Ce 21 octobre se tenait, sous l'égide du secrétariat général des MEFs, le premier groupe de trvail bi-directionnel, relatif au transfert du recouvrement de certaines taxes de la Douane vers la DGFiP.
Liminaire
Avant la tenue de cette instance, la ligne directrice de l’administration sur ce dossier de transfert de fiscalité est purement idéologique, caractérisée par son absence d’arguments rationnels et sa volonté de passage en force. En cela, cette gestion caractérise bien son époque, qui veut parachever la destruction de l’identité économique de la France et la place centrale que les services publics y occupaient.
Un ministre avait déclaré il y a quelques années qu’un des problèmes de ce pays était que les services publics étaient efficaces : populaires, la justification de leur destruction était difficile à soutenir auprès des citoyens. Qu’à cela ne tienne, organisons la désorganisation !
Les directions de Bercy subissent depuis maintenant trois décennies cette logique voulue par les pouvoirs successifs, tous ralliés au même dogme socio-économique ultra-libéral. Les suppressions d’effectifs par wagons se succèdent dans des déserts territoriaux. Bercy, c’est pratique, c’est l’impôt, ça émeut moins l’opinion qu’un service d’urgences médicales ou qu’une école Jules Ferry.
Mais l’impôt, le service public, le fonctionnaire restent l’ennemi à abattre. Et ce dernier a l’outrecuidance de continuer à obtenir des bons résultats, c’est intolérable ! Il importe donc de s’organiser pour que ces résultats se dégradent, enfin.
Transférer la gestion, le recouvrement et le contrôle de 35 milliards de recettes publiques vers une administration en pleine désorganisation organisée, quelle riche idée ! Se donner la peine de le justifier, mais pourquoi faire ? Quelques vagues incantations sur la « simplification » et la « rationalisation » suffiront.
On ne s’est même pas donc donné la peine de dissimuler le caractère idéologique de la réforme : pas d’étude d’impact, pas de mesure des gains attendus, rien. Il est vrai que la matière s’y prête peu : avec un coût administratif de 0,39 € pour 100 € recouvrés, l’un des meilleurs résultats au monde, l’efficacité de la Direction Générale des Douanes et Drois Indirects (DGDDI) sur les fiscalités dont elle a encore la charge peut difficilement être remise en cause.
Quelque peu rattrapés par l’illégitimité de la réforme et contraints à un vernis d’explication, vous avez donc consenti à dresser un bilan de la réforme du transfert de taxes déjà décidé lors du vote de la loi de finances l’année dernière. Bilan bien maigre, puisque l’axe majeur de comparaison – l’effectivité du transfert – n’a pas encore eu lieu et que la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP) n’a à ce jour diligenté aucun contrôle.
De vos documents de travail, nous n’apprenons donc rien. Pas de bilan documenté des contrôles que la Douane effectuait sur ces matières. Il n’est ainsi, par exemple, pas question des contrôles que la Douane effectuait en matière de taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). On ne revient pas sur le fait qu’une cellule spécialisée était dédiée à la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED). Que ces contrôles impliquent vérification de comptabilités-matières, visites sur les sites de production, prise d’échantillon, c’est-à-dire un lien direct avec la marchandise, ce qui constitue le cœur du métier douanier.
Non, on apprend simplement que « le contrôle de la TGAP constituera un axe de contrôle supplémentaire » pour les services de la DGFiP. Sans renfort d’effectifs, cela va sans dire. Plutôt avec moins, d’ailleurs. Les agents de la Direction des Vérifications Nationales et Internationales (DVNI), des Directions du Contrôle Fiscal (DIRCOFI), déjà mobilisés sur de nombreux dossiers complexes, dans le contexte difficile de la loi pour un État au service d'une société de confiance (ESSOC) ne pourront matériellement pas investir cette nouvelle technicité. Ils exercent tout simplement un métier différent, suffisamment exigeant et complexe.
Nous pouvons le dire : plus qu’un transfert, il s’agit d’une disparition programmée d’un dispositif fiscal, qui au-delà de son rendement budgétaire, avait une vocation de contrôle sur des marchandises sensibles, dans un contexte de protection de l’environnement. Le gouvernement indique donc qu’il se fiche complètement, dans les faits, de la préoccupation écologique.
