La gestion des « niches fiscales », autrement dit des  « dépenses fiscales », est complexe et d’autant plus difficile que, depuis qu’il n’est plus nécessaire de joindre les justificatifs aux déclarations d’impôt, la plupart d’entre elles ne donnent lieu qu’à un contrôle a posteriori dans le cadre des procédures de contrôle fiscal (sur pièces ou sur place). Vu leur coût budgétaire (près de 100 milliards d’euros pour 2019) et leur impact économique (bénéficier d’une niche indûment, fausse les conditions de la concurrence), il est pourtant nécessaire que le contrôle fiscal joue son rôle. Mais manifestement, on en est malheureusement loin…

Un contrôle global très faible…

La situation n’est pas nouvelle. On peut même penser qu’avec les suppressions d’emplois que les services de gestion et de contrôle ont connues, elle s’est dégradée. Dans son rapport public annuel de février 2010 (partie intitulée « Les méthodes et les résultats du contrôle fiscal »), la Cour des comptes déplorait ainsi le « contrôle insuffisant des dépenses fiscales ». A titre d’exemple, elle précisait dans son rapport que : « en intégrant les résultats des directions nationales, les droits rappelés au titre des principales dépenses fiscales relatives à l’impôt sur les sociétés représentent moins de 1,0 % du coût de ces dispositifs, à l’exception du crédit d’impôt recherche » (celui-ci étant déjà faiblement contrôlé comme on le verra ici).

Certes, chaque année, des rectifications sont opérées au vu du non respect des conditions attachées aux dépenses fiscales. Les quelques données disponibles montrent cependant que le « taux de couverture » de ces dispositifs est faible. Or, il y a pourtant là un champ important pour le contrôle fiscal et ce, à tous les niveaux : direction territoriale, Dircofi et direction nationale. Un champ qui s’apparente trop souvent à une friche…

Des dépenses fiscales du logement peu contrôlées

Dans un référé du 17 janvier 2018 adressé au Premier Ministre consacré aux dépenses fiscales liées au logement, la Cour des comptes déplore la hausse du montant annuel des réductions d’impôt sur le revenu consenties à des bailleurs individuels, passé de 606 millions d’euros en 2009 à 1,717 milliard d’euros en 2015.

Les constats dressés par la Cour des comptes sont sévères : « l’effet sur le secteur de la construction doit être relativisé (...), l’effet sur les loyers n’est pas avéré ». Abordant la question du contrôle fiscal, elle souligne également «des avantages fiscaux accordés sans contrôle satisfaisant». Elle précise que : « l’administration ne connaît pas avec exactitude le nombre et la durée réelle de mise en location des logements construits ou réhabilités grâce à ces aides, pas plus que le profil socio-économique des ménages qui y sont logés ».

CIR : un taux de contrôle en baisse

Les gouvernements successifs ont lourdement insisté sur un point : la demande ou l'attribution d'un crédit d'impôt recherche (CIR) ne constitue en soi ni un motif, ni un axe de programmation. Si ceci n’empêche pas la DGFiP de contrôler le CIR, il n’en demeure pas moins que la préservation, pour ne pas dire la sanctification du CIR, se ressent dans le contrôle fiscal.

S’il manque des données complètes sur le nombre d’entreprises bénéficiant du CIR faisant l’objet d’un contrôle, les données figurant dans le tableau suivant (publié au journal officiel le 27 février 2018 suite à une question au gouvernement du 31/10/2017) montrent une baisse de la proportion des contrôles avec des rectifications opérées sur le CIR (suite aux contrôles fiscaux externes et aux contrôles sur pièces). On est manifestement très loin du discours alarmiste des milieux d'affaires qui dénoncent à l'envi le trop grand nombre de contrôles des entreprises bénéficiant du CIR...

