Lors de l’Université du Medef en août 2019, s’il s’est dit « peu enclin » à baisser les droits de succession, le Ministre de l’action et des comptes publics s’est montré ouvert à un allègement des droits de mutation à titre gratuit (DMTG) en déclarant : « J'ai proposé au président de la République une réflexion sur la taxation des donations pour la suite du quinquennat ». Sachant qu’il existe par ailleurs une frange conservatrice toujours active qui prône, elle, une baisse globale des DMTG, l’avenir de ces derniers semble bel et bien questionné.

Les DMTG sont méconnus. Ils suscitent des idées fausses savamment entretenues par les tenants du « moins d’État, moins d’impôt » qui surfent sur la volonté d’une grande partie de la population de transmettre le patrimoine familial aux enfants, petits-enfants et proches pour réclamer une baisse de ces impôts patrimoniaux. Ils omettent cependant de préciser le rôle et la place des DMTG ; leur impact sur les inégalités ou encore leur rendement budgétaire. Un tour d’horizon est donc nécessaire pour comprendre les enjeux, rétablir des vérités et tracer des pistes de réflexion.

Retour sur la théorie

Taxer les donations et les successions permet de dégager des ressources budgétaires (près 14,5 milliards d’euros prévus en 2020). Mais cela contribue également à réduire les inégalités, dans la mesure où les transmissions sont imposées selon un barème progressif (différencié selon le lien de parenté) en fonction de la valeur du patrimoine transmis. Sur le plan strictement théorique, nous sommes donc ici en phase avec les objectifs historiques de l’impôt : financer l’action publique et réduire les inégalités. Même s’il existe par ailleurs de nombreux mécanismes qui atténuent l’imposition réelle.

Il y a plus intéressant. En principe, les DMTG sont défendus non seulement par les partisans d’une justice fiscale synonyme de plus grande progressivité du système fiscal mais aussi par de « véritables » libéraux. Nous entendons ici par « véritables » ceux qui estiment qu’il faut d’une part, s’enrichir grâce à son travail et non par l’héritage et d’autre part, éviter la reconstitution d’une classe de rentier nuisible au dynamisme économique. Or, les inégalités de patrimoine, qui ont tendance à se développer (les 10 % les plus aisé détenant la moitié du patrimoine global des ménages) se nourrissent des inégalités de revenus (ceux-ci servent à se constituer un patrimoine) et les alimentent (le patrimoine étant aussi source de revenus).

Cette approche des DMTG est de moins en moins présente dans le débat public. Elle est aussi détournée par une frange de la population très favorable à une baisse de ces impôts. A grands coups d’images fortes et d’idées fausses, l’idée défendue est qu’il faut pouvoir transmettre à ses enfants le fruit d’une vie de travail et « faire circuler » le capital entre générations sur fond de solidarité intergénérationnelle. Ce discours sous entend donc de facto que la plus grande partie de la population est soumise aux DMTG, que les enfants seraient dépossédés du fruit de la vie de travail de leurs parents, que cela leur nuirait dans leurs conditions de vie et, plus largement, qu’il faut une baisse de ces impôts pour soutenir l’activité économique.

Ce discours occulte la réalité des DMTG et trompe l’opinion dans le but d’imposer l’idée d’une baisse qui profiterait essentiellement à une minorité de contribuables aisés au sein de laquelle on retrouve ceux qui déjà bien servis par la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune et la mise en œuvre du prélèvement forfaitaire unique.

Des droits faciaux élevés, une imposition réelle faible

En réalité, la structure des DMTG permet déjà aux enfants de recevoir le fruit d’une vie de travail de leurs parents, souvent beaucoup plus chez les plus aisés… En effet, contrairement aux idées fausses savamment entretenues, l’imposition effective des successions et des donations est faible.

