La Cour des comptes vient de publier un rapport intitulé « L’accès aux services publics dans les territoires ruraux ». Dans une période marquée par le mouvement des « gilets jaunes » et des projets gouvernementaux s’attaquant au service public, notamment à la Direction générale des finances publiques (DGFiP), ce rapport pouvait susciter l’attention. Et ce, d’autant plus que la Cour des comptes a constamment encouragé le gouvernement à confirmer la rigueur budgétaire et accélérer la destructuration de la DGFiP (voir notre analyse du rapport de la Cour des Comptes sur la DGFiP de l’été 2018).

 

Las, la Cour des comptes persiste et signe dans ses orientations et ses contradictions. Ses conclusions sont connues d’avance : resserrer drastiquement le réseau territorial de la DGFiP et développer notamment les maisons de service au public. Décidément, la Cour est plus intéressante lorsqu’elle défend la séparation « ordonnateur-comptable ». Mais il est vrai qu’à la différence des leçons qu’elle se complait à donner aux autres (notamment à la DGFiP), elle défend ses intérêts.

Un constat connu : la difficulté des territoires ruraux dans l’accès aux services publics

Le rapport de la Cour n’est pas dénué d’intérêt dans le constat qu’elle dresse. Si elle estime que « la mutation des réseaux de services publics restreint l’accès physique », elle nuance le constat selon lequel « la dématérialisation et le développement d’une offre numérique de plus en plus large devraient permettre de désenclaver les territoires les plus isolés ». En effet, elle rappelle utilement que « l’accès numérique dépend toutefois de divers facteurs : la couverture numérique du territoire, la mise à disposition d’équipements permettant d’accéder aux démarches en ligne et la capacité à utiliser ces outils. Or les dernières études menées sur les usages numériques des Français montrent que 16 % d’entre eux ne sont pas internautes en 2016 et que, parmi les internautes, 15 % se disaient peu ou pas du tout à l’aise dans l’usage d’internet ». Elle rappelle à ce titre que « Le Défenseur des droits a, dans son rapport annuel 2017, alerté sur la nécessité de s’assurer que se maintienne en France un haut niveau d’exigence dans l’accès égal et effectif aux services publics, pour tous et partout ». Un rappel salutaire bien que non suivi d'effet...

La Cour confirme que dans les zones rurales sont celles « où la population se déplace le moins ». et que « pour ceux qui se déplacent, les distances à parcourir pour se rendre au travail ou vers d’autres lieux d’activité sont longues et se sont accrues entre 1994 et 2008 ». Ce sont en effet des territoires où les gares sont moins nombreuses et « éloignées » et au sein desquelles « la mobilité repose essentiellement sur l’usage de la voiture ».

Le rapport rappelle ainsi que « 13 millions de Français sont en difficulté avec l’accès au numérique et/ou son usage, soit près de 20 % de la population ; 40 % sont inquiets à l’idée de réaliser leurs démarches administratives en ligne et un tiers estiment qu’un accompagnement dans un lieu dédié est le plus adapté pour maîtriser les usages numériques (…) Le Baromètre du numérique de 2017 montre que 33 % des Français (environ 18 millions de personnes) se qualifient comme « peu ou pas du tout compétents » pour utiliser un ordinateur. Si le taux d’équipement numérique dans les territoires ruraux est supérieur à la moyenne nationale, les caractéristiques de leur population, notamment l’âge, lui rendent son usage difficile.

Cette analyse, qui concerne l’ensemble des services publics, n’est pas nouvelle, elle est connue des agent.e.s des finances publiques qui, pour nombre d’entre eux habitant ces territoires et/ou y travaillant, la vivent quotidiennement.

Après avoir rappelé la montée en puissance de l’échelon intercommunal, la Cour des comptes analyse l’organisation territoriale des réseaux des services nationaux. Elle déplore que celle-ci ne soit pas coordonnée entre les ministères concernés. En particulier, elle regrette la faible notoriété et la faible fréquentation des maisons de service au public (MSAP), jugeant par ailleurs que « la qualité de l’offre de services au sein des MSAP est tout aussi hétérogène que l’offre elle-même ». De fait, le fonctionnement des MSAP est loin de répondre aux besoins sociaux : outre que « les opérateurs n’assurent pas de permanence physique au sein des MSAP », la Cour relève que les MSAP ne réduisent pas l’éloignement entre service public et usagers. Elle note ainsi que, dans ces MSAP, « des entretiens à partir de téléguichets peuvent être proposés dans certains sites ; mais l’efficacité de ces dispositifs est aujourd’hui loin d’être démontrée ». Pire, elle s’inquiète de l’impasse financière dans laquelle elle se trouve, le schéma de financement des MSAP n’étant ainsi « pas de nature à en garantir la pérennité »