Les agents des douanes, eux, sont invités à apporter leur « expertise », pour « apporter des précisions aux services au moment du transfert ». Soit, en français, une demande de scier la branche sur laquelle ils sont assis. On vous prive de votre travail, bonnes gens, mais nous vous demandons de nous y aider avec entrain !
En échange de quoi ? Mais de rien. Nous ne sommes plus en 1993. 26 années de néo-libéralisme sont passées par là : les agents des douanes qui vont perdre leur travail ne disposent donc d’aucune garantie sur leur devenir professionnel. Et il n’y en a pas ne serait-ce que l’esquisse, dans les documents que vous nous avez communiqués.
Pour commencer ce cycle de discussions, voici donc l’environnement que vous avez fixé : idéologie aveugle, absence de toute justification technique sur des mesures graves, bilan traité avec désinvolture et refus d’apporter toute garantie à des centaines d’agents que vous plongez dans l’incertitude.
Nous n’ironiserons pas sur cette situation. Nos demandes, pour ce GT, et sur ceux qui sont censés venir, sont donc simples. Sur l’idéologie, on ne convainc pas, par définition, des idéologues. Nous ne nous engagerons donc pas avec vous dans cette voie. Nous demandons, par contre :
- un bilan réellement documenté, notamment sur la façon de conduire les contrôles, que ce soit dans le passé, le présent, ou le futur. Il est indispensable que l’administration décrive ce qu’elle attend d’un contrôle sur les matières concernées.
- la justification technique de ce transfert de taxes. Dans les documents transmis, il n’apparaît nullement ce qui est attendu en termes d’amélioration de la gestion publique.
- une description précise du processus de reclassement des agents dépossédés de leur travail et du cadre réglementaire dans lequel cela va s’inscrire.
Les agents de la DGDDI et de la DGFiP s’investissent, au quotidien, pour assurer les missions de service public économique et permettre le fonctionnement de l’État. La qualité reconnue de leur travail est récompensée par des décisions brutales et injustifiées comme celle qui nous occupe aujourd’hui.
Ils ne tomberont pas dans le piège de la division que vous leur tendez, qui consiste à les opposer entre eux, à les mettre en concurrence dans une stratégie globale mortifère de délitement du ministère. Nous exigeons donc que, dès aujourd’hui, des réponses honnêtes, précises et argumentées leur soient apportées, faute de quoi ce cycle de discussion sera privé d’emblée de toute substance.
Compte-rendu
L'Etat, ce grand branquignol
Titre honteusement provocateur ? Pas sûr…
Le premier groupe de travail dédié au transfert de missions de la pauvre DGDDI, vers la non moins chahutée DGFiP s’est tenu le 21 octobre. Ce premier temps était dédié à un bilan (réclamé par les organisations syndicales) concernant les transferts déjà actés. Les boissons non alcooliques (BNA), la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) et la TVA sur les produits pétroliers.
La séance fut… instructive, mais aussi - et surtout ! - inquiétante sur la façon dont on mène les affaires publiques, du moins dans ce que nos fins penseurs politiques font subir comme cabriole à l’action publique.
Tout d’abord, une remarque préalable : les viles questions RH, comme le devenir des agents, seront évoquées plus tard (on n’est pas rassurés pour autant…), par les directions générales concernées (on l’est encore un peu moins qu’avant…). Il est vrai que le président de séance, Alexandre Gardette n’a pas pour mission première de veiller aux destinées des agents concernés. Ceci concerne plutôt les directions générales (et Bercy soit dit en passant). Or, ledit Gardette était assez seul pour faire face à la horde syndicale ministérielle. DG et autres sous-directeurs avaient sûrement mieux à faire de leur après-midi…
La première salve (le mot est choisi à dessein) a porté sur les BNA. Et, après les différentes interventions, A. Gardette a dû se résoudre à reconnaître, avec honnêteté, qu’il y avait de quoi se poser des questions. Et qu’on ne peut franchement pas qualifier le tableau d’idyllique.
