Réunion du Mardi 23 mai 2017

QUAND LA CORDE SOUTIENT LE PENDU !

La DGFiP a décidé de maintenir le « groupe de travail » sur la « gestion du fonds de soutien pour les emprunts toxiques des collectivités locales » prévu depuis le début de l'année, le mardi 23 mai à 15h. Ce maintien, dans un contexte où le débat sur la suppression de la taxe d'habitation pour 80% de la population, avec une perte sèche de 10 milliards d'euros et posant la question du financement des collectivités locales, a toutes les caractéristiques d'un point presse avec son communiqué et son dossier à l'appui. Les documents qui sont joints en vue de cette réunion avaient servi à faire le point avec la presse le 22 mars dernier donc avant les organisations syndicales représentatives du personnel.

Point presse en direction des organisations syndicales

Outre ce « point presse », l'objet de cette réunion se limite à exposer les modalités de l'intégration au sein de l'administration centrale de la DGFiP, plus particulièrement du service des collectivités locales, de la gestion du fonds de soutien pour les emprunts toxiques des collectivités. Mission exercée précédemment par le Service à compétence nationale de Pilotage du Dispositif de Sortie des Emprunts à Risques (SPDSER). Ce service était rattaché conjointement aux ministres chargés du budget, des collectivités territoriales et de l’outre-mer.

C'est là une nouvelle étape d'un dispositif dont le décret de mise en œuvre n'a jamais été abordé avec les organisations syndicales de la DGFiP. Comme l'indique la fiche communiquée par l'administration en vue de la réunion de ce 23 mai, la décision est déjà prise : « conformément à la décision du Ministre de l'économie et des finances, la DGFiP assurera à compter du 1er septembre 2017 le pilotage et la gestion du fonds de soutien jusqu'en 2028 ».

Nous n'avons rien à dire de particulier sur cette réorganisation administrative qui concerne manifestement un changement de phase, avec un recentrage de l'activité sur l'exécution des conventions d'aide signées entre l’État et les collectivités bénéficiaires et un effectif déjà réduit, si ce n'est pour noter le changement à cette occasion de statut du service, les trois inspecteurs-trices le constituant étant affecté-e-s au bureau CL1C.

Une simple réorganisation administrative...

Ce n'est donc pas ce point qui retient notre attention. Nous préférons revenir ici sur l'enjeu que représente le fonds de soutien pour les emprunts toxiques des collectivités locales.

Cette nouvelle phase et ce transfert de la gestion du fonds à la DGFiP ainsi que les trois emplois actuellement financés sur le programme 305 « Stratégie économique et fiscale » de la mission « Économie », signifient-ils que le dispositif de sortie des emprunts à risques des collectivités a atteint ses résultats, comme l'affirme le communiqué commun du Ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales et du secrétaire d’État chargé du budget et des Comptes publics ?

Et quel coût pour les collectivités et les contribuables ? C'est en réalité la question de fond, sans jeu de mot, de cette opération.

La crise financière de 2008 avait déjà attiré l'attention sur les risques encourus par les collectivités locales dont la capacité à emprunter avait été libéralisée sur un marché financier à risques comprenant des offres d'emprunts structurés. Nous avions déjà dénoncé, à l'époque, l'abandon par l’État de l'encadrement du crédit des collectivités territoriales, dans un contexte de privatisation des banques publiques, sous prétexte de permettre aux collectivités d'élargir leur source de financement, de « les responsabiliser » et de « libérer leurs initiatives ».

La Cour des Comptes, dans un rapport de juillet 2011 sur la gestion de la dette publique locale, considérait alors que « le cadre juridique peu contraignant applicable aux emprunts des collectivités locales a rendu l'exercice des contrôles difficile, qu'il s'agisse du contrôle de légalité ou de celui des comptables publics ». « Il a, en revanche » soulignait-elle « permis aux collectivités locales de recourir à un vaste éventail de produits de financement, qui s'est progressivement élargi à des emprunts de plus en plus risqués ».

C'est cette libéralisation, irresponsable pour nous, que l’État essaie de corriger en faisant payer la facture aux contribuables.

... mais un enjeu financier pour l’État et les collectivités !

Alors que le scandale des « emprunts structurés » dits « emprunts toxiques » est porté à la connaissance des élus et du grand public en 2008, le « fonds de soutien pour les emprunts toxiques des collectivités locales » a finalement été créé le 29 décembre 2013 par la loi de finances pour 2014.

C'est le volet dit « curatif » mis en place par les pouvoirs publics et mis en avant par le communiqué commun du 22 mars 2017 du ministre de l'Aménagement du Territoire, de la Ruralité et des Collectivités Territoriales et du secrétaire d’État chargé du Budget et des Comptes Publics. Pour ceux-ci, le dispositif de sortie des emprunts à risque des collectivités locales est atteint.

