Lettre ouverte de Solidaires Finances Publiques au Premier Président de la Cour des comptes.

Monsieur le Premier Président de la Cour des comptes, 

De nombreux travaux de la Cour des comptes portent sur la Direction générale des finances publiques (DGFiP). C’est dans ce cadre que le syndicat national Solidaires Finances Publiques, le premier syndicat de la DGFiP, souhaite vous adresser la présente lettre ouverte. Elle sera portée à la connaissance des agents des finances publiques. Notre organisation lit attentivement l’ensemble des publications de la Cour sur la DGFiP. L'institution dont vous avez la charge est légitime à procéder aux contrôles entrant dans le cadre de sa mission. Il nous semble cependant nécessaire, quand elle se penche sur l'activité des services de l'État, qu’elle dispose du regard des représentants des personnels. Certes, la Cour nous a auditionnés à plusieurs reprises. Mais ces rencontres sont assez rares au regard du nombre des enquêtes et rapports que la Cour a réalisés sur la DGFiP.

Depuis sa création, voici maintenant dix ans, la DGFiP a connu de profonds changements. Ils touchent à la fois la baisse de ses moyens, le repli du nombre d’implantations territoriales, le mouvement de réforme des services ou encore la gestion des agents.

Ce mouvement s’est accompagné d'une hausse de la charge globale de travail. Cette réalité est malheureusement très rarement prise en compte. Ainsi, et à titre d’exemple,

  • le nombre de contribuables à l’impôt sur le revenu est passé de 35,08 millions en 2006 à 37,68 millions en 2016,
  • le nombre d’avis de taxe d’habitation est passé de 26,67 millions en 2006 à 29,35 millions en 2016,
  • le nombre d’avis de taxe foncière est passé de 26,67 millions en 2006 à 31,29 millions en 2016,
  • le nombre d’entreprises soumises à TVA est passé de 3,79 millions en 2006 à 5,57 millions en 2016,
  • le nombre d’entreprises soumises à l’IS est passé de 1,33 million en 2006 à 2,09 millions en 2016,
  • s’agissant des dépôts de fonds au Trésor, le nombre de comptes (État, Établissements publics, secteur public local et autres) est passé de 27 211 en 2006 à 50 105 en 2016,
  • en matière de missions cadastrales, le nombre de comptes de propriétaires est passé de 34,91 millions en 2006 à 37,5 millions en 2016 ; le nombre de locaux est passé de 45,92 millions en 2006 à 51,86 millions en 2016,
  • concernant le recouvrement, le nombre d’avis à tiers détenteur adressé aux particuliers est passé de 4 millions en 2006 à 5,59 millions en 2016 ; celui de ceux adressés aux professionnels de 341 643 en 2006 à 872 649 en 2016.

Les effectifs ont malheureusement suivi une évolution inverse. La DGFiP recensait 126 586 agents en 2008 et 106 685 agents en 2016.

Ces données ne peuvent être ignorées. Elles se traduisent concrètement et quotidiennement par des sollicitations dont le contenu ou la complexité est difficilement mesurable statistiquement : questions sur la législation (celle-ci évoluant fréquemment), situations particulières ayant une incidence fiscale, demandes d'étalements de paiement, dépôt d'un recours gracieux, etc. Certes, l’utilisation des nouvelles technologies s’est développée (dématérialisation, téléprocédures, contact à distance, internet, etc..) et les outils informatiques ont été modernisés. Certaines tâches répétitives ou matérielles se sont réduites, quand elles n'ont pas disparu. D'autres, plus techniques, ont émergé. Le périmètre et le contenu des missions sont ainsi en constante évolution dans un contexte de recherche effrénée et aveugle d'économies et marqué par l'urgence. Ce contexte n'a pas favorisé, c'est un euphémisme, l'adaptation du système d'information (SSI) de la DGFiP à l'irruption du numérique. Il en résulte des défaillances applicatives nombreuses qui compliquent le travail des agents-e-s plus qu'il ne le simplifie ou le facilite et qui mettent les administrés en difficultés. Ces contraintes pèsent, notamment sur les services informatiques et sur leurs personnels, au détriment d'une approche plus qualitative. Si aucun incident industriel ne s'est produit, comme ce fût le cas pour l'application Louvois, rien ne dit qu'il n'en adviendra pas. Quant aux progiciels type Chorus, ils sont à l'évidence, pour partie, inadaptés à l'exercice des missions auxquelles ils se rapportent.