S’agissant de la dématérialisation, la Cour des comptes admet que « le numérique devient le mode d’accès de droit commun aux procédures administratives » mais, dans le même temps, que « les conditions de sa mise en oeuvre peuvent parfois conduire à des difficultés d’accès plus aiguës pour les territoires ruraux ». Elle enfonce même le clou en rappelant qu’« ils n’ont pas toujours de solution alternative ». Malgré tout, l’outil numérique est très utilisé en France puisque « 66 % des Français contactent les services publics via internet alors que la moyenne des Européens se situe à 48 % ».

Et la DGFiP là-dedans ?

Si, dans ce rapport, la Cour analyse plusieurs services publics (La Poste, l’éducation nationale, etc), elle réserve comme à son habitude un sort particulier à la DGFiP. Dans le style « faisons plus avec moins », la Cour des comptes ne s’embarasse guère de détails. Sans revenir sur les restructurations passées ni sur la diversité des missions (qui ne connait pas d’équivalence dans les autres pays), elle affirme ainsi sans sourciller dans un sous-titre « La DGFiP : une qualité d’accès qui doit pouvoir être conciliée avec un resserrement nécessaire du réseau ».

Sans surprise, elle reprend l’antienne selon laquelle les petites structures (notamment celles dans lesquelles travaillent moins de 10 agent.e.s) méritent d’être supprimées. La dématérialisation est ici convoquée en justification ultime. Selon le rapport en effet, « il apparaît surprenant que, dans un secteur où la dématérialisation est à ce point engagée tant sur le plan de la télédéclaration que sur celui du télépaiement, le réseau ait si peu évolué ». Seul enseignement à en tirer selon le rapport : « L’adaptation et le resserrement du réseau de la DGFiP sont rendus inéluctables par les progrès du numérique ». Circulez, il n’y a rien à voir en quelque sorte, le cas est fixé.

Seulement voilà, si ce discours est connu, il est cependant largement contredit par la réalité. Cireusement, la Cour elle-même n’hésite pas à le poindre dans son rapport. Elle confirme en effet le diagnostic selon lequel « il n’est pas rare que les usagers formulent la même demande par internet, téléphone et au guichet ». Elle regrette que cette situation « crée des difficultés de gestion destinées à s’accentuer à mesure que de nouveaux postes seront supprimés ». Et rappelle que, si « l’accueil physique n’a connu qu’une baisse de 18 % et l’accueil téléphonique connaît, à l’inverse, une évolution particulièrement dynamique de 244 % ». On était donc en droit d’attendre une analyse un peu plus fine venant dépasser cete contradiction et tenant compte des besoins, de l’évolution de la législation fiscale, de la diversité de nos missions, etc. Mais d’analyse il n’y aura point. On en restera là...

Or, à l’évidence, une telle analyse aurait contredit les préconisations de la Cour dans lesquelles elle s’enferme désormais systématiquement avec un dogmatisme qui force le mécontentement. Sur le refrain de la mutualisation interministérielle, le rapport relève ainsi que ; « Les partenariats engagés par les DDFiP au plan local avec les MSAP devraient inciter la DGFiP à accélérer la rationalisation de son réseau et à l’anticiper avec les acteurs locaux ». Elle incite la DGFiP à participer au fonds inter-opérateur (alors que son budget est contraint) et à repenser sa présence territoriale en réduisant ses implantations et en s’engageant davantage dans les MSAP. Tout ça pour ça…

Décidément, la Cour est plus prompte à défendre ses missions lorsqu’il s’agit de mettre en garde les pouvoirs publics sur une potentielle remise en cause du principe de « séparation ordonnateur-comptable » que d’analyser en profondeur les missions des autres entités qu’elle se fait un plaisir d’auditer. Une nouvelle fois, ce type de rapport n’a pour fonction que d’appuyer la démarche gouvernementale dans un curieux mélange des genres. Ce rapport n’enseigne finalement pas grand-chose. Pour une institution qui ne cesse de plaider en faveur de la réduction des dépenses publiques, on se permettra de lui dire qu’elle dispose en son sein de marges de manœuvre intéressantes.