Pour les ministres concernés, la réponse apportée par le Gouvernement a reposé sur deux volets : un volet curatif avec la mise en place du fonds et un volet préventif avec « la sécurisation des conditions d'accès au crédit par le renforcement de la réglementation bancaire et comptable applicable aux prêts » des collectivités.

Sur le plan préventif, les pouvoirs politiques ont énoncé pour Solidaires Finances Publiques certains gardes-fous en encadrant les conditions d'emprunt des collectivités territoriales à venir par le décret n°2014-984 publié le 28 août 2014 (pris en application de la loi n°2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires) qui « vise à préciser les conditions de souscription d'emprunt et de contrats structurés par les collectivités », « afin de les protéger des emprunts structurés à fort risque » : énumération de façon limitative des indices sur lesquels ces emprunts peuvent être indexés et, concernant les formules d'indexation, conditions dans lesquelles ces formules peuvent être considérées comme « suffisamment simples ou prévisibles pour être conformes à la loi » (sic).

Éviter les recours en justice

Ça, c'est pour l'avenir, mais, pour le passif, l'objectif du gouvernement était d'endiguer les poursuites judiciaires des collectivités territoriales contre les emprunts toxiques. L’État, ayant organisé le plan de sauvetage de Dexia et pris à sa charge les risques financiers liés aux encours toxiques de cet organisme (voir Unité n°1032), il fallait notamment qu'il préserve ses intérêts. Après un premier échec du Gouvernement devant le Conseil Constitutionnel à l'occasion de la loi de Finances pour 2014, c'est par la loi n°2014-844 du 29 juillet 2014 « relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public » qu'était « entérin[ée] la validation rétroactive de ces emprunts à risque » (expression du journal Le Monde du 21 mars 2015), dépourvus de taux effectif global (TEG). Si ce texte constituait une véritable « amnistie bancaire » aux yeux des collectivités, l'heure était venue de renégocier la facture avec les banques.

Le décret du 29 avril 2014, modifié entre-temps par celui du 4 juin 2015, prévoit, pour les emprunts antérieurs à son application, des conditions très encadrées pour que les collectivités territoriales bénéficient de l'aide de l’État.

En particulier, l'aide prévue pour le remboursement anticipé de ces « emprunts et instruments » financiers est calculée sur la base des Indemnités de Remboursement Anticipé (IRA) dues. L'indemnité de remboursement anticipé est une pénalité payée à la banque qui rachète un prêt pour ensuite en proposer un autre censé être plus avantageux pour l'emprunteur. Après avoir été plafonnée à 45% de cette IRA au 29 avril 2014, l'aide de l’État l'a été à 75 % du montant de celle-ci depuis que la loi du 29 décembre 2013 a été modifié par celle du 7 août 2015.

En résumé, la collectivité emprunte auprès d'une banque « peu scrupuleuse » qui peut lui vendre un produit toxique ; si la collectivité, ses élu-e-s ou ses administré-e-s se rendent compte de l'arnaque, la banque applique une pénalité pour échanger le produit toxique contre un autre emprunt ; dans ce cas, l’État propose « généreusement » de prendre en charge une partie de la pénalité pour éviter les poursuites judiciaires contre les emprunts toxiques que certaines collectivités refusaient de renégocier.

Chantage au profit de banques sans scrupule

Ainsi, selon le dossier de presse du ministère de l'Aménagement du Territoire, de la Ruralité et des Collectivités Territoriales et du secrétariat d’État chargé du Budget et des Comptes Publics, « en pratique, la Structure à compétence nationale a notifié pour chaque prêt présenté à son intervention une proposition d’aide comportant un taux de prise en charge de l’IRA et un montant plafond d’aide calculé par référence à l’IRA évaluée au 28 février 2015. Ces propositions d’aide ont été présentées entre septembre 2015 et avril 2016 aux collectivités ayant formulé des demandes d’aides avant le 30 avril 2015. Une fois les propositions reçues, les bénéficiaires ont alors disposé d’un délai maximal de 3 mois pour finaliser une transaction civile avec la banque prêteuse éteignant tout contentieux en cours ». C'est nous qui soulignons !

Puis « sur la base des conditions financières de remboursement stipulées dans l’accord, le fonds de soutien a finalement procédé au calcul du montant de l’aide définitivement attribuée et proposé au bénéficiaire et au préfet le texte d’une convention entre l’État et la collectivité concernée, indiquant le montant de l’aide et son calendrier de versement jusqu’en 2028 ».

