Depuis l’été 2018, des voix s’élèvent périodiquement pour relativiser l’ampleur de la fraude fiscale. Une « petite musique » tente ainsi de s’installer, elle minimise et dénonce les principaux travaux sur le sujet, notamment ceux de notre organisation. Curieusement, ces expressions utilisent un déroulement identique et emploient les mêmes arguments, parfois même au mot près : un « effet de réseau » peut-être... Si le débat est normal, encore faut-il qu’il soit clair, équitable et honnête. Nous revenons ici sur les arguments développés dans ce discours.

Les estimations seraient hasardeuses et les travaux d’extrapolation des résultats du contrôle fiscal seraient biaisés.

Cet argument vise en réalité à jeter le doute sur les différentes estimations dans le but évident de les discréditer. Mais il ne propose jamais d’autres travaux ni d’autres estimations. Il se réfère parfois à des chiffres issus de travaux partiels menés, par exemple, sur certains aspects de l’impôt sur les sociétés, qui livrent donc des chiffres relativement peu élevés. En matière d’information claire, on a fait mieux. Il est également pétri de contradictions puisqu’il affirme qu’on ne peut mesurer la fraude tout en affirmant que la fraude fiscale est plus faible que ce que les estimations avancent, ce qui revient à dire qu’on peut donc l’évaluer...

Notre organisation suggère à ses détracteurs de mieux se renseigner, en particulier sur la définition du périmètre retenu pour les estimations. Ce point est fondamental. Notre organisation rejoint les définitions de l’OCDE (1). Plus prosaïquement, le contrôle fiscal obéissant à des règles juridiques précises, elle s’est attachée à évaluer les pertes budgétaires provenant du non-respect du droit fiscal quelle que soit la gravité de l’évitement illégal de l’impôt.

Il est par ailleurs avancé que la méthode consistant à extrapoler les résultats du contrôle fiscal serait biaisée car celui-ci est engagé sur la base d’anomalies détectées préalablement qui ne concernent qu’une minorité de dossiers. Or, l’utilisation de cette méthode, qualifiée de « directe » (utilisée par notre organisation) est plus complexe et subtile. Les méthodes directes sont d’ailleurs reconnues comme étant les plus sérieuses par les parlementaires notamment. De leur côté, les « méthodes indirectes » fondées sur l’exploitation de données macroéconomiques, employées notamment dans les travaux de Gabriel Zucman (2), de l’université de Londres (3) ou encore du Cepii (4) ont également connu de réels progrès. Fait notable : les estimations provenant de méthodes différentes convergent.

Contrairement à certaines affirmations péremptoires, les personnes et organisations qui ont véritablement travaillé sur cette question se montrent précises dans leurs approches et prudentes dans l’analyse des résultats... Il s’agit avant tout de mesurer un ordre de grandeur, la fraude étant par nature difficile à évaluer, surtout la fraude la plus complexe. Retenons néanmoins que les ordres de grandeur des estimations sont comparables. Selon nos travaux et ceux de la Cour des Comptes et des organisations de la sécurité sociale relatifs à la fraude sociale, le total de la fraude fiscale et sociale représenterait 100 à 120 milliards d’euros en France. Ce montant est comparable aux 118 milliards d’euros de fraude aux prélèvements obligatoires qui ressortent des travaux de l’Université de Londres repris par la Commission européenne (ces travaux ayant été menés sur la base des méthodes indirectes).

On ne peut affirmer que combattre la fraude réduirait le déficit : il n’y a pas de « trésor caché ».

Cet argument est inventé de toutes pièces par nos détracteurs. Personne n’a prétendu qu’il était possible de ramener la fraude à « 0 » et que cela permettrait de ne plus être en déficit. Cela dit, il est évident que renforcer la lutte contre la fraude fiscale serait budgétairement plus rentable.

Notre organisation représente les agent.es des finances publiques et sait mieux que personne que la fraude ne cesse de tenter de nouveaux chemins pour éviter l’impôt. En revanche, nous savons parfaitement qu’il est possible de plus et de mieux la combattre avec des moyens législatifs, humains, organisationnels et budgétaires véritablement adaptés. Selon la fourchette de l’estimation que l’on retient, le contrôle fiscal identifie déjà entre 10 et 20 % du montant total du non respect du droit fiscal. Un taux d’élucidation record au regard de l’ensemble des infractions…

Nos contradicteurs nous font le reproche de dramatiser la fraude pour réclamer des moyens. Ce qui démontre à l’inverse leur obsession à réduire les moyens de l’action publique.