  2011 2012 2013 2014 2015 2016
Nombre de déclarants CIR

 21 916

22 310 24 148 24 253 24 253 24 253
Nombre de contrôles avec rectification sur CIR 772 1 284 1 459 1 457 1 180 996
Part des déclarants CIR dont le contrôle a donné lieu à une rectification 3,5% 5,7% 6% 6% 4,9% 4,1%

* Reprise des derniers chiffres connus du Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche (publication en juin 2017 des données 2014). Estimation sur 2015 et 2016 compte tenu de l'incertitude du nombre de déclarants CIR sur ces années-là
Source : Question N° 2501 de M. Dive, député de l’Aisne, au ministre de l’action et des comptes publics

Crédit de TVA : priorité au remboursement rapide…

Les remboursements de crédits de TVA représentent en valeur la part la plus importante des remboursements et dégrèvements d’impôts d’État, avec 53,5 milliards d’euros évalués pour 2019. Ils sont en augmentation de 1,5 milliard d’euros, en raison de l’augmentation de l’enveloppe de dépôt des demandes de remboursements de crédits de TVA (évaluée à 3 %).

Il faut remonter à quelques années pour disposer de données plus précises. Ainsi, le rapport de la Cour des comptes de 2015 intitulé la gestion de l’impôt et la fraude à la TVA, dénombrait 1 622 326 demandes en 2016 contre 1 576 329 demandes en 2015. Si le taux de rejet sur ces années n’est pas public, on soulignera qu’en 2014, 4,1 % des demandes faisaient l’objet d’un rejet, un taux identique à l’année 2013 et légèrement supérieur aux années précédentes (3,8 % en 2012 et 3,7 % en 2011).

Concrètement, depuis la crise de 2008 et les mesures prises par le gouvernement Sarkozy, notamment le remboursement en procédure accélérée des différents crédits (principalement le crédit de TVA) dont pouvaient bénéficier les professionnels, la priorité est au remboursement rapide. Dans le même temps, les suppressions massives d'emplois ont affecté les services gestionnaires et de contrôle. Si cela a affaibli le contrôle, le remboursement rapide des demandes demeure la règle : la part des demandes de remboursement de crédit de TVA et des restitutions de trop versé d'IS, ayant reçu une suite favorable ou partiellement favorable, traitées dans un délai égal ou inférieur à 30 jours devrait s’élever à 80 % en 2018 (source : mission remboursement et dégrèvement). Et les témoignages d’agent.es inquiet.es de l’absence réelle de contrôle sous certaines limites (élevées) laissent songeur…

Pour 2018, la DGFiP annonce 2 010 instructions sur place, censées mieux orienter le contrôle des remboursements de crédits de TVA. Un premier bilan de cette procédure devra donc être dressé.

Mécénat : des contrôles de faible ampleur et des résultats très limités au plan national

Dans son rapport de novembre 2018 intitulé, « Le soutien public au mécénat des entreprises, un dispositif à mieux encadrer », la Cour des comptes déplore le faible contrôle de ces dispositifs. Elle note ainsi que « depuis 2013, les rectifications au plan national, en nombre d’opérations, ont varié selon les années, autour d’une centaine par an. Les montants en base concernés ont, en revanche, fortement progressé, passant de 2,7 millions d’euros en 2013 à 17,0 millions d’euros en 2017. Ce dernier montant marque une forte progression par rapport aux années antérieures. Toutefois, ces résultats demeurent très limités au regard des plus de quelques 53 000 entreprises concernées par le dispositif en 2016. »

Il faut rapporter ce résultat exprimé ici en base (et non en droits) au coût budgétaire global de la dépense fiscale concernée, soit plus de 900 millions d’euros pour 2018 pour mesurer les enjeux...

Le contrôle des « niches » est (évidemment) nécessaire

Si l’on peut déplorer le manque de données disponibles sur le contrôle des dépenses fiscales, les rares disponibles confirment les témoignages de nos collègues. Le contrôle de ces dispositifs est faible. Cette situation est évidemment préoccupante en matière de rendement budgétaire puisque celui-ci est mécaniquement impacté par les erreurs et les fraudes. Plus largement, elle l’est également du point de vue de l’efficacité de ces dispositifs, dont le but est de soutenir un secteur ou d’orienter les comportements et non de grever artificiellement les finances publiques pour seulement permettre à leurs bénéficiaires de baisser leur impôt.

De fait, ici comme sur l’ensemble du champ fiscal, affaiblir le contrôle fiscal revient tout simplement à renoncer à contrôler et à évaluer un pan important des dépenses publiques ; les dépenses fiscales… A l’heure où l’on déplore un système fiscal mouvant et complexe, améliorer le contrôle fiscal des « niches » devrait pourtant être une priorité stratégique.