Pour l’organisme France stratégie, qui a livré des éléments les plus récents dans le domaine (1) : « En ce qui concerne les transmissions en ligne directe (entre parents et enfants), les grandes évolutions sur longue période sont comparables, mais leur ampleur est atténuée : le taux moyen d’imposition effective a varié entre 2 % et 3 %. Le taux moyen d’imposition est donc beaucoup plus élevé pour les transmissions concernant des individus sans enfant (de l’ordre de 25 % en 2015).» Plus largement, « Le taux moyen d’imposition effective (est de) 5 % en 2015.». Pour l’immense majorité des successions et des donations, l’imposition est donc faible, voire nulle. Le taux d’imposition le plus élevé se trouve surtout dans les transmissions vers de parents plus éloignés.

Plusieurs raisons expliquent ce faible taux effectif d’imposition. La gestion patrimoniale des plus fortunés est également très active et optimisée tout au long de la vie. Et il existe de mécanismes d’exonération et d’abattements. Concrètement, chaque parent peut donner 100 000 euros à chacun de ses enfants tous les 15 ans sans payer de droit de donation. Pour une famille constituée de deux parents et deux enfants, ce sont 400 000 euros qui peuvent être transmis en franchise d’impôt. En outre, des abattements spécifiques existent. Il en va par exemple ainsi des dons en numéraire (31 865 euros pour une donation effectuée au profit des enfants, petits-enfants, arrière petits-enfants, etc, cumulable avec l’abattement prévu suivant le lien de parenté) et de l’assurance vie (pour laquelle les contrats inférieurs à 152 500 euros, dont les cotisations ont été versées avant le soixante-dixième anniversaire de l’assuré, sont exonérés de droits de succession).

En réalité, la valeur du patrimoine transmis est souvent faible. Selon l’INSEE (2), en 2014, le montant moyen du patrimoine transmis (par voie de donation et de succession) s’élevait à 135 400 euros, un montant sensiblement inférieur à d’autres pays proches (qui vont de 186 300 euros en Allemagne à 294 600 euros en Italie). Cette moyenne est tirée vers le haut par les inégalités de patrimoine (les 10 % des ménages les plus aisés détenant près de la moitié du patrimoine total des ménages) puisque le patrimoine médian transmis ne s’élève qu’à 41 400 euros. Plus précisément, l’héritage moyen s’élevait à 120 800 euros en 2014 (et l’héritage médian à 29 400 euros) alors que la donation moyenne s’élevait à 118 600 euros (et la donation médiane à 52 500 euros).

Quelles pistes ?

La priorité est de rappeler le rôle des DMTG et leur poids réel, ce qui n’empêche pas d’envisager leur évolution. La hausse prévisible du nombre de décès avec notamment le vieillissement de la génération du baby boom (587 000 décès en 2015, 770 000 prévus en 2060 (3), l’évolution du modèle familial qui impactera la répartition et la transmission du patrimoine (avec des recompositions plus nombreuses qu’auparavant) et la hausse tendancielle de la valeur globale du patrimoine des ménages sont autant d’éléments qui alimenteront le débat sur la fiscalité de la transmission de patrimoine. Ce pourrait être une occasion de moderniser une fiscalité ancienne, née avec la révolution française sous la forme d’un impôt proportionnel transformé en 1901 en barème progressif.

Parmi les pistes possibles, on peut envisager l’introduction d’un abattement sur la résidence principale exprimé en montant pour offrir davantage de visibilité (ce qui imposerait moins les patrimoines « moyens » et davantage les plus importants) ou encore la réduction de l’abattement sur les dons. Surtout, il s’agit de réhabiliter les objectifs de ces impôts méconnus. Faite de quoi ils baisseront, ce qui nourrira la hausse des inégalités sans procurer de recettes budgétaires.

 

(1) France stratégie, Peut-on éviter une société de rentiers ?, Note d’analyse n° 51, janvier 2017.
(2) INSEE, Les revenus et le patrimoine des ménages, édition 2018.
(3) Institut national d’études démographiques, Le nombre de décès va augmenter dans les prochaines années, Population et sociétés, n° 531, mars 2016.