Or, si cette évolution est naturelle et souhaitable, trop souvent, les pouvoirs publics n’ont pas pris la mesure de leurs conséquences réelles, se contentant d’y voir des gains de productivité. À titre d’exemple, la réduction des saisies de déclarations s’est traduite par l’édition de listings que les agents doivent traiter ou encore par l’application de pénalités pour les contribuables ne respectant pas leurs obligations de « télépayer ». Plus largement, l'usage du numérique au service de l’usager n’a pas fait baisser le nombre de sollicitations des services.

Cette réalité est très insuffisamment prise en compte dans le débat public et les travaux menés sur la DGFiP. Elle est pourtant incontournable tant pour les agents des finances publiques que pour les usagers et pour les contribuables. Compte tenu tout à la fois de la diversité des missions de la DGFiP, de leur caractère régalien, de leur technicité et de leur utilité, cette méconnaissance assez générale alimente la frustration des agents qui entendent et lisent les préconisations adressées à la DGFiP, notamment celles de la Cour des comptes.

Il est ainsi difficile de comprendre en quoi la réduction des effectifs ne serait pas assez rapide alors que la création de la DGFiP était « censée » dégager des marges de manœuvre si l’on ne tient pas compte de l’évolution réelle de la charge de travail et des besoins des usagers. Il est inquiétant de lire dans le rapport de la Cour de décembre 2017 consacré aux services déconcentrés de l’État, sans qu’aucune précision ne soit apportée, que « la Cour propose de transférer certaines missions aujourd’hui exercées par les services déconcentrés de l’État à des organismes dont les compétences leur permettraient de les assumer de manière plus efficiente et de façon plus lisible pour les usagers ». Il est enfin également paradoxal d’y lire s’agissant des implantations territoriales que « la relative inertie tranche avec le déploiement rapide des nouvelles technologies, empêchant de tirer pleinement parti des gains de productivité qu’ils ont escomptés ». Et ce, alors que les technologies du numérique se sont considérablement développées à la DGFiP et que le nombre d’implantations a été réduit de manière très importante : on dénombrait ainsi 2350 trésoreries de proximité en 2018 contre 4 200 en 1998.

Particulièrement attachée à la défense de la place et du rôle des missions et des agents des finances publiques, notre organisation syndicale a donc choisi de s’adresser à vous afin de mieux faire connaître ces réalités et des questionnements, qui touchent à la place et au rôle du service public et, par conséquent, à la mission de la Cour des comptes. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de vous adresser en appui de la présente lettre nos dernières publications consacrées à la DGFiP afin d’étayer notre propos. Elles portent un regard d’ensemble sur le sens profond des missions, sur leur évolution et les dangers qui pèsent sur elles et montrent en quoi les conditions de vie au travail des agents des finances publiques et également leur reconnaissance sont intimement liées à l’évolution du service public.

Après les annonces particulièrement inquiétantes du Premier Ministre sur l’évolution de la Fonction publique, et alors que le comité « action publique 2022 » s’apprête à rendre publiques ses conclusions, vous comprendrez aisément que le sens de notre démarche est de tout faire pour rétablir un équilibre qui rende justice aux agents et aux missions de la DGFiP.

Restant à votre disposition pour tout renseignement ou échange complémentaire, je vous prie de croire, Monsieur le Premier Président, à l’assurance de ma considération distinguée.

François-Xavier Ferrucci
Secrétaire général du syndicat national Solidaires Finances Publiques