La proposition d’une micro-taxe de Marc Chesney, professeur à HEC Zurich, fait son petit bonhomme de chemin dans une période marquée par l’inventivité fiscale. Pour ce professeur, cette taxe s’apliquerait à tous les paiements électroniques. Voici un petit retour sur les attendus de cette proposition et aussi sur les questions qu’elle pose…
La micro-taxe, kesako ?
Cette proposition s’appuie sur les constats suivants.
- Le système fiscal date d’il y a cent ans environ (impôt sur le revenu, impôt sur les successions, etc) voire moins (TVA) ; il est globalement obsolète.
- Il suscite par ailleurs de vives réactions puiqu’il pèse trop sur les classes moyennes.
- Le total des transactions électroniques représente au moins 100 fois le PIB. Ce volume global permet aux grandes banques et aux fonds spéculatifs de percevoir des commissions et des rentes en tous genres. C’est en quelque sorte la finance casino…
- Les paiements électroniques se sont développés, au point de devenir la norme et, à terme, l’unique instrument de paiement de toutes les transactions.
Pour son promoteur, une micro-taxe sur tous les paiements électroniques permettrait de supprimer plusieurs impôts, dont notamment la TVA. D’un taux de 0,1 ou 0,2% sur chacune des transactions, son rendement représenterait environ 200 milliards d’euros, voire plus. Elle serait payée lors de chaque achat chez les comerçants, en ligne, retrait d’argent liquide au distributeur automatique, achat ou vente d’actions, obligations, devises, transfert d’argent d’un compte vers un autre, etc. Elle permettrait par ailleurs de simplifier le système fiscal, de s’adapter à la digitalisation de l’économie et de moins imposer le travail.
Reprenant également à son compte l’enjeu de la taxation des transactions fianncières, elle permettrait selon Marc Chesney de limiter fortement les activités de la finance casino. Enfin, elle pourrait éventuellement s’adapter aux enjeux climatiques et environnementaux en relevant dans certains cas le taux à 0,2%, 0,3% voire 0,4% pour financer le développement des énergies propres et des transports alternatifs à faible émission de CO2.
Que penser ?
A ce stade, on peut dresser l’analyse rapide de cette proposition sans toutefois se prononcer fermement.
Une telle microtaxe permettrait effectivement, si l’assiette proposée était retenue, d’englober l’ensemble des transactions électroniques, c’est-à-dire non seulement les achats « quotidiens » mais également les transactions financières. Un point intéressant pour qui estime qu’il faut neutraliser la spéculation et fiscaliser la financiarisation de l’économie... Par ailleurs, le taux, faible, pourrait permettre une certaine acceptation des populations. Son rendement reste à vérifier, mais vu les volumes, il est probable qu’elle dégagerait des sommes importantes. Son extension dans un grand nombre de pays serait par ailleurs possible, ce qui est intéressant si l’on souhaite, par exemple, harmoniser la fiscalité au sein de l’Union européenne.
Les questions qui demeurent posées sont de deux ordres.
Sur le plan « fiscal », elle ne saurait constituer un impôt unique tant en matière de rendement que de redistrbution. L’appréhension des facultés contributives nécessite en effet des impôts progressifs sur les revenus, les bénéfices et les patrmoines. Techniquement, la proposition mérite par ailleurs d’être précisée : sur quel type de transaction rehausse-t-on le taux pour poursuivre des objectifs écologiques par exemple ? Quels sont les contournements possibles ? Sans réponse, il n’est pas possible de se prononcer sérieusement sur le projet.
Au-delà, la sensibilité des enjeux touchant au numérique et à l’utilisation des algorithmes pose la question, centrale, de la traçabilité des flux et par conséquent des libertés individuelles. Les achats en ligne donnent déjà lieu à un afflux de publicités personnalisées. Les données afférentes sont donc stockées et détenues par des entités et des intérêts, privés ou publics. La sensibilité des données est évidente, même si au niveau de l’Union européenne, le règlement général de protection des données a récemment été instauré. Il est évident qu’une micro-taxe peut nuire aux libertés fondamentales et être détournée de son objet. Ce sont les conséquences de la numérisation de l’économie qui sont en question. De quoi nourrir un débat intéressant sur une proposition novatrice.