A quelques encablures de plusieurs annonces concernant l’action publique, les finances publiques et la protection sociale, il est utile de revenir sur le sens profond des choix gouvernementaux et sur leur impact. Le présent article opère un premier retour « fiscal » sur ce début de quinquennat.
Retour sur le débat fiscal
Les mesures fiscales de la loi de finances 2018 ont été abondamment commentées. Prises officiellement au nom de la compétitivité et d’une stratégie visant à faire de la France la grande bénéficiaire du « Brexit », elles ont légitimement inquiété quant à leur efficacité réelle et leur impact sur les finances publiques et les inégalités. Il en va ainsi de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), auquel se substitue un impôt sur la fortune immobilière (IFI) très symbolique, et de la mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU), sorte de flat-tax à la française.
Le gouvernement a justifié ces mesures en arguant d’un effet de « ruissellement » au sein de l’activité économique des gains d’impôt qu’elles procureraient. Avant de se contredire de manière surprenante : les mesures n’auraient pas été inspirées par la théorie du ruissellement (1) (toujours avancée sans jamais être démontrée) mais par le souci de dégager des marges de manœuvre en termes d’investissement et de compétitivité. Ce qui revient de facto à prétendre que ces mesures auraient un effet de « ruissellement »…
Dans son analyse de la loi de finances 2018 (2), notre organisation avait montré la cohérence globale de la loi de finances 2018, une forme de comédie dramatique en 3 actes :
1. la baisse de l’impôt sur les sociétés, comme celle de la taxe sur les salaires, permettra aux grandes entreprises de distribuer davantage de dividendes (et ce, alors que les entreprises du CAC 40 ont atteint des niveaux records renouant avec la période d’avant crise),
2. ces dividendes, comme les plus-values et d’autres revenus financiers, ne seront plus imposés au barème progressif mais au PFU,
3. les actifs financiers détenus par les ménages, notamment les actionnaires, ne seront plus imposés à l’ISF, l’IFI n’imposant que l’immobilier.
La dynamique infernale de ces trois séries de mesures alimentera les inégalités et grèvera les comptes publics. Ce qui permettra au gouvernement de poursuivre ses « réformes » au nom du rétablissement des comptes publics… CQFD.
Ce constat mathématique d’une politique fiscale faisant une poignée de gagnants (les contribuables déjà riches) n’est contesté par personne. Une frange réduite d’observateurs et de commentateurs a certes tenté de justifier ces réformes en pointant :
- l’importance des prélèvements obligatoires : mais ce qu’ils ne disent pas, c’est que ceux-ci financent collectivement une action publique et une protection sociale de haut niveau (souvent financées par les cotisations et des prélèvements privés dans d’autres pays) dont l’efficacité économique et sociale est réelle,
- les taux d’imposition élevés : mais ce qu’ils ne disent pas, c’est que les taux apparents sont différents des taux effectifs réels, ils sont en réalité bien inférieurs du fait des stratégies d’optimisation permises par les niches et les régimes dérogatoires (qui demeurent en place),
- d’autres mesures qui viendraient « compenser » ces mesures en faveur des riches, avec l’allègement progressif de la taxe d’habitation notamment : mais ce qu’ils ne disent pas, c’est que les gains dégagés ne sont pas comparables, ils ne bénéficient pas à toute la population, ils sont différés là où la suppression de l’ISF et l’instauration du PFU sont immédiates et, surtout, ils sont eux-mêmes « compensés » par des hausses d’autres impôts (la CSG par exemple),
- ou encore l’exigence de compétitivité alors que la France est de longue date une puissance économique de premier plan et que les « facteurs publics » (infrastructures, formation, etc) financés par l’impôt constituent un facteur d’attractivité et de stabilité économiques et sociales.
Ces tentatives de justification des mesures gouvernementales ne résistent donc pas à l’analyse. De fait, Emmanuel Macron s’est largement inspiré d’une idéologie archaïque, injuste et inefficace, souvent dénommée "néolibéralisme". Il s’est délibérément engagé dans la concurrence fiscale et sociale plutôt que de chercher à faire avancer les chantiers européens et supranationaux qui permettraient de la ralentir, voire de la neutraliser (en matière d’harmonisation fiscale et sociale ou de protection de l’environnement notamment) et de maintenir les facteurs de cohésion sociale.
Ce faisant, il sert les intérêts d’une frange réduite, mais riche et puissante, de la population et, ainsi, coupe un peu plus celles et ceux qu’il nomme les « premiers de cordée » (une image qu'il a employée à plusieurs reprises en forme de "thèse" et d'explication de sa politique) du reste de la population… Une thèse aux antipodes de la réalité de la « cordée » au sein de laquelle tous les membres avancent au même rythme et sont solidaires les uns des autres.
