Si l’ampleur de la fraude fiscale est difficilement chiffrable avec précision, de nombreux travaux permettent cependant de la cerner. Notre organisation estime ainsi les pertes liées à l’évitement illégal de l’impôt à environ 80 milliards d’euros. Cette estimation procède d’un travail d’extrapolation des résultats du contrôle fiscal mené en 2013 et dont le résultat a été publié en janvier 2013 (1). Notre estimation de l’époque, 60 à 80 milliards d’euros de pertes de recettes, a été actualisée en septembre 2018 (2). D’autres travaux, menés sur la base de données macroéconomiques, confirment que la fraude fiscale a atteint des niveaux records (3).

Plusieurs facteurs ont alimenté la hausse de la fraude fiscale.

  • La concurrence fiscale et sociale a favorisé des pratiques fiscales permissives, agressives et déloyales : absence de coopération, conventions fiscales bilatérales conduisant à ces situations de «double non-imposition», mesures et régimes fiscaux dérogatoires (aux conditions parfois détournées voire non respectées), possibilité de créer des sociétés écrans, législation parfois inadaptée (dans le cadre de la TVA intracommunautaire ou, en matière d’impôt sur les sociétés, d’économie numérique par exemple), accord de type « rulings », etc. Les agents économiques disposant d’une surface financière internationale exploitent toutes ces possibilités pour éviter l’impôt, souvent en affichant une légalité apparente qui cache mal des situations d’abus de droit.
  • Cette situation découle d’une financiarisation de l’économie qui nourrit la concurrence économique globale et pousse notamment les grandes entreprises à réduire leurs coûts à tout prix pour augmenter artificiellement leurs profits.
  • L’existence, et la spécialisation, de territoires dits « non coopératifs », dénommés « paradis fiscaux », ajoutent à ce paysage fiscal international fortement concurrentiel.
  • Le développement de nouveaux outils financiers, leur diversité, leur sophistication et la rapidité avec laquelle ils s’échangent constituent également un facteur de complexification pour l’application de la loi fiscale et, par conséquent, ils facilitent l’évitement agressif et illégal de l’impôt.
  • L’existence de législations nationales fiscales et procédurales rend difficile une lutte efficace contre la fraude fiscale internationale.
  • La persistance d’une fraude de proximité, la rapidité avec laquelle des sociétés peuvent se créer et disparaître et la hausse tendancielle de l’économie non déclarée sont autant d’éléments qui favorisent le développement de la fraude fiscale.
  • Les dispositions légales qui favorisent « l’accompagnement » des entreprises (la loi « Essoc » récemment) constituent de réels obstacles pour l’exercice du contrôle fiscal.
  • Enfin, les difficultés que rencontrent les administrations fiscales dans la recherche et la détection de la fraude, dans leur mode de management ou encore dans leurs moyens humains, budgétaires et matériels sont des facteurs réellement aggravants de la fraude. Malgré des mesures législatives, plus ou moins efficaces (4), le retard accusé par les administrations fiscales sur la fraude demeure inquiétant.

Ce phénomène n'est malheureusement pas propre à la France : la Commission européenne elle-même estime que la fraude aux prélèvements obligatoires (c'est-à-dire la fraude fiscale, soit 80 milliards d'euros au moins en France, et la fraude sociale, estimée par la Cour des comptes entre 20 et 25 milliards d'euros, ce qui représente une fraude aux prélèvements obligatoires de plus de 100 milliards d'euros en France) représente environ au total 1 000 milliards d'euros au sein de ses Etats-membres.

(1) Rapport de Solidaires Finances Publiques, Évasions et fraudes fiscales, contrôle fiscal, janvier 2013.
(2) Rapport de Solidaires Finances Publiques, Quand la baisse des moyens du contrôle fiscal entraîne une baisse de sa présence, septembre 2018.
(3) Gabriel Zucman, La richesse cachée des nations, Éditions du Seuil, La République des idées, 2017, André Barilari, La fraude fiscale, les mots et les chiffres, numéro 3-2018 de la revue Gestion et finances publiques de mai-juin 2018.
(4) Voir notre rapport de mars 2017 actualisé en novembre 2017, Lutte contre la fraude fiscale : état des lieux, bilan législatif, organisation et perspectives, pourquoi et comment en finir avec l'impunité fiscale.