SOLIDAIRES FINANCES PUBLIQUES

 

François Bayrou s’est lancé dans une succession de podcasts sur une chaîne YouTube, spécifiquement créée pour l’occasion. Solidaires Finances Publiques a mobilisé son énergie pour les écouter intégralement. S’ils peuvent être très efficaces en termes de « bruits blancs » pour endormir les très jeunes enfants, il est parfois difficile d’extraire un peu de fond dans cette succession de métaphores et de commentaires indigents. François Bayrou réussit l’exploit de ne cumuler que des commentaires négatifs, en plus d’une popularité qui n’avait jamais été aussi faible pour un premier ministre.

Bayrou vocifère, de sa toute petite voix, contre une succession de choix politiques désastreux qui auraient lourdement contribué à aggraver la dette. Il est presque triste de constater que notre premier ministre souffre de tels troubles de la mémoire, en oubliant qu’il fut député dès 1986, député européen en 1999, ministre en 1993 et brièvement en 2017, haut commissaire au plan en 2020 (chargé notamment d’éclairer les pouvoirs publics sur les enjeux économiques), candidat aux élections présidentielles de 2002, 2007 et 2012, président de l’UDF pendant 9 ans, puis du Modem depuis 2007...

Épisode 1

Nous avons été saisis par cette faculté à ne rien dire durant une si longue période. Rester attentifs à ce discours confine à la « fascination du vide ». François Bayrou commente l’actualité en se positionnant comme étranger aux décisions imposées par un gouvernement dont il est aujourd’hui premier ministre. Il vient répéter le discours désormais ambiant d’un contexte financier qui nous contraindrait à accentuer les politiques d’austérité. Peu importe que les inégalités s’accroissent, que les fortunes des milliardaires explosent, ou que les entreprises perçoivent annuellement plus de 200 milliards d’euros d’aides diverses, tout en augmentant très significativement les dividendes versés aux actionnaires. Il ose également ce parallèle malhonnête entre la dette d’un État et la dette d’une personne physique ou d’un ménage. Un ménage doit rembourser avec ses revenus limités et sur une durée de vie limitée. Un État vit indéfiniment, refinance en permanence, peut lever l’impôt et investir pour augmenter la richesse future. Un ménage ne crée pas sa monnaie, un État (ou sa banque centrale), oui. Confondre les deux sert à faire croire qu’il faut se « serrer la ceinture », alors que l’austérité appauvrit les plus précaires et les plus fragiles, et rend la dette plus lourde.

Épisode 2

« On propose que ce soient les entreprises elles-mêmes, avec l’État, qui définissent les simplifications. » Bayrou méconnaît toute notion de démocratie et souhaite conférer à certaines entreprises, à certains lobbies, la possibilité de négocier des réformes de « simplification ». Allégements supplémentaires de charges, casse du code du travail, régression des droits des salariés et des organisations du personnel, limitation des contrôles (fiscalité, normes environnementales, sanitaires, inspection du travail…), tout sera bon à mettre sur la table. Le premier ministre martèle, à l’envi, la problématique de sous-production qui handicaperait à ce point le pays. S’épargnant de toute donnée étayée et chiffrée, Bayrou oublie que toute mesure qui a limité le temps de repos ou gonflé artificiellement le temps de travail n’a jamais été suivie d’un regain de croissance. Par ailleurs, rappelons que, selon les mesures de l’OCDE de 2023, les Français travaillent en moyenne 1 511 heures/an, soit plus que les Allemands (1 341 h) et à peine moins que les Britanniques (1 532 h). Or, l’Allemagne et le Royaume-Uni ne sont pas accusés de sous-production structurelle. Enfin, ôter deux jours de congé, c’est impacter davantage les professions et métiers essentiels, comme les aides-soignants, les aides à la personne, ou encore les salariés de la grande distribution, qui travaillent déjà les jours fériés et qui subiraient mécaniquement une perte salariale.

Épisode 3

Beaucoup de bla-bla et l’arrivée du superpréfet qui diligente tout, évoqué assez subrepticement. C’est également la revue des missions, marotte officielle de François Bayrou, qu’il arrive à recaser. Il cherche des économies en trouvant des doublons entre les ministères. Ne nous leurrons pas, la seule résultante est de pouvoir supprimer des missions pour les confier à des tiers privés. Cette prétendue recherche à tout prix de l’efficacité n’a pour unique finalité que de supprimer des emplois et de baisser les moyens des services publics, afin de les rendre moins efficaces et de se donner, par là même, une excuse fallacieuse pour externaliser les missions.

Épisode 4

L’art de détourner une citation pour l’utiliser à son profit. Utiliser un extrait d’un discours de Kennedy, prononcé le 20 janvier 1961, démontre la malhonnêteté intellectuelle de Bayrou, s’il était encore nécessaire de la prouver. Il la résume à « Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous — demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays ». C’est oublier le contexte dans lequel il avait été prononcé : guerre froide, guerre du Viêt Nam, mais également montée des idées de justice sociale et de lutte contre la pauvreté. L’utilisation d’une figure aussi ambivalente que Kennedy illustre son patriarcat et une position ultra-infantilisante, constante tout au long de ses podcasts. FB serait cet homme courageux, sans aucune ambition personnelle (qui y croira après avoir brigué presque toutes les fonctions, et particulièrement avec assiduité celle de président de la République ?). Sinon, on pourrait penser à relever un peu l’impôt sur les sociétés (IS) , rétablir l’impôt sur la fortune (ISF), imposer enfin les plus aisés, avec une plus grande progressivité, arrêter les cadeaux fiscaux pour plus de 200 milliards aux entreprises sans aucune contrepartie. Mais non, surtout pas, le sage a parlé.

Épisode 5

François Bayrou maintient son ton patriarcal en s’adressant directement à la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, en lui expliquant pourquoi elle n’a rien compris. Bayrou prétend ne pas passer en force en proposant une main tendue aux organisations syndicales. Qui va croire cela lorsque, pour les jours de congés supprimés, il propose de discuter de ceux à retirer pour prétendument récupérer 4,5 milliards, alors qu’un rétablissement de l’ISF en ramènerait davantage ?
Cette main tendue est d’ailleurs plus proche du bras d’honneur, quand il indique que si les organisations syndicales refusent les « propositions » du gouvernement, « la main » revient à celui-ci. Bel exemple de dialogue qui consiste uniquement à ce que l’interlocuteur soit d’accord avec les propositions. Plutôt que de dialogue social, on est plus proche du monologue libéral. Rien d’étonnant cependant, puisque, comme l’ensemble des gouvernements macronistes, celui de Bayrou n’a que faire de la démocratie sociale, ni de la démocratie tout court. La loi Duplomb est massivement rejetée, l’opposition à la réforme des retraites est toujours d’actualité, l’opposition à la suppression des jours fériés est tout aussi manifeste, et le premier ministre culmine à plus de 90 % d’impopularité. Arrêtons cette comédie. Cette série n’a vraiment aucun intérêt.