Ce reproche est grossier et infondé. Le débat est plus complexe. Les travaux disponibles ne sont pas tous issus d’organisations syndicales dogmatiquement arc-boutées sur la question des emplois (sic). Notre organisation a toujours porté la nécessité d’une stratégie anti-fraude globale. Elle s’exprime ainsi systématiquement sur les moyens juridiques : à titre d’exemple, faute de bilan « officiel », nous avons publié un bilan (nuancé) des mesures juridiques mis en place ces dernières années (rapport sur l’impunité fiscale de novembre 2017). De la même manière nous livrons chaque année une analyse des résultats du contrôle fiscal. Enfin, d’autres travaux, sur la fiscalité européenne ou le management, démontrent que notre approche est bien globale.

Cela étant dit, on ne peut ignorer que ce sont les agent.es des finances publiques qui assurent quotidiennement la recherche de renseignements, la programmation, le contrôle, le suivi du contentieux et du recouvrement. Et quoiqu’en disent nos détracteurs, la vérité des chiffres s’impose : la baisse des moyens humains est une réalité (selon la Cour des comptes, 1 733 emplois ont été supprimés dans les services de contrôle entre 2012 et 2016 sur une baisse de plus de 3 000 depuis le milieu des années 2000). Cette baisse se traduit par une baisse du nombre de contrôles et des rappels d’impôts (voir notre rapport de septembre 2018). Et ce, alors que le nombre d’agent.es économiques (entreprises, particuliers) augmente alors que l’évitement de l’impôt est de plus en plus divers et sophistiqué.

En matière d’emplois, la France est sous-dimensionnée. A titre d’exemple, sans prendre cette institution et l’organisation de l’action publique britannique comme modèles, il est intéressant de noter qu’en 2017, le HMRC (les services fiscaux du Royaume-Uni) employait 27 000 personnes dans les services de contrôle contre 10 000 à 14 000 en France suivant les estimations (sur ce point, voir notre dossier spécial n°35) et que les résultats de ces services représentaient le double de ceux constatés en France. Il y a donc bien une corrélation entre les moyens humains et les résultats du contrôle...

Depuis un siècle, des critiques contre le contrôle fiscal très idéologiques

Nous ne débattons manifestement pas au même niveau. Notre organisation défend ses positions sur la justice fiscale. Elle analyse également l’état du droit existant et ses enjeux : en l’occurrence, refaire du contrôle fiscal la contrepartie du système déclaratif, ce qui est sa raison d’être, et ce au service de l’intérêt général.

En réalité, le postulat idéologique et invariable de nos détracteurs est connu : il faut baisser les impôts (sur tous les impôts progressifs, les impôts sur le patrimoine et les impôts sur les entreprises), supprimer des postes de fonctionnaires, libéraliser et privatiser, ne pas contraindre les entreprises avec des formalités administratives (dans lesquelles le contrôle est jugé trop intrusif), etc. Le tout agrémenté de mots destinés à faire peur comme la tyrannie fiscale, etc. Ce discours n’est pas nouveau. Au début du 20ème siècle, les mêmes arguments étaient employés pour combattre l’impôt progressif sur le revenu ou le contrôle fiscal. Ce discours est donc bien idéologique. C’est son principal « biais »...

Dommage, ce débat essentiel méritait mieux que ce type de déclamations. Notre organisation reviendra plus longuement sur l’évolution de la fraude fiscale, les résultats du contrôle fiscal et le débat sur l’estimation de la fraude fiscale dès la parution de la loi de finances 2020...

(1) Voir glossary of tax terms sur le site de l’OCDE.

(2) Gabriel Zucman, La richesse cachée des nations, seconde édition, octobre 2017, Éditions Le Seuil.

(3) Voir le site de la Commission européenne, un problème énorme.

(4) Vincent Vicard, L’évitement fiscal des multinationales : combien et où ? Lettre du Cepii n° 400, juin 2019.