SOLIDAIRES FINANCES PUBLIQUES

[Communiqué de l'Union Syndicale Solidaires] Le décret du 27 mai 2025 sur la protection des travailleurs et travailleuses face à la chaleur est entré en vigueur au 1er juillet 2025. S’il réaffirme l’importance de la prévention, il présente surtout de sérieuses limites.

Tout ça pour ça ! Au cours de l’été 2023, en pleine canicule, le ministre du Travail en poste, Olivier Dussopt, annonçait de nouvelles mesures pour protéger les travailleur·euses contre les risques d’exposition aux fortes chaleurs. Près de deux ans après, un décret et un arrêté ont été publiés le 27 mai 2025 pour « renforcer » la protection contre les fortes chaleurs et effets de la canicule au travail. Problème : alors que les épisodes de fortes chaleurs se multiplient et que les effets des chaleurs intenses sur la santé humaine, notamment pendant le travail, ne sont plus à démontrer, le ministère du Travail fait du quasi-sur-place en matière de réglementation, sans doute pour ne pas fâcher le patronat.

L’exposition aux fortes chaleurs constitue un risque très important pour la santé des salarié·es, notamment dans les secteurs du BTP, des travaux agricoles ou d’espaces verts, des travaux en extérieur ou dans l’industrie et le commerce (agroalimentaire, métallurgie, boulangerie, pressings). C’est à la fois un risque direct (coup de chaleur, malaise, céphalées, crampes, nausées, décès) et indirect, car les symptômes dus à la chaleur (vertiges, transpiration, fatigue accrue, perte de vigilance…) peuvent entraîner des accidents du travail. La chaleur tue chaque année, comme en 2023 dans les vignobles de Champagne et du Rhône où début septembre 6 ouvrier·es ont trouvé la mort. Les accidents du travail dus à la chaleur sont difficiles à recenser, et beaucoup d’entre eux ne sont pas identifiés comme étant causés par les conditions météorologiques.

Le décret du 27 mai 2025 introduit une prévention des risques renforcée en cas d’épisodes de « chaleur intense ». Ces mesures doivent être mises en place en cas d’alertes canicules jaune, orange et rouge (déclenchées par Météo France). C’est une première limite de taille : cela sous-entend qu’en dehors de ces épisodes, on peut se « contenter » des mesures de prévention classiques. Or, la question des conditions de travail dans des ambiances thermiques (que ce soit le chaud ou le froid d’ailleurs) ne se limite pas aux épisodes d’alerte canicule. Il renvoie les employeurs à leur obligation d’évaluer les risques et de prendre les mesures appropriées pour y faire face (supprimer le risque, le diminuer si la suppression n’est pas possible, etc.). Mais renvoyer l’évaluation des risques à la responsabilité de l’employeur, c’est la garantie que les risques seront minimisés, pour ne pas nuire à la production, ou pour ne pas supporter le coût des moyens nécessaires à
protéger les travailleur·euses.

De plus, ces mesures apparaissent comme très insuffisantes. Les nouvelles dispositions visent essentiellement à limiter ou à compenser les effets des fortes chaleurs, à adapter autant que possible l’organisation du travail ou les horaires, mais pas à arrêter le travail. Par exemple, parler d’augmenter « autant que nécessaire » la quantité d’eau mise à disposition des travailleur·euses relève d’une telle évidence que présenter cela comme un progrès de la réglementation montre bien le déni et l’irresponsabilité dont fait preuve ce gouvernement.

Le décret ne détermine pas de températures maximales de travail (ni minimales d’ailleurs), et c’est une autre limite considérable. Il existe pourtant bien des températures maximales au-delà desquelles, quelle que soit la situation, l’organisme humain doit se préserver (et donc arrêter de travailler). L’INRS considère qu’au-delà de 30 °C pour une activité sédentaire et 28 °C pour une activité légère, la chaleur peut constituer un risque pour les salariés. Aux alentours de 40 °C, le risque d’hyperthermie peut devenir un risque mortel, et bien en deçà de cette température, l’exposition prolongée à la chaleur est un facteur de risque établi. Il devient donc essentiel de définir des températures maximales au-delà desquelles le travail doit s’arrêter. Rappelons que le premier principe de prévention est d’éviter les risques… et donc de soustraire les travailleur·euses aux chaleurs intenses !

Le décret prévoit une mise en demeure par l’inspection du travail de se conformer à la réglementation en cas d’épisodes de chaleur intense sous peine de procès-verbal. Mais le délai minimal dans lequel l’employeur doit agir est de… 8 jours (4 jours pour les travailleur·euses agricoles). Outre le fait que les épisodes de canicule durent rarement autant de temps, qu’en est-il des conditions de travail en attendant ? Les salarié·es ne peuvent que faire jouer leur droit de retrait, avec toutes les difficultés que cela comporte, notamment de renvoyer chaque salarié·e à sa propre capacité à évaluer son état ou à oser y avoir recours quand on est précaire ou vulnérable (intérimaires, CDD, sans-papier), sachant que soumis à de fortes chaleurs, une personne peut basculer très rapidement dans une situation grave.

Nous redemandons donc instamment que l’inspection du travail soit dotée d’un nouveau pouvoir, celui d’arrêter l’activité en cas de situation météorologique extrême (intempéries de toute nature : chaleur intense, froid, orages…), sur le modèle des arrêts de travaux pour risque de chute de hauteur, risque d’ensevelissement, d’exposition à l’amiante ou de contact électrique.Dans ces situations, l’inspection du travail peutprendre des décisions d’arrêt immédiat de l’activité, qui ne peut reprendre qu’une fois qu’ont été vérifiées que les conditions de travail compatibles avec la santé et la sécurité des travailleur·euses ont été rétablies : c’est la garantie de pouvoir agir efficacement et immédiatement pour retirer des salarié·es d’une situation dangereuse.

Bien entendu, ce nouvel outil juridique ne sera utile que si les effectifs suffisants à l’inspection du travail sont assurés, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. Nous demandons également l’extension des dispositions du Code du travail aux travailleur·euses « indépendant·es » hors BTP, notamment dans le secteur de la livraison, avec obligation faite aux plateformes de suspendre leur service et d’indemniser les livreur·euses en cas d’épisode caniculaire.

Nous demandons également de nouveaux droits à compensation et à récupération pour fatigue liée à l’exposition à la chaleur, et non de simples aménagements d’horaires, qui peuvent se révéler dommageables pour la santé (travail en horaires décalés).

Avant tout, nous rappelons qu’avant l’adaptation au changement climatique, il faut d’urgence prendre des mesures pour freiner ce dérèglement et ce réchauffement, en s’attaquant en premier lieu aux entreprises, activités et énergies émettrices des gaz à effet de serre.

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