Le premier ministre, Édouard Philippe, a présenté, le 13 octobre 2017, le Comité action publique 2022, le CAP 22. Une méthode « radicalement différente ». Mais en quoi ?
Une méthode viscéralement différente de celle qui conduirait à la valorisation du service public dans notre pays sur la base des principes républicains qui le fondent. Mais aussi radicalement différente de celle déjà employée par N Sarkozy alors président qui avait en son temps asséné les premières attaques au statut, aux droits et garanties des fonctionnaires.

Contrairement à la méthode sarkozienne, E. Philippe met en oeuvre une stratégie progressive aux objectifs très banals: il s’agit de tenir compte simultanément des intérêts des usagers (amélioration des services et de la confiance), des agents (modernisation des conditions de travail) et des contribuables (accompagnement de la réduction des dépenses publiques). Pour faire passer la pilule, il use de trois subterfuges. D’abord, une mise en garde qui concerne une pratique « trop comptable » de l’action publique, cocasse quand on met la fonction publique dans le ministère des… Comptes publics. Le deuxième avertissement critique des analyses qui seraient trop idéologiques. On peut craindre que ce point ne vise les principes républicains fondateurs du service public et de la fonction publique (égalité, indépendance, responsabilité). Le troisième met en garde contre des visions trop théoriques. On peut y voir une conception du service de l’intérêt général ramenée, comme il est dit, « à hauteur d’homme », c’est-à-dire d’un simple pragmatisme du new public management. A la DGFiP, le Directeur Général ramenait déjà cette idée dans les lignes directrices de mai 2016 en parlant de « masse critique ».

CAP 22, qu’est-ce donc ? Un comité...d’experts ?

Le comité CAP 22 comprend 34 membres, dont nombre d’énarques. Et beaucoup d’experts issus commission Attali réunie en 2008 par Nicolas Sarkozy, ainsi que plusieurs membres de l’Institut Montaigne lequel n’a rien à envier à l’Ifrap, plus libéral tu meurs. On y trouve aussi de hauts fonctionnaires, lesquels ont pas mal pantouflé. A ce parterre, s’ajoutent des dirigeants de grandes entreprises privées et de start-up. Et enfin, certains élus de tout bord ralliés à la cause !
On aurait aimé y voir, si l’intention avait été louable ...puisque nous parlons d’experts :
Ceux de la justice administrative, des institutions et de la recherche, des élus de l’opposition, des représentants des organisations syndicales.

Un comité aux conclusions rapides

C’est l’objectif premier car ce comité doit remettre un rapport fin mars 2018. Délai des plus contraint pour un travail « sérieux » sur l’ensemble de l’action publique et des structures administratives, ce qui obère nettement le crédit du futur rapport. Vingt et un domaines à sonder et 700 millions alloués sur la durée du mandat présidentiel.
Ces modalités apparaissent bien conformes avec ce que l’on sait des visions macroniennes. Lequel (EM) a jugé le statut général des fonctionnaires « inadapté », puis fustigé, dans une interview au Point du 31 août 2017, les personnels à statuts, les « insiders ». C’est sans doute la députée LREM, vice-présidente de l’Assemblée nationale, Cendra Motin, qui a exprimé le plus clairement la conception officielle, assimilant, dans le Monde du 4 août 2017, les fonctions publiques à autant d’entreprises d’un même groupe financier. Au-delà de ces préliminaires, il ne fait donc pas de doute que le pouvoir exécutif a déjà une idée précise des réformes qu’il a décidé d’entreprendre en ce qui concerne l’action publique. Le CAP 22 n’est là que pour préparer le terrain. La lettre aux différents ministres du premier ministre, en date du 28 juillet 2017, est assez explicite, évoquant « des transferts au secteur privé, voire des abandons de missions ». (Analyse d’Anicet le Pors, libération octobre 2017)
Considérant ce qui précède, la stratégie engagée pourrait comporter trois phases.
La première étant la mise en œuvre de CAP 22 dont la banalité des objectifs affichés est de nature à rassurer. Les travaux du comité se basent sur des mesures prédéfinies de réduction des missions du secteur public, tout en mettant l’accent sur le caractère inapproprié de sa gestion par force communication.
La deuxième consisterait à la réduction du périmètre du secteur public par privatisations, économie mixte, dérégulation et délégation de service public. Cela permet le développement des contrats de recrutement de droit privé négociés de gré à gré. La contractualisation des emplois devient dominante dans de nombreux domaines du service public. À la DGFiP, on est de ce point de vue assez exemplaires puisque notre directeur Général, fort zélé, ou devin, a engagé ces dérégulations bien en amont, les premiers coups de boutoir mis dans les règles de gestion ont fragilisé dès 2016/2017 les droits et garanties des agents, mais pour la centrale favorisent les services et donc les missions de la DGFiP. Et la deuxième salve cet automne ne fait qu’enfoncer le coin !
Enfin, la troisième phase s’appuierait sur la réduction du service public aux seules fonctions régaliennes de l’État. Là encore nous avons du mouron à nous faire. Si notre administration, régalienne est placée au cœur de l’État, ses missions et son périmètre eux vont évoluer.
Évoluer sous la proposition même de notre administration puisque nous sommes force de proposition d’évolution des textes qui régissent notre action (la modification de l’article 40 fut révélatrice des ambitions de la DG). S’agissant du statut et des emplois, là encore péril en la demeure. Nous allons avoir recours à des « agents » recrutés hors concours, sous forme de contrat... »on prend, on use on jette ». Mais jamais on ne vous dira cela, non non, on vous dira que la direction a pris la mesure des enjeux, et que pour pallier les suppressions d’emplois, elle trouve des solutions !
Seuls deux facteurs sont de nature à faire échec à cette stratégie, selon Anicet le Pors
D’une part, la longueur du processus au cours duquel des aléas peuvent survenir et le fait que la politique d’Emmanuel Macron sera de plus en plus contestée. D’autre part, la prise de conscience des agents du service public et plus particulièrement des fonctionnaires, décidés à défendre la conception française du service public et de la fonction publique. Mais rien n’est acquis non plus…

Et sinon...

« Notre pays change d’ère, nos services publics le doivent aussi », a expliqué le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, lors du lancement officiel, le vendredi 13 octobre, par le premier ministre Édouard Philippe, du Comité action publique 2022. Le CAP 22 est censé mener « une réflexion sur la transformation ambitieuse de l’action publique ».
Et si nous changions d’air ?