Les gagnants et les perdants

Dans ce cadre, les grands gagnants sont les banques « intoxicatrices » et les grands perdants les contribuables. En effet, selon Patrick Saurin, longtemps chargé de clientèle auprès des collectivités publiques, porte-parole de Sud Solidaires BPCE, membre du Collectif pour un Audit Citoyen et du Comité pour l'Abolition des Dettes Illégitimes (CADTM France), auteur du livre « Les prêts toxiques : Une affaire d'état », « le fonds de soutien est alimenté à hauteur de 50 % par l’État, c’est-à-dire nos impôts, et à hauteur de 50 % par les banques avec la taxe systémique. On peut donc en conclure que ce sont les contribuables qui, au final, payent à 100 % l’IRA, sous trois casquettes : en tant que contribuables locaux, pour la partie de l’IRA qui reste à charge de la collectivité, en tant que contribuables nationaux pour la partie de l’IRA du fonds de soutien provenant de la participation de l’État, et enfin en tant que clients bancaires pour la partie de l’IRA du fonds de soutien provenant de la participation des banques dont le produit provient de la tarification pratiquée ».

Pour bien mesurer l'enjeu du chantage fait aux collectivités locales et à leurs contribuables, redevables et administré-e-s, il suffit d'évoquer un exemple : celui de la métropole de Nîmes. Renoncer à l'emprunt toxique contracté consistait à rembourser un emprunt de 10 millions d’euros, dont le taux d’intérêt dépassait 25 %. Ce ,moyennant le paiement d’une indemnité de remboursement anticipé de 58,6 millions d’euros, soit presque 6 fois le montant du prêt, indemnité à régler en plus des 10 millions d’euros !

Un fonds insuffisant

La réalité des emprunts toxiques est d'autant plus inacceptable et intolérable pour la collectivité des citoyen-ne-s, contribuables nationaux et locaux, redevables locaux et administré-e-s que, selon « Acteurs publics contre les emprunts toxiques » (Apcet), cité par Le Monde du 21 mars 2015, « le montant consacré par le fonds, 3 milliards d'euros sur 15 ans [montant doublé en février 2015, passé alors de 100 à 200 millions par an], est dérisoire par rapport aux sommes en jeu : les responsables publics les chiffrent entre 13 et 18 milliards d'euros pour l'ensemble des collectivités territoriales ».

Selon Localtis, quotidien d'information en ligne, consacré aux collectivités territoriales, créé par la Caisse des Dépôts, selon un rapport remis par le Gouvernement au Parlement, « 874 communes, 158 groupements à fiscalité propre, 103 syndicats [de communes], 44 départements et 12 régions, détenaient en 2014 au moins un emprunt à risque dans leur encours de dette ».

Selon la même source :

  •  l'ensemble des emprunts structurés à risque représentait alors 4,7% du total de l'encours de dette des collectivités territoriales,
  •  ce taux atteignait 12% en moyenne pour les collectivités détenant ces emprunts,
  •  les communes, souscrivant davantage de contrats risqués que les autres collectivités, détenaient 39% de l'encours de dette total mais 54% de la dette toxique.

Or, selon le dossier de presse remis par les ministres de l'aménagement du Territoire, de la Ruralité et des Collectivités Territoriales et secrétaire d’État chargé du Budget et des Comptes Publics le 22 mars 2017 : au 30 avril 2015 – date butoir de dépôt des demandes d'aides, 676 collectivités ou établissements publics locaux avaient déposé un dossier de demande d’aide pour au moins un prêt structuré à risque éligible à l’aide du fonds de soutien. Et, au final, en décembre 2016, les préfets ou représentants de l’État ont signé avec les représentants des « bénéficiaires » (sic) des conventions organisant l’attribution de 2,56 Md€ d’aides concernant 997 prêts contractés par 578 collectivités ou établissements locaux.

Des finances locales toujours menacées

Tous les dossiers liés aux emprunts toxiques ne sont pas éteints en justice : les questions de légalité des emprunts hautement spéculatifs à destination des collectivités locales et des devoirs des banques en matière d'information, de conseil et de mise en garde demeurent. La question de l'équilibre de leurs finances et de leur capacité d'action pour des collectivités étant sortis du système des emprunts toxiques au prix fort demeure également. Leurs comptes sont hypothéqués pendant près d'une quinzaine d'années.

Pour Solidaires Finances Publiques, les projets de développement d'infrastructures permettant de répondre aux besoins de la société et de la population impliquent d'investir des fonds sur plusieurs années et d'avoir de fait recours à l'emprunt.

Si l'emprunt est pour une collectivité un mode de financement normal dans le cadre d'investissements, l'hypothèque représentée par le remboursement de l'IRA et de l'emprunt de substitution au produit toxique risque de compromettre tout autre investissement à terme. Il n'est pas inutile de rappeler que toutes les collectivités ne sont pas égales devant l'emprunt. Elles ne disposent pas du même tissu social et économique et donc des mêmes facilités bancaires et capacités de remboursement.

Cette question est d'autant plus cruciale à l'heure où les recettes des collectivités locales ont été et sont de nouveau compromises : hier, en 2011, la suppression de la taxe professionnelle et l'incertitude des mécanismes de compensation succédant aux fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle ; aujourd'hui, les projets du nouveau président de la République élu le 7 mai 2017 de suppression de la taxe d'habitation.

Si celui-ci semble vouloir lancer en juin un audit sur le prélèvement à la source, après avoir plusieurs fois plaidé pour un report de la réforme, son programme comprend également la suppression de la taxe d'habitation pour 80% de la population, ce qui n'est pas non plus neutre pour la DGFiP, ses missions, ses services et ses agents. Et laisse beaucoup d'inquiétudes du côté des collectivités locales et de leurs élus.

Un avenir fait d'incertitudes

Selon le programme du candidat Emmanuel Macron, « nous exonérerons de la taxe d’habitation tous les Français des classes moyennes et populaires », avec cette promesse : « dès 2020, 4 Français sur 5 ne paieront plus la taxe d’habitation, et l’État remboursera entièrement auprès des communes leur manque à gagner, à l’euro près, en préservant leur autonomie fiscale ». Les compensations par remboursement de l'État ? Les collectivités ont appris à les connaître à leur dépens avec l'expérience des transferts de compétences de ce dernier .

Quel sens peut bien avoir de débattre de la gestion du « fonds de soutien pour les emprunts toxiques des collectivités locales » tel qu'il est qu'arrêté ? Autre chose aurait été de condamner les organismes bancaires responsables pour emprunts hautement spéculatifs à destination des collectivités locales et défaut de devoir en matière d'information, de conseil et de mise en garde ! Autre chose aurait été de légiférer pour obliger les banques fautives à abandonner ces prêts toxiques et restituer les intérêts bien mal acquis, sans indemnité anticipée de remboursement pour les échanger contre des prêts réguliers ! Nous croyons nous souvenir encore d'un ancien président déclarant : « mon ennemi est la finance » !

Dans ce contexte, l'article L1611-3-2 du Code Général des Collectivités Territoriales, modifié par la loi n°2015-991 du 7 août 2015, ne devrait-il pas lui non plus nous inquiéter pour l'avenir de l’équilibre des finances locales ? Il y est effectivement indiqué que « les collectivités territoriales, les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre et les établissements publics territoriaux mentionnés à l'article L.5219-2 [concernant les établissements publics de coopération intercommunale dénommés « établissements publics territoriaux » de la métropole du Grand Paris] peuvent créer une société publique revêtant la forme de société anonyme régie par le livre II du code de commerce dont ils détiennent la totalité du capital et dont l'objet est de contribuer, par l'intermédiaire d'une filiale, à leur financement ». Toujours selon le même article, « cette activité de financement est effectuée par la filiale à partir de ressources provenant principalement d'émissions de titres financiers, à l'exclusion de ressources directes de l’État ou de ressources garanties par l’État ».

Au quotidien déjà et encore pour un temps, les comptables publics et leurs équipes seront confrontés dans leurs missions de tenue des comptes et de conseil aux conséquences de ces intérêts incontrôlables d'emprunts « déstructurants » pour les finances locales et aux équations absconses voulues par des organismes financiers sans scrupules et seulement préoccupés des seuls intérêts privés de leurs actionnaires.

Avant même réception des documents, Solidaires Finances Publiques a le 15 mai saisi l'administration, compte tenu des annonces de campagne du nouveau président de la République, sur l'opportunité de ce « groupe de travail » au regard d'un certain nombre d'interrogations, en particulier sur la suppression de la taxe d'habitation et le financement et donc les budgets des collectivités locales. L'administration a décidé de maintenir son calendrier initial alors qu'il n'y a sur cette question aucune réelle urgence. Une telle attitude n'est pas encore une fois sans nous interroger sur la façon dont la DGFiP considère les collectivités locales et, à travers elles, les citoyens et contribuables. Sans autre précision apportée utilement à nos questions, Solidaires Finances Publiques n'a pas vu l'intérêt de participer à cette réunion. Non, le dialogue social ne s'effectue pas d'une façon unilatérale et nous dénonçons l'attitude de la DGFiP en la matière : imposer et surtout ne pas permettre la discussion.