Premiers retours sur la suppression de l’ISF et la mise en place de l’IFI
La suppression de l’ISF et la création de l’IFI coûteront entre 3,2 et 4 milliards d’euros par an au budget de l’État. Pour illustrer concrètement, prenons l’exemple d’un contribuable au patrimoine net imposable de 88 millions d’euros, représentatif des 100 plus gros contributeurs à l’ex-ISF (3). Son patrimoine comprend 85 % d’actifs financiers, soit là-aussi la proportion moyenne des 100 premiers contribuables à l’ISF.
Il se décompose de la manière suivante :
- résidence principale : 7 millions d’euros (4,9 imposables après l’abattement de 30 %),
- placements immobiliers : 5 millions d’euros,
- résidences secondaires : 1 million d’euros,
- autres biens meubles : 2,3 millions d'euros,
- placements financiers divers : 74,8 millions d’euros.
En 2017, l’impôt dû au titre de l’ISF s’élevait à 1.268.190 euros. En 2018, il sera redevable de 111.690 euros au titre de l’IFI. L’économie d’impôt réalisée est donc supérieure à 1 million d’euros, soit ici 1.156.500 euros. C'est à peu de choses près l’économie moyenne réalisée par les 100 premiers contribuables à l’ISF (4), soit plus de 81 fois le montant du SMIC net annuel.
La baisse de l’ISF s'additionne au gain permis par le prélèvement forfaitaire unique...
La mise en place du PFU coûtera entre 2 et 4 milliards d’euros par an au budget de l’État. Ce gain est particulièrement concentré sur les plus riches qui étaient jusque là imposés à un taux sensiblement supérieur.
Rendant publiques les données fournies par « Bercy », le Président de la Commission des finances du Sénat a montré qu’avec le PFU, « les 100 premiers contribuables à l’ISF gagneront chacun, en moyenne, 582.380 euros par an. Pour les 1.000 premiers contribuables, le gain moyen lié au PFU s’élèvera à 172.220 euros par an » (5). Le tout pour un impact marginal sur l’emploi comme d’ailleurs toute mesure de ce type (50.000 emplois, officiellement…).
Notons également que "44 % du gain total procuré par le PFU sont captés par le 1 % des contribuables dont le revenu est le plus élevé". Une « justice fiscale » extrêmement sélective qui annonce une aggravation dans l’accroissement des inégalités.
Des gagnants ciblés d’une politique fiscale très orientée.
Outre le coût budgétaire (qui ira croissant) de ces mesures, c’est leur concentration et donc leurs conséquences en termes de hausse des inégalités qui a de quoi susciter le mécontentement. Lequel affaiblira inévitablement un consentement à l’impôt déjà affaibli par une succession de mesures fiscales et de choix budgétaires contestables au cours des 20 à 30 dernières années.
Les 100 premiers contribuables de l’ISF bénéficient de revenus financiers substantiels désormais imposés au PFU et non plus au barème progressif de l’impôt sur le revenu. Ces contribuables sont les grands gagnants de la réforme fiscale initiée en 2017 : ils économiseront chacun en moyenne 1,5 million d’euros par an (1 million au titre de la substitution IFI/ISF et plus 500.000 euros au titre du PFU). Soit au total plus de 105 fois le montant du SMIC net annuel.
Pour leur part, les finances publiques seront bel et bien perdantes. Tout comme l’immense majorité des citoyens qui, d’une façon ou d’une autre, paiera les conséquences de ces choix (rigueur, dette...).
Tout ceci ne lasse pas d’inquiéter au moment où s’ouvrent des chantiers d’ampleur comme la réforme du système des retraites, la remise en cause des prestations sociales, les mesures relatives à la déstructuration de l’action publique ou encore la préparation des lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2019… La rentrée sera décidément cruciale.
(1) « Je ne crois pas à la théorie du ruissellement » déclarait Emmanuel Macron le 15 avril 2018. Mais sans son programme et le bilan qu’en tire sa majorité, ces choix ont toujours été faits au nom de l’investissement… Comprenne qui pourra.
(2) Voir notre dossier de presse du 5 octobre 2017 intitulé, Loi de finances 2018, un retournement capital.
(3) Ces proportions reprennent celles qui figurent dans la communication du Président de la Commission des finances du Sénat à l’attention des membres de la commission des finances du 26 octobre 2017.
(4) Nota : pour simplifier l’exemple, aucun plafonnement n’est retenu dans cet exemple.
(5) Déclaration de Vincent Eblé sur La Chaîne Parlementaire le 26 octobre 2017.