de PACS est exonéré de droit de succession et qu’il existe des dispositifs spécifiques d’exonération totale (sur les rentes viagères entre conjoints ou en ligne directe) et partielle dans les cas de transmission d’entreprises et de certains logements notamment… Enfin, les personnes handicapées remplissant les conditions bénéficieront d’un abattement supplémentaire de 159 325 euros.
La réalité des droits de succession…
Selon l’Insee, l’héritage moyen se situait à 67 200 euros en 2015… De manière plus détaillée, l’Insee a calculé que 40,3 % des héritiers recevaient 8000 euros au plus, 25,7 % recevaient entre 8000 et 30 000 euros, 21,3 % recevaient entre 30 000 et 100 000 euros et seuls 12,8 % recevaient plus de 100 000 euros (données 2015). La réalité est donc la suivante : l’immense majorité des décès (au moins les trois quarts) ne donne pas lieu à une imposition au titre des droits de succession. Et ce, compte tenu des règles fiscales rappelées ci-dessus mais, surtout, de la valeur plutôt faible de la grande majorité des patrimoines transmis par voie de succession. A titre de simple exemple, lors du décès d’un parent qui détenait un patrimoine net de 200 000 euros, ses deux enfants ne paieront pas de droits de succession compte tenu de l’abattement de 100 000 euros dont bénéficie chacun d'entre eux.
Certaines successions sont certes taxables. Mais les taux réels d’imposition sont loin d’atteindre les taux « faciaux » présentés dans les barèmes. Une récente étude de France Stratégie rappelait ainsi que « le taux d’imposition effectif moyen sur les actifs transmis s’élevait en 2016 à 5 % et même à 3,1 % pour les actifs transmis en ligne directe », c’est-à-dire de parents à enfants. En réalité, seul 1 % des héritages en ligne directe dépasse un taux d’imposition de 18 % (ce qui veut dire que l’héritier reçoit 82 % du patrmoine net après impôt). Au-delà, si l’on tient compte de l’ensemble des transmissions, « Le taux moyen d’imposition effective (rapporté au montant annuel total d’actifs transmis) était proche de 5 % au début des années 1980 (graphique 6). Il a d’abord progressé, pour se situer aux alentours de 6 % entre 1988 et 2000, puis a baissé sensiblement jusqu’à moins de 4 % en 2010. Depuis, il a augmenté à nouveau, jusqu’à revenir à 5 % en 2015. ». On est bien loin d’un impôt confiscatoire...
Sur le plan budgétaire, en 2019, les droits de mutation par décès rapporteront près de 12 milliards d’euros et les droits de donation environ 2,3 milliards d’euros.
Droits de succession ET de donation : philosophie, rôle, objectifs…
Pour l’organisme France Stratégie, « la fiscalité des transmissions est impopulaire, mais aussi mal connue et largement surestimée ». La plupart des personnes interrogées expriment en effet leur crainte de ne pouvoir transmettre leurs biens à leurs enfants. Or, on l’a vu, l’immense majorité ne sera jamais concernée par cet impôt qui, par ailleurs, joue un rôle économique et social très important mais trop méconnu.
Les libéraux historiques (et plus récemment, des milliardaires comme Warren Buffet et Bill Gates) estiment qu’il faut imposer, parfois fortement, les successions au motif que la réussite d’une personne doit dépendre de ses mérites propres et pas de l’héritage de ses parents. Cette approche, censée favoriser le travail, vise également à réduire les situations de rente, celles-ci étant jugées contre-productives sur le plan économique. Elle porte plus largement l’idée d’une forme de « retour » à la société, celle-ci ayant d’une certaine manière permis au défunt de s’enrichir au long de sa vie. Avec une telle lecture, imposer le patrimoine au moment de sa transmission permet donc de « remettre les compteurs à zéro » si l’on peut dire ou, à tout le moins, de les rééquilibrer.
En France, les opposants aux droits de succession, par ailleurs également opposants à l’impôt progressif, à l’impôt sur la fortune et plus généralement à toute forme d’impôt qui les concerne, ne s’inscrivent nullement dans la lecture libérale de la fiscalité. Ils relèvent essentiellement de la sphère des conservateurs, qui a toujours estimé qu’elle ne devait rien à la société et qu’il était légitime qu’elle conserve ses privilèges …
Au-delà, si le débat actuel porte sur les droits de succession, il faut aussi rappeler qu’il concerne les droits de donation car ceux-ci obéissent aux mêmes règles. Ces derniers sont d’ailleurs fréquemment utilisés par les familles aisées afin de transmettre au fil de l’eau le patrimoine familial et ce, grâce à l’abattement de 100 000 euros qui se régénère en quelque sorte tous les 15 ans. En clair, chaque parent pourra donner à chacun de ses enfants 100 000 euros tous les 15 ans sans payer un euro de droit de donation. Une famille composée de deux parents et deux enfants pourra ainsi transmettre 400 000 euros tous les 15 ans en franchise d’impôt. Une opération que la quasi-totalité des familles ne peut réaliser tout simplement en raison du manque de moyens. De fait, ce sont donc les plus aisés qui bénéficient à plein de cette possibilité.
Dans un contexte où les inégalités de revenus et de patrimoines augmentent, les droits de donation et de succession peuvent jouer en théorie un rôle important même si la réalité des taux invitent à une réforme. Préalablement, il s’agit surtout, notamment par la pédagogie de l’impôt, d’éviter que les intérêts spécifiques ne manipulent les peurs des contribuables pour réduire encore un peu plus la légitime et nécessaire contribution qu’eux aussi doivent à la société… Plus que jamais, financer l’action publique et réduire les inégalités doivent être le fil conducteur de toute politique fiscale. On en est encore loin.