La fin d’année a toujours été une période propice à la sortie de notes défavorables à l’exercice des missions des personnels de la DGFiP. 2024 n’a pas fait exception. Et cette fois, ce sont les géomètres qui ont reçu un cadeau de Noël anticipé mais surtout empoisonné.
Empoisonné par une volonté persistante de la DGFiP de limiter au maximum les déplacements des personnels sur le terrain. La note est explicite : le foncier innovant s’industrialise. Nul besoin d’une étude sémantique approfondie pour comprendre que l’industrialisation emporte, de facto, une priorisation de la productivité. Dans le pur respect des terminologies néo-libérales, la DGFiP y voit, pour nos missions de service public, un gain d’efficience. Solidaires Finances Publiques y voit surtout une dégradation de la qualité et de la précision topographique ainsi qu’une dégradation notoire des conditions de travail des personnels de la DGFiP déjà fortement impactés par les restructurations précédentes. Ne nous leurrons pas : sous couvert de technicisme et de modernisme, les algorithmes du Foncier Innovant répondent à un objectif prioritaire : réduire les effectifs et les frais de déplacement des personnels de notre administration.
Le Foncier Innovant : 3 vagues successives et 26 départements
Rappelons que la détection automatique par les algorithmes de Google couvre 3 catégories d’« objets » : les piscines, les bâtiments isolés et les extensions bâtimentaires. Écartons dès maintenant le 3ème volet. En plus d’être profondément opposé à l’ensemble du foncier innovant, ce dernier volet est aujourd’hui impossible à mettre en place, tant les techniques algorithmiques de reconnaissance automatique ne sont pas encore assez matures pour identifier une véranda ou tout autre agrandissement. Ainsi, aux départements expérimentateurs se sont ajoutés 26 départements préfigurateurs : 7 départements en juin 2024 (Ardennes, Aube, Loire-Atlantique, Haute-Marne, Meuse, Nièvre et Sarthe), puis 19 à la mi-octobre 2024 (Allier, Ariège, Aveyron, Cantal, Haute-Garonne, Gers, Loire, Haute-Loire, Lot, Maine-et-Loire, Marne, Mayenne, Meurthe-et-Moselle, Puy-de-Dôme, Hautes-Pyrénées, Seine-Maritime, Tarn, Tarn-et-Garonne et Vendée). L’ensemble des traitements de détection automatique des piscines et bâtiments isolés devrait être terminé pour tous ces départements d’ici février 2025.
Concrètement, ça change quoi pour les missions ?
Dès lors que les algorithmes du Foncier Innovant seront mobilisés sur un département (les orthophotos de l’IGN - photos aériennes - sur lesquelles s’appuient les algorithmes sont renouvelées tous les 3 ans), les levées de terrain seront suspendues jusqu’à la finalisation des travaux. De manière plus générale, les déplacements sur le terrain seront réduits, avec sans doute des politiques différentes selon les départements. Pourtant, rien ne remplacera l'expertise des géomètres pour analyser et topographier l’ensemble des cas complexes et saisir la réalité du terrain.
Quels sont les résultats ?
Les algorithmes du Foncier Innovant fonctionnent déjà moins bien sur les piscines. Un deuxième passage des algorithmes aboutira, selon la note de décembre, à une baisse de détection compris entre 20 et 40 %. En effet, non seulement le stock des piscines non déclarées a mécaniquement baissé mais, en plus, les piscines sont de plus en plus installées hors-sol échappant ainsi à la fiscalisation. Concernant les bâtiments, seuls ceux supérieurs à 60 m² sont détectés, avec, là encore, des erreurs commises par les algorithmes du Foncier Innovant.
Par ailleurs, un passage de la note est particulièrement révélateur : « il est pleinement assumé des taux de validation plus faibles, incluant une part de rejets parfois significative, qui est la contrepartie d’une volonté de ne pas écarter abusivement des détections “fiscalisables” ». Nous pourrions le traduire ainsi : « Nous assumons pleinement de confondre des piscines avec des bâches ou des bâtiments avec des barnums. Nous n’allons pas mobiliser des personnels pour faire ce travail ; nous verrons bien les réactions ultérieures des propriétaires. » Peu importe non plus les contentieux qui seront générés ni l’augmentation de la dégradation des conditions de travail des personnels.
Une représentation cadastrale dégradée
La DGFiP en fait bizarrement moins de publicité, mais en plus du volet fiscal, l’ensemble des piscines et bâtiments détectés est automatiquement intégré au plan cadastral. Même s’ils sont réinjectés avec le concours de personnels de la DGFiP, ils le sont avec moins de précision qu’un déplacement sur le terrain.
Sans surprise, la technicité et l’implication des personnels sont ignorées. Les géomètres n’ont pas pour vocation à entraîner les algorithmes d’une Intelligence Artificielle ni à jouer les clique-boutons sur ICAD. L’efficience sans conscience professionnelle n’est que ruine de la mission. Par ailleurs, être dépendant du savoir-faire technologique de Google et Cap Gemini pose question. Comment les collègues nouvellement arrivés pourront se former et pratiquer au quotidien des missions topographiques ? Comment ne pas mettre en balance la mise en place du Foncier Innovant avec son coût économique (36 millions d’euros + 2 millions d’euros chaque année), son coût humain (300 ETP supprimés et identifiés dans les documents du Fonds de transformation de l’action publique), et son coût environnemental ?