Pour ces taxes, on peut partir sur un chiffre qui frise les 500 millions d’euros par an. Certes, ce n’est pas fondamental pour l’État. Mais entre les avoir ou pas…
L’administration nous indique que le chiffre est en augmentation entre 2018 (DGDDI) et 2019 (DGFiP). Mais le document est honnête : il précise que les taux de ces taxes ont augmenté… Comme on est pervers, on s’est amusé à appliquer les augmentations aux masses perçues en 2018 et, oh surprise !, on trouve un chiffre assez largement supérieur (près de 100 millions).
Autre sujet : au-delà de l’aspect fiscal, il y a également un enjeu de santé publique. En effet, même si le système est imparfait, il fonctionne quand-même avec une taxation qui frappe un gros nuisible en termes de santé publique, à savoir les sucres ajoutés. Or, pour effectuer des contrôles, il faut un acteur incontournable en la personne des laboratoires de l’État. Or, dans la période, ces derniers ont été relativement peu débordés sur le sujet, dans la mesure où il semble bien qu’aucune analyse n’a été sollicitée…
Enfin, toujours sur le chapitre BNA, on ne peut passer sous silence que le commerce illicite en la matière est assez soutenu et figure parmi les différents modes d’alimentation de l’économie parallèle. Il est vrai que dès lors qu’un produit est taxé spécifiquement, la fraude n’en prend que plus d’intérêt et peut être un outil de concurrence totalement déloyal entre celui qui respecte les règles et celui qui s’en affranchit. Or, le contrôle des flux et les interventions sur site sont incontestablement un atout majeur en la matière.
Il n’est bien sûr pas question de dire qu’une administration est supérieure ou plus efficiente que l’autre (ce serait juste idiot d’aller sur ce terrain…). C’est tout simplement qu’il y a des différences de structures et d’organisation (et d’expérience de chaque sujet), qui font que rebattre les cartes n’était pas forcément justifié.
Certains éléments sont de pure logique assez élémentaire. En tout cas, ils parlent aux agents, mais semblent échapper complètement à des décideurs politiques qui paraissent surtout succomber aux sirènes du dogme.
On peut reproduire pour partie les griefs ci-dessus pour la TGAP. Quant à la TVA sur les produits pétroliers, on nous indique que cette dernière est un non-sujet. Et que de toutes façons, quand on entend TVA, il faut entendre DGFiP. Ah ?… D’un autre côté, la TVA concernée presque un « phénomène découlant » de la TICPE. Or, il a été décidé de laisser cette dernière à la DGDDI. Cohérence, quand tu nous tiens… Mais demeurons prudents sur ce point : nos agités politiques pourraient se saisir de ce prétexte pour tout faire changer de main…
Au final, que ressort-il de ce premier examen technique ? Et bien, il semble manifestement que les décisions politiques n'ont peut-être pas été suffisamment réfléchies. On bouleverse l'existant avec une certaine légèreté.
On a même entendu passer du côté administratif qu'on pouvait légitimement se poser la question du renvoi des BNA vers la DGDDI éventuellement lors du PLF 2021 (!!). Le constat, même s'il est hypothétique, a le mérite d'être éloquent...
Pour notre part, il ne s'agit pas de s'opposer à toute évolution quelle qu'elle soit. Par contre, les réformes et restructurations à l'emporte-pièce ne sont pas admissibles. On n'attend pas la perfection de la part de l'Etat (on serait sûrement déçus d'ailleurs…). Mais on est quand-même en droit d'attendre autre chose que ces gesticulations qui ont parfois un caractère erratique.
Reconnaissons à ce bilan le mérite d'avoir été fait assez vite. Le problème, c'est qu'à titre général le temps qu'on voit les effets de ces évolutions, leurs « promoteurs » (notamment politiques) sont souvent partis sous d'autres cieux.
Si on veut vraiment faire un travail de bilan, il faut en tirer vraiment des conséquences pour les sujets évoqués lors de cette séance, et au-delà. C'est à cette aune là qu'on évaluera l'intérêt réel